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Une publication de l'asbl urbAgora

Le chaînon manquant

Un journal en ligne sur les questions urbaines à Liège
mardi 14 décembre 2010
Illustration : MPL, Philippe Doffagne.

Analyse

Lutter contre la pollution aux particules fines

Un enjeu majeur pour un véritable retour à la ville

14 décembre 2010 - par Pierre Eyben

Outre qu’elle permet d’éviter l’étalement de l’habitat en zone rurale — lequel crée des problèmes insolubles de mobilité et ronge nos campagnes —, la vie en ville offre une série d’avantages en termes de qualité de vie : commerces de proximité, infrastructures sportives et culturelles, écoles, postes,... En ville tout est à disposition (ou presque) et souvent plus proche. En conséquence, parmi les avantages de la vie en ville, un d’entre eux risque dans les années à venir de prendre de plus en plus de poids : la mobilité sans voiture. Outre la mobilité douce (marche et vélo), la densité d’habitat qu’offrent les villes ouvre en effet la possibilité, malheureusement pas utilisée comme il le faudrait, d’organiser des transports en commun efficaces.

Si la ville permet en théorie de se passer de la voiture, force est de constater que, dans les faits, on est loin du compte, notamment parce que les populations habitant en périphérie et dans les campagnes viennent en voiture jusqu’au cœur de la ville pour accéder à une série de services (commerces, culture, loisir,...). Conséquence, le trafic urbain explose et les alertes à la pollution, en particulier aux particules fines, se multiplient. La ville est perçue, à juste titre, comme un lieu de vie pollué qu’il convient de fuir. Le cercle vicieux est enclenché. Il faut ajouter à cela une forme de ségrégation sociale, malheureusement soutenue par les autorités de certaines communes périphériques plus « huppées », qui a pour conséquence une concentration dans les grandes villes et certaines de leurs banlieues des populations les plus précarisées, concentration qui induit l’idée que la réussite consiste à s’extraire de la ville pour aller construire une habitation isolée en bordure des agglomérations urbaines. Une sorte d’imaginaire « quatre façades » s’est répandu.

Malgré ce cercle vicieux, l’exode urbain semble ralentir ces dernières années, on constate un retour progressif à la ville. Si l’on souhaite un véritable « retour à la ville », il convient cependant de rendre la ville plus attractive. Ceci passera par une ville plus « verte » et notamment par une lutte efficace contre la pollution aux particules fines impliquant une baisse de la part modale de la voiture en ville. La présente analyse aborde deux éléments. Premièrement nous avons rassemblé quelques chiffres permettant de prendre la mesure de l’hégémonie du transport par route ainsi que de l’échec croissant (en matière d’impact environnemental mais également d’efficacité) de cette mobilité. Deuxièmement, nous avons analysé plus spécifiquement la pollution aux particules fines qu’engendrent les moteurs à explosion que l’on retrouve sous le capot des camions et des voitures.

Le phénomène routier en quelques chiffres

En 1970, le transport routier représentait 63% du total, contre 37 % pour le transport par voie ferrée. En 2002, les proportions étaient de 87 % pour la route et seulement 13 % pour le rail. Le transport fluvial, quant à lui, est passé depuis les années ’70 de 7 100 millions de tonnes/km à 6 104 millions de tonnes/km aujourd’hui.

Ce transfert modal est parallèle à un investissement public qui est tourné essentiellement vers la route. Le réseau autoroutier belge est très développé et bénéficie de la deuxième plus forte densité en Europe, la Belgique n’étant devancée que de peu par les Pays-Bas. Sa longueur totale est de 1 747 kilomètres. (Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_autoroutes_de_Belgique)

En 1990, les voitures avaient parcouru 60 milliards de kilomètres, en 2004 80 milliards et selon les experts en 2030, on devrait atteindre les 100 milliards. Les véhicules diesel y représentent une part croissante. La croissance des kilomètres parcourus est plus importante pour les véhicules utilitaires que pour les voitures. Depuis 1970, le trafic routier en Belgique a été multiplié par plus de 3. Les émissions de CO2 — principal gaz responsable du réchauffement climatique — liées au trafic routier ont augmenté d’environ 150% depuis 1970 et de plus de 25% depuis 1990 ! Les émissions de CO2 liées au trafic routier représentent désormais 20 % des émissions totales de CO2. Cette part est appelée à augmenter encore (voir Figure ci-dessous).

Le trafic routier est aussi responsable de presque la moitié des émissions de deux autres polluants atmosphériques, à savoir le NOx et le CO (deux gaz précurseurs de l’ozone lié au trafic routier) et de 32 % des émissions de Composés Organiques Volatils (cocktail de substances fort polluantes et dangereuses pour la santé humaine).

Le belge consacre en moyenne 1 mois et demi de revenus pour s’acheter et faire rouler son auto. Le trafic autoroutier représente plus d’un tiers du trafic total. Le belge « moyen » passe environ 6 heures par semaine dans sa ou dans une voiture.

L’industrie automobile représente aujourd’hui « la plus grande industrie capitaliste, bien plus encore que celle de l’armement ». Que ce soit au niveau du lobbying politique ou médiatique — il s’agit, de loin, de plus important annonceur publicitaire, tous médias confondus — cette industrie représente une force de pression extraordinaire.

L’impact des particules fines

Outre le C02, les voitures rejettent également de nombreux autres polluants (oxydes d’azote, monoxyde de carbone, plomb, particules fines…). Les pollutions liées aux particules fines interpellent de plus en plus. Les particules fines sont des matières particulaires qui ont un diamètre de quelques micromètres au plus. Non filtrées par les défenses naturelles de notre système respiratoire, celles-ci pénètrent profondément dans nos poumons créant des troubles respiratoires et cardio-vasculaires. Elles sont également considérées comme cancérigènes. Selon une étude publiée récemment dans la revue médicale The Lancet, les enfants vivant à proximité d’une autoroute ou d’une route à fort trafic ont un développement pulmonaire réduit et leur santé risque de s’en ressentir à l’âge adulte. Une autre étude intéressante, celle faite par l’équipe du Dr Michele De Rosa, a montré que la pollution automobile affectait la qualité du sperme. Symbole de virilité pour les dragueurs en mal de confiance, la voiture se révèle finalement plus nocive que bénéfique pour la fertilité des hommes. Les chercheurs italiens ont examiné la qualité du sperme de 85 hommes travaillant à des barrières de péage et donc exposés 6 heures par jour aux gaz d’échappement. En comparant ces échantillons à ceux des hommes vivant dans la même région, ils ont observé que les paramètres relatifs à la qualité du sperme étaient significativement moindres chez les employés des péages et même inférieurs aux normes définies par l’Organisation Mondiale de la Santé. De plus amples analyses ont permis de montrer que les protoxydes d’azote et le plomb seraient les substances les plus dangereuses.

Les scientifiques attribuent quelque 350.000 décès prématurés par an dans l’Union européenne aux particules fines et la Belgique est un des pays les plus touchés (voir illustration ci-dessous) |1|.

Les nouvelles voitures permettent de diminuer largement les « grosses » particules fines émises par les véhicules et ce faisant le nombre de microgrammes par mètre cube (µg/m3) de celles-ci dans l’air |2|. Par contre, le nombre de particules plus petites (plus dangereuses car passant plus facilement nos barrières naturelles) n’est pas diminué. Bref, il n’est pas du tout certain que les émissions de particules fines liées aux nouveaux moteurs soient moins nocives pour notre santé.

En conclusion

Plutôt que de se baser uniquement sur des progrès techniques, dont l’efficacité n’est pas toujours avérée, il existe une seule véritable solution : offrir une alternative crédible à la voiture et plus généralement au transport par route. Il ne s’agit pas comme le suggère la FEBIAC de proposer un « moyen de combattre les files dans les territoires à forte congestion » mais d’œuvrer à une alternative vouée à devenir demain le premier mode de transport. Il faut pour la majorité des déplacements un transport public collectif confortable, plus rapide et moins cher.

La ville est LE lieu pour ce développement mais cela nécessite un engagement fort des pouvoirs publics ce qui signifie concrètement un investissement important dans le transport collectif et public dans les prochaines années. Il est en effet relativement inconscient de confier à des intérêts privés soumis à une logique de marché et de profit à court terme, un domaine aussi crucial pour le devenir de notre société que le transport en commun.

Il faut dire « stop » à la logique actuelle des pouvoirs publics dans de nombreux pays — et particulièrement en Belgique — qui ont opté pour le (quasi) tout à la voiture. À Liège, il semble que certains préfèrent encore une énième bretelle autoroutière à une infrastructure de tram. A Bruxelles, le projet (minimaliste) de RER n’en fini pas d’être retardé mais l’élargissement du ring trouve des relais politiques puissants. On fait beaucoup de bruit autour des lignes rapides ou de gares prestigieuses mais on oublie de dire qu’en Belgique on a fermé 3 gares sur 4 et que le réseau ferroviaire est moins étendu qu’il y a un siècle.

Par ailleurs, il est temps de repenser sérieusement l’urbanisme sur base de critères écologiques. L’idéal — issu des Golden Sixties — d’une maison quatre façades avec jardin privatif et garage à fait beaucoup de tort. On n’a plus un habitat dense — dans les villes comme dans les villages — mais morcelé. Les centres villes — victime aussi de la spéculation et du développement des bureaux de service — sont désertés au profit de périphéries extrêmement étendues et mal desservies en transports publics. Les villages eux-aussi s’étendent de façon tentaculaire le long des axes routiers. Les zonings industriels sont conçus en bord d’autoroutes et eux-aussi mal desservis en transports en commun.

Villes agréables avec habitats collectifs et espaces verts, villages resserrés et bien desservis, zonings reliés aux chemins de fer et au transport fluvial, le travail est énorme mais vital. Se contenter de croire en une « voiture verte », serait la pire des solutions. Il convient au contraire de diminuer le nombre de voitures et d’œuvrer à d’autres modes de transport moins dangereux pour la nature et pour l’homme mais aussi infiniment plus conviviaux.

|1| Source : site officiel de l’UE.

|2| Alors que les scientifiques prônent une valeur limite de 5 à 10 microgrammes par mètre cube (µg/m3) pour les particules fines PM-2,5 (càd d’un diamètre inférieur à 2,5 micromètres), la directive sur la qualité de l’air adoptée le 14 avril 2008 prévoit 20 µg/m3

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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