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Un journal en ligne sur les questions urbaines à Liège
lundi 22 décembre 2014

Analyse

Summer in the City

Ilots de chaleur urbain, causes, conséquences et stratégies d’adaptation

« Le 25 juin 2005, la température enregistrée dans le parc du Mont-Royal s’élevait à 21,8 degrés Celsius, mais non loin de là, à l’angle du boulevard Saint-Laurent et de l’avenue du Mont-Royal, il faisait plutôt 33,5 degrés. L’écart de 12 degrés dans un rayon de moins de 1,5 kilomètre illustre bien le phénomène des îlots de chaleur créés par la prééminence du béton en milieu urbain ».

Qu’est-ce qu’un îlot de chaleur urbain ? Quelles en sont les causes et les conséquences ? Quels sont les moyens d’action ? Liège en souffre-t-elle ou risque-t-elle d’en souffrir à court, moyen, long terme ? Quels sont ses points forts et faibles ? Quel pourrait être l’impact sur les stratégies d’aménagement urbain liégeois ?

22 décembre 2014 - par Marie Schippers

In the heat of the night

L’îlot de chaleur urbain, définition, causes et conséquences

Un îlot de chaleur urbain est une zone urbaine où la température est significativement plus élevée que dans la zone rurale environnante. Ce phénomène a été observé pour la première fois par Luke Howard, un pharmacien londonien météorologue amateur, aux environs de 1820. L’îlot de chaleur urbain apparaît la plupart du temps pendant les nuits estivales lorsque les vents sont faibles et que la chaleur emmagasinée pendant la journée ne peut pas être dissipée pendant la nuit.

La cause première de l’îlot de chaleur urbain est l’urbanisation. Concrètement, l’imperméabilisation des sols et les matériaux utilisés pour construire les bâtiments et les infrastructures urbaines limitent le rafraichissement nocturne en stockant la chaleur pendant la journée et en la libérant pendant la nuit. L’ICU est propre à chaque ville mais aussi à chaque quartier et peut même varier d’une rue à l’autre selon les caractéristiques urbaines, la présence de parcs, le passage de voies d’eau et les courants d’air provoqués par tous ces éléments.

Les activités humaines consommatrices d’énergie - le transport, la climatisation des bâtiments, les activités de bureau - produisent également de la chaleur résiduelles qui s’ajoute aux effets de l’urbanisation et contribuent ainsi jusqu’à hauteur de 20% à l’augmentation de la température urbaine |1|.

Enfin, on constate « un phénomène de convection, lorsque l’air est chauffé par la ville et s’élève car il se dilate et devient alors plus léger que l’air froid. En montant, il se refroidit et retombe. C’est ainsi que se crée un “dôme” au-dessus de la ville où les masses d’air se déplacent dans un mouvement ascendant » |2|.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’îlot de chaleur urbain n’est pas causé par le changement climatique, son apparition lui est antérieure, mais il est évident que les températures estivales plus élevées et les épisodes caniculaires plus fréquents qu’il provoque amplifient le phénomène. Comme pour toutes les évolutions liées au changement climatique, le rythme de cette amplification est difficile à estimer mais le temps d’adaptation de la ville est lent, c’est donc dès aujourd’hui que le travail doit démarrer.

Un phénomène peu médiatisé mais très étudié

Bien que l’îlot de chaleur urbain soit assez peu connu du grand public, il est l’objet de nombreuses études au niveau international. De Paris à Tokyo en passant par Montréal, New York et San Francisco, des chercheurs s’activent pour mesurer le phénomène et proposer des mesures pour en atténuer les effets. Dans le contexte du changement climatique, ces recherches sont intégrées dans ce qu’on appelle les stratégies d’adaptation au changement climatique.

Quelles sont les conséquences de l’îlot de chaleur urbain ?

L’îlot de chaleur urbain a des impacts sur la qualité de l’air, la qualité de l’eau et sur la santé humaine. l’ICU réduit la qualité de l’air en provoquant une émission d’ozone par réaction thermo-chimique. Il impacte également la qualité de l’eau car de l’eau plus chaude vient s’ajouter dans les courants locaux ce qui perturbe les écosystèmes. Du côté de la santé humaine, les effets apparaissent de prime abord bénins, simple inconfort ou fatigue passagère des habitants qui ne peuvent pas bénéficier de nuits réparatrices. Mais les effets peuvent être plus sérieux et aggraver des maladies chroniques préexistantes comme l’insuffisance respiratoire, les maladies cardiovasculaires, cérébrovasculaires, neurologiques et rénales. Enfin, pour les personnes les plus fragiles, les petits enfants ou les personnes âgées, les conséquences peuvent être dramatiques et aller jusqu’à la mort.

La canicule de 2003 a mis en exergue les conséquences potentiellement catastrophiques de ce phénomène sur la santé, essentiellement des personnes âgées :

Le problème tient en quelques chiffres, diffusés par l’Institut national de veille sanitaire (INVS). Pendant la grande canicule de l’été 2003, restée dans toutes les mémoires, la surmortalité enregistrée en France dans les villes petites et moyennes a été de 40 %. Elle a été de 80 % à Lyon et de 141 % à Paris |3|.

Des stratégies d’adaptation

De nombreuses villes à travers le monde mettent en oeuvre des stratégies d’adaptation et luttent de manière concrète pour réduire leurs îlots de chaleur urbains. Ces actions peuvent être menées classées en cinq axes.

La végétalisation de la ville

Tout d’abord, il est conseillé d’augmenter la présence de végétation dans les villes. En effet, celle-ci est un excellent climatiseur naturel grâce à « l’évapo-transpiration qui fait remonter l’eau depuis les racines. La majeure partie est évacuée par transpiration au niveau des feuilles. Ce processus d’évaporation par le sol et de transpiration par le végétal consomme de l’énergie et participe au rafraichissement » |4|. Dans cette optique, la solution la plus évidente consiste à planter des arbres. En plus de l’évapotranspiration ceux-ci créent des zones d’ombre très agréables en journée et qui produisent encore un effet de rafraichissement décalé dans le temps pendant la nuit puisque les espaces ombrés n’ayant pas accumulé autant de chaleur, ne la libéreront pas une fois la nuit venue. Il faudra néanmoins être attentif à sélectionner des espèces qui peuvent supporter des stress hydriques.

Mais il n’est pas toujours possible de planter des arbres, d’autres propositions plus innovantes et plus souples peuvent être mises en place, par exemple, les toitures végétale qui protègent le toit des rayons du soleil, empêchent la chaleur d’entrer et permettent ainsi une climatisation naturelle du bâtiment.

Une étude d’Environnement Canada démontre que l’aménagement des toits verts, même de faible superficie, peut contribuer à diminuer la température des villes de 1 à 2 C. Cette diminution de température peut entraîner une baisse de 5 % de la demande en électricité pour la climatisation des bâtiments |5|.

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Toiture verte sur le Chicago’s City Hall

Les façades végétales fonctionnent de la même manière. On peut voir un exemple original de mur végétal à Aix-en-Provence où le botaniste Patrick Blanc a conçu un pont végétalisé.

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Pont Max Juvénal, Aix-en-Provence

Le remplacement du revêtement des voies de tram par de la pelouse peut avoir un impact considérable. En effet, en plus de rafraîchir l’air grâce à l’évapotranspiration, la pelouse possède un albédo de 0,25 alors que le goudron a un albédo de 0,03 |6|.

Le deuxième axe consiste à augmenter la présence d’eau dans les villes car elle joue naturellement un rôle de rafraîchissement par évaporation.

Le rafraîchissement de l’air par l’eau est dû au processus de changement d’état de l’eau. En effet, lorsque l’eau s’évapore, c’est à dire qu’elle passe de l’état liquide à l’état gazeux, elle consomme une partie de l’énergie présente dans son environnement et fait ainsi baisser la température de l’air |7|.

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Brumisateurs à Paris plage

Des fontaines et des étangs peuvent être multipliés à travers les villes. Des brumisateurs peuvent aussi être installés dans des lieux publics comme à Paris, où l’on peut en trouver à Paris-plage mais aussi place de la République. Des méthodes plus radicales sont utilisées dans certains pays comme au Japon où l’on arrose directement les chaussées. Cette technique est également utilisée à Paris, elle est cependant moins efficace que la brumisation mais peut être utile dans les zones où il est difficile, voire impossible de mettre en place une brumisation ou d’ajouter de la végétation. Néanmoins, l’eau étant une ressource rare et précieuse, il conviendra de l’utiliser avec parcimonie.

Le choix des matériaux

Les matériaux de construction utilisés pour construire la ville, ses bâtiments, ses infrastructures jouent un rôle non négligeable dans la naissance et l’ampleur du phénomène. En effet, selon leur couleur et leur texture, les matériaux absorbent plus de chaleur et la stockent au lieu de la ré-émettre. Plus un matériau a une réflectivité (albédo) élevée et une émissivité élevée, moins il risque d’emmagasiner de la chaleur et de la diffuser dans l’atmosphère ou à l’intérieur du bâtiment par l’entremise des parois et du toit. Une solution simple et efficace consiste alors à peindre les toits en blanc.

La réflectivité des surfaces détermine la capacité des surfaces à refléter le rayonnement solaire. L’albédo est représenté sur une échelle de 0 à 1. Un haut albédo, par exemple 0,70, signifie que la surface réfléchit une grande quantité du rayonnement solaire. L’émissivité est la propriété d’un matériau à diffuser l’énergie qu’il accumule. L’énergie qui n’est pas diffusée contribue au réchauffement des surfaces. Le coefficient d’émissivité d’un matériau est fonction de son état de surface, et pour un métal, de son degré d’oxydation. Ce coefficient est également exprimé par une valeur située entre 0 et 1. Un matériau d’émissivité faible est un meilleur isolant thermique |8|.

La forme de la ville

La forme de la ville joue également un rôle dans la naissance d’un îlot de chaleur urbain, par exemple, un espace dégagé sera plus chaud pendant la journée mais permettra une évacuation facile de la chaleur pendant la nuit alors que des rues étroites resteront relativement plus fraches pendant la journée mais seront plus difficile à rafraichir pendant la nuit. C‘est pour remédier à ce problème que la Ville de Chicago a mis en place un programme d’adaptation de ses ruelles, l’asphalte traditionnellement utilisée pour leur revêtement y a été remplacée par du béton et de l’asphalte perméable et de couleur claire ce qui permet d’augmenter leur albédo. |9|

Le comportement humain

Puisque l’activité humaine est une des causes de l’îlot de chaleur urbain, des modifications de comportement peuvent également contribuer à son atténuation. Le remplacement de la mobilité automobile par des modes de transport doux - la marche et le vélo - mais aussi le passage à des sources d’énergie renouvelable tels que des chauffe-eau solaires ou le recours à de la climatisation passive comme les puits canadiens contribuent à réduire la part anthropique du phénomène.

Pour encourager les habitants à modifier leur comportement, la sensibilisation est la clé. On pourrait reproduire une expérience menée à Grenoble. Des élèves de l’école nationale supérieure d’architecture de Grenoble ont réalisé un parcours thermique à travers la ville, étudiant neuf lieux aux caractéristiques très différentes afin d’identifier les différents phénomènes thermiques ressentis et de comprendre, par l’expérience, par les sensations, comment la forme de la ville influence sa température |10|.

Liège, cité ardente ou îlot de chaleur urbain ?

Qu’en est-il de Liège ? Un îlot de chaleur urbain y est-il identifié ? Des mesures doivent-elles être prises ?

Liège-Paris

Malheureusement, nous n’avons pas trouvé d’étude météorologique consacrée à l’agglomération liégeoise. En guise de première estimation, nous nous basons sur une étude des îlots de chaleur urbains parisiens. Bien sûr, Liège n’est pas Paris… mais on peut comparer certains éléments analysés de manière très fine dans l’étude de Paris pour en tirer quelques leçons ou inspirations, tout en gardant le sens des proportions bien évidemment. En effet, Liège et Paris présentent certains points communs intéressants et significatifs même si les différences sont aussi notables.
Premier point commun : la présence d’un fleuve au coeur de ces deux villes. L’analyse parisienne montre un rafraichissement localisé mais réel jusqu’à quelques dizaines de mètres des rives du fleuve. Dans le cas de Liège, les quais des rives gauche et droite de la Meuse et l’entrée des rues adjacentes pourraient donc bénéficier du même effet. La Dérivation peut être comparée aux canaux parisiens ; les eaux y sont plus calmes et l’effet de rafraîchissement en est moindre.

Deuxième point commun : les deux grandes places Saint Lambert et Saint Léonard peuvent être comparées à l’esplanade située à Beaubourg devant le Centre Pompidou. Comme à Paris, ces deux vastes surfaces permettent une évacuation aisée de la chaleur.

Troisième point de comparaison : les matériaux utilisés pour construire la ville. De ce point de vue Liège pourrait être désavantagée car la plupart des maisons datant du XIXème siècle sont en briques et les toits couverts d’ardoises ou de tuiles, les toitures plates sont couvertes de « roofing » noir alors qu’à Paris de nombreuses façades sont claires et les toitures en zinc.

Enfin, quatrième point de comparaison, la présence de parcs et de végétation. Parmi les éléments positifs déjà présents à Liège, nous pouvons noter les parcs d’Avroy et de la Boverie ainsi que le Jardin botanique et le parc de la Chartreuse. Pour ces parcs, aux vertus rafraichissantes de la végétation on peut ajouter celles des étangs.

En conclusion, une stratégie liégeoise d’adaptation ?

Ces premiers éléments rapidement décrits signifient que nous devons dès à présent nous préoccuper de ce problème. En effet, même si la situation n’est pas critique, la présence d’îlot de chaleur urbain est probable et cela risque de s’amplifier dans les années à venir à cause de changements climatiques.

En tant que citoyens, nous pouvons prendre des mesures individuelles telles que la végétalisation de nos toits et façades ou encore le renforcement du caractère végétal et perméable de nos jardins. Ces mesures à petites échelles ne sont pas négligeables puisque l’ICU varie de rue à rue. Nous pouvons aussi troquer nos voitures pour des vélos ou nous déplacer plus souvent à pieds.

Nos autorités communales, quant à elles, pourraient dès à présent, commander une étude fine afin de vérifier la présence d’îlots de chaleur urbains à Liège et, le cas échéant, d’identifier les zones les plus problématiques afin d’y appliquer en priorité des solutions pratiques.

Clins d’oeil : "Summer in the City", chanson du groupe de musique américain The Lovin’ Spoonful sortie en single en juillet 1966, puis en novembre de la même année sur l’album Hums of the Lovin’ Spoonful.
"In the heat of the night", film américain réalisé par Norman Jewison, sorti en 1967 et sacré Oscar du meilleur film 1967.

Source du chapeau sur l’îlot de chaleur à Montréal, Conseil régional de l’environnement de Laval, 2008.

|1| Les îlots de Chaleur Urbains à Paris, apur, Paris, décembre 2012

|2| Les îlots de chaleur urbains - Répertoire de fiches de connaissance, IAU, Institut d’aménagement et d’urbanisme, Paris, Novembre 2010

|3| © www.sudouest.fr 2013

|4| Les îlots de chaleur urbains - Répertoire de fiches de connaissance, IAU, Institut d’aménagement et d’urbanisme, Paris, Novembre 2010

|5| Les toits verts aujourd’hui ; c’est construire le Montréal de demain, Dany Laroche, 2004

|6| FrancVert, Portrait des îlots de chaleur urbain à Montréal, Vol.2 No.3, 2005 et voir définition de l’albédo plus bas

|7| Les îlots de chaleur urbains - Répertoire de fiches de connaissance, IAU, Institut d’aménagement et d’urbanisme, Paris, Novembre 2010

|8| LIEBARD A. et DE HERDE, A. Traité d’architecture et d’urbanisme climatiques – Le Moniteur –2005.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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