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Le chaînon manquant

Un journal en ligne sur les questions urbaines à Liège
mercredi 30 novembre 2011

Analyse

Une visite guidée du quartier des Guillemins

Une nouvelle gare, une nouvelle place, un projet de tour pour les Finances, le réaménagement du quai de Meuse, une passerelle, le projet de réaménagement du site Balteau, de nouveaux îlots, un hôtel, un immeuble de bureaux rue du Plan Incliné, le passage du tram, le projet de réhabilitation du Val Benoît, et même la démolition et le remplacement du Delhaize du quai de Rome…, la liste des projets urbanistiques situés dans le périmètre délimité du quartier des Guillemins semble interminable. A quel stade de réalisation se trouvent-ils ? Quel est leur degré de certitude ? Comment s’articulent-ils les uns aux autres ? C’est à toutes ces questions que nous tentons de répondre au fil de cet exposé itinérant dans le quartier.

30 novembre 2011 - par Mathilde Collin, Olivier De Wispelaere, Gérard Debraz et Marie Schippers

Le quartier des Guillemins est en train de subir une transformation urbanistique radicale. C’est afin de proposer une vision globale des causes de ces modifications et projets envisagés que nous avons mené des visites guidées destinées aux citoyens, riverains, usagers de la gare et du quartier. Ces visites couplées avec une visite de la nouvelle gare des Guillemins ont été organisées lors de la Journée de l’architecture du 23 octobre dernier.

L’origine de ces transformations se trouve, en 1995, dans une étude de faisabilité de la SNCB qui arrive à la conclusion qu’il faut déplacer la gare des Guillemins de 150 mètres par rapport à sa situation d’origine afin de gagner 3 minutes 30 sur le trajet Bruxelles-Cologne. La courbure des quais de l’ancienne gare ne permettait en effet pas aux TGV d’entrer suffisamment rapidement en gare. D’autres arguments, tel que la sécurité sur les quais, ont également été invoqués. Cette décision allait provoquer un déplacement du centre de gravité du quartier et des impacts urbanistiques très importants pour le quartier des Guillemins dont nous tentons de rendre compte.

Pour ce faire, nous proposons la forme d’une visite guidée du quartier.

Anciennes gares des Guillemins (1863-1956) (1958-2007)

Premier arrêt : devant l’ancienne gare

Nous prenons comme point de départ, la translation de la gare qui déplace le centre névralgique du quartier de 150 mètres. La rue des Guillemins dont l’assiette est toujours la propriété de la SNCB fut créée à l’époque pour relier la gare à la ville, elle était l’axe commerçant du quartier. L’avenir de cette rue est aujourd’hui incertain, puisque l’on arrive désormais à la gare par d’autres voies : soit par l’arrière vers le parking, soit par la rue Paradis, où sont également situés les arrêts de bus.

Poistionnement de l'ancienne gare et son rayonnement sur le quartier

Pour assurer la survie des commerces de la rue des Guillemins, la plateforme guillemins.be |1| a milité pour y faire passer le futur tram, proposition qui, à l’heure où l’on écrit ces lignes, ne semble pas retenir l’attention des décideurs publics. Paradoxalement, il est à mentionner que les commerçants de la rue des Guillemins sont opposés à ce passage du tram car la rue vient d’être refaite durant toute l’année 2008 et ces travaux de longue durée ayant été très préjudiciables aux commerces dont certains ont fermé définitivement. A noter encore, qu’à cette époque toutefois, l’échevin des travaux annonçait que la bande centrale en béton était prévue pour supporter l’assise du futur tram…

Deuxième arrêt sur l’esplanade devant la gare

Zone affectée par les expropriations

Comme on peut le voir sur la photo ci dessus, la construction de la gare a coûté quelques expropriations au quartier (l’espace dégagé devant la gare). Officiellement, ces expropriations répondaient aux besoins des travaux. Les observateurs avertis auront cependant noté que les terrains ainsi libérés (et propriété de la SNCB) n’ont cependant pas été utiles aux besoins du chantier. Le projet de la Ville intitulé « Le nouvel axe urbain Guillemins Médiacité » tente notamment une recomposition de tout cet espace |2|.

L’espace devant la nouvelle gare fait l’objet d’une saga quant à son aménagement, et ce depuis une dizaine d’années. Rétroactes.
Dès 1995, peu après l’annonce de l’arrivée de la gare TGV aux Guillemins, un schéma directeur est lancé par la ville de Liège. Le bureau AGUA est alors chargé de la réalisation de ce schéma qui est un document urbanistique exploratoire à valeur non réglementaire. Son périmètre d’étude s’étend globalement du Val-Benoît au parc d’Avroy.

  • En 1998, Euro-Liège TGV sélectionne Santiago Calatrava pour concevoir et construire la nouvelle gare des Guillemins.
  • En 1999, une étude de faisabilité de la place devant la gare est commandée par la SRWT à Claude Strebelle. Cette étude aboutit à la première proposition de place triangulaire. La gare se découvre en ville comme une cathédrale dans une ville médiévale, au détour d’une rue.
  • En 2000, le permis d’urbanisme pour la gare est octroyé par la Région Wallonne avec, entre autres, comme condition la réalisation d’une place "adaptée" devant la gare.
  • En 2002, la Région wallonne adopte un plan d’aménagement à valeur réglementaire : le Plan communal d’aménagement (PCA). Son périmètre englobe les îlots construits depuis la gare jusqu’à la Meuse. Les blocs de maisons de la rue Paradis depuis la rue du Plan Incliné jusque la rue de Serbie sont aussi inclus dans ce périmètre.
  • À l’aube de l’année 2002, Euro-Liège TGV prend l’initiative de diffuser, sur ses cartes de vœux, un projet d’aménagement élaboré par Santiago Calatrava lui-même. Il s’agit d’une perspective monumentale, construite autour d’une darse qui relie la Meuse à la gare. Ce projet marque les esprits, même s’il apparaît dans un cadre informel et ne peut en aucun cas être considéré comme un projet urbanistique. Il s’agit d’un dessin, ni plus ni moins, mais il indique clairement les intentions de l’architecte et les ambitions qu’il entend donner à la valorisation de son œuvre. La propagande autour de ce dessin finit par faire croire à la population que ce projet allait être réalisé, alors que techniquement, il est impraticable.

  • En 2003, un périmètre de Rénovation urbaine (art 173 du CWATUPE) proche — dans son tracé — de celui du schéma directeur fait l’objet d’un arrêté de reconnaissance par la Région wallonne. L’association momentanée « Dethier et associés, Atelier 4D, Agence TER, Ney & Partners » est désignée comme auteur de projet pour l’aménagement d’une place de forme triangulaire devant la future gare.
  • En 2005, la Ville confie à cette association momentanée la réalisation d’une étude pour analyser la faisabilité urbanistique, juridique et financière d’une esplanade plus large allant de la gare à la Meuse.
  • En octobre 2006, à quelques jours des élections communales, le collège liégeois et son architecte, Daniel Dethier, présentent à la presse un premier projet d’ensemble pour le quartier des Guillemins.

Ce projet présente une vue plus dégagée que le projet Strebelle, mais, contrairement au dessin de Calatrava, il intègre le tissu urbain existant et propose une mixité des fonctions dans le quartier, avec des gabarits différenciés mais plus harmonieux. Il propose également le maintien la tour Dedoyard.

  • En décembre 2007, un périmètre de remembrement urbain (PRU) est adopté par la Région Wallonne. Son tracé est encore différent des autres périmètres d’aménagement et de réflexion qui se sont succédé sur le site. Il porte sur une superficie de 21 hectares alors que la superficie de l’esplanade est estimée à 4,1 hectares.
  • Le PRU est une procédure légale — créée en 2006 par le ministre Antoine — qui permet l’expropriation pour cause d’utilité publique et soumet les permis d’urbanisme directement au fonctionnaire délégué de la Région Wallonne celui-ci pouvant s’écarter des outils d’aménagement existants pour délivrer le permis. Ce PRU est associé dans le cas des Guillemins au projet de Dethier et Associés commandé par la ville de Liège.
  • En octobre 2008, un nouveau projet est présenté à la presse pour la place — désormais trapézoïdale — devant la gare. L’association momentanée Dethier et Associés dépose un nouveau dossier de permis d’urbanisme.
  • En octobre 2009, l’échevin de l’urbanisme s’engage, après discussion avec la plate forme Guillemins.be, à garantir 50% de logement dans les nouveaux projets immobiliers qui seront développés sur l’esplanade.
  • En janvier 2010, après d’interminables discussions, a lieu la première réunion de la Société de développement de Liège-Guillemins (SDLG) qui a pour mission d’orchestrer « le développement, la réalisation et l’exploitation de l’espace immobilier définis au périmètre de remembrement urbain ». Cette nouvelle mouture se réunit sans la SNCB). Il y a enfin un pilote dans l’avion...
  • En décembre 2010, dans la plus complète opacité, un accord aurait, selon la presse, été trouvé entre la Ville de Liège et la SNCB pour l’aménagement de la place.
  • Enfin, en octobre 2011, les études techniques du futur tram liégeois mentionnent un passage par la Place, qui n’était prévu dans aucun des projets. Le trajet retenu déboucherait de la rue Varin, aboutirait sur l’esplanade où il ferait un arrêt, continuerait sa traversée en oblique pour rejoindre la rue Paradis et de là l’avenue Blonden. L’espace réservé aux bus se situerait quant à lui sur l’autre côté de l’esplanade (Paradis).

En nous dirigeant vers notre troisième halte, mentionnons encore deux projets.

A la droite de la place, la construction d’un nouvel hôtel est envisagé, celui-ci serait associé à un nouvel îlot de bureaux et de logements, cet ensemble devrait intégrer la Tour Rosen, bâtiment classé datant de 1516 |3|.

A gauche, le terrain Balteau ; des projets de réaménagement de ce site ont été présentés grâce au concours Europan |4|. Le terrain est constitué d’une friche industrielle que ces projets visent à réhabiliter en créant du logement collectif en intérieur d’îlot afin de permettre une densification de l’habitat et un bâtiment sur la parcelle de la rue Paradis qui pourrait abriter le futur Centre wallon du Design. Le projet est géré par la SPI+ qui doit lancer un nouvel appel à projet au début 2012 |5|.

3ème arrêt La tour des Finances

Quelle que soit l’option retenue pour la future place, les bâtiments qui abritent l’administration des finances doivent être abattus, au moins en partie. Une polémique existe en effet autour de la sauvegarde de la tour Dedoyard, architecte liégeois connu notamment pour les Bains et Thermes de la Sauvenière (1942) classés en 2004 |6| ou encore le Pont des Arches (1947).

Les bâtiments des Finances appartenaient aux pouvoir publics jusqu’à ce que Didier Reynders, conseiller communal liégeoise et ministre des Finances, mette en œuvre une opération de Sell-&-Lease back au cours de laquelle, il vend les bâtiments des Finances (entre autres) à Fedimmo, société privée, filiale de Befimmo, qui devient par là même le plus gros propriétaire foncier du quartier.

En 2009, les bâtiments étant obsolètes, la régie des bâtiments lance un appel à projet pour la construction de nouveaux bureaux. Il ne s’agit cependant pas d’un concours d’architecture, mais bien d’un appel à projet « clé sur porte » puisque le soumissionnaire doit apporter le terrain à bâtir... La ville de liège voulant à tout prix garder la fonction des finances dans le quartier, seuls deux projets pourraient être rentrés celui de Fedimmo et celui de la SNCB situé rue du Plan incliné. Les deux propriétaires des lieux, en somme. Cependant, la SNCB a reçu, dans des délais intenables pour permettre une adaptation de sa proposition, un CU2 conditionné (sorte de pré-permis pour peu que le projet se conforme à toute une série de recommendations) ; de sorte qu’elle n’a pas pu rentrer sa candidature même si elle aurait pu demander un délai. Le projet Fedimmo a donc été retenu par défaut...

Ce projet propose la construction d’une tour de 25 étages (130m) sur l’actuel parking des Finances. Il suscite plusieurs réactions négatives, tant sur la procédure d’attribution que sur la hauteur de la tour, l’ombrage à des bâtiments situés le long du quai de Rome ou encore sur ses piètres performances énergétiques.

A terme, après la démolition des bâtiments des Finances, il est prévu de construire sur l’esplanade de nouveaux îlots destinés à accueillir des bureaux et du logement à 50/50. A ce stade, il n’existe pas de budget identifié pour la réalisation de ce projet qui dépend qui plus est d’un accord entre la Ville et Fedimmo. Il est de plus prévu que Fedimmo cède une partie du terrain pour réaliser l’esplanade.
De son côté, la SNCB construit quand même ses bureaux, espérant trouver des candidats à l’occupation. Officiellement, Tecteo serait intéressée. A moins que les nombreux recours contre le projet Fedimmo n’imposent un délai trop long et que les Finances ne doivent déménager plus tôt, état des bâtiments actuels oblige... Signalons que la construction d’un immeuble à cet endroit serait très positive pour la rue des Guillemins, en rééquilibrant le quartier autour de celle-ci.

4ème arrêt : Sur le quai de Rome

Nous aurions voulu faire une dernière halte sur le quai pour exposer le projet d’aménagement des quais et de la passerelle, malheureusement, la traversée des chaussées est impossible, il n’y a pas d’espace suffisamment grand pour accueillir un groupe et le bruit de l’importante circulation automobile rend un exposé impossible.
L’aménagement des quais par la réduction de l’emprise de la voiture n’en est rendu que plus indispensable.

Le projet conçu par le paysagiste Corajoud propose une vision bien équilibrée d’un espace urbain dans lequel tous les usagers de la ville trouve leur place, cet espace prendra la forme d’un boulevard où la vitesse sera effectivement modérée grâce à plusieurs carrefours à feux et à la présence de nombreux passages pour piétons. Le franchissement des flux automobiles par les piétons et les cyclistes ne posera alors plus de problème et le bord de Meuse redeviendra un espace agréable, accessible aux usagers lents, propice à la promenade.

Il donnera ainsi accès à la Passerelle dont la construction est prévue à cet endroit afin de relier le quartier des Guillemins avec le parc de la Boverie et le Ravel qui remonte après avoir longé le Palais des Congrès, celle-ci a également été conçue par le Bureau Corajoud. Pour plus de détails, nous renvoyons à ce sujet vers le communiqué de presse d’urbAgora concernant le projet |7| ainsi que l’avis rendu lors de l’enquête publique |8|.

Conclusion

La translation de la gare des Guillemins a donné lieu à une nouvelle gare désormais célèbre, mais à part cette réalisation, on observe désormais une friche gigantesque à l’endroit qui doit devenir nouveau cœur du quartier.

Le nombre de projets : la place devant la gare, la tour des Finances, le projet Balteau, l’immeuble de bureaux de la SNCB,… et les différents acteurs en présence : la Ville, la SNCB, Fedimmo, la SPI+ , confère au projet de réaménagement du quartier un caractère extrêmement complexe et à certains égards inextricables. Une coordination générale de l’ensemble des projets nous apparaît comme plus qu’impérative. Celle-ci devrait être menée par la Société de Développement de Liège Guillemins (SDLG)…

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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