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Le chaînon manquant

Un journal en ligne sur les questions urbaines à Liège
dimanche 31 octobre 2010

Analyse

La métropole et ses habitants

Penser la ville pour ses habitants et assumer son rôle de métropole : un défi pour Liège

31 octobre 2010 - par Jean-Michel Lafleur

Comme en attestent encore aujourd’hui de nombreux centres urbains en Europe et en Amérique du Nord, les décennies qui ont suivi la fin de la seconde Guerre ont profondément modifié le rapport de l’Homme à la ville. Le désir de liberté auquel répondait alors la voiture individuelle se développe dans un contexte économique florissant qui lui-même encourage les pouvoirs publics à préparer la ville à l’avènement de la voiture reine. Ajouté à l’utopie automobile, le désir des villes de se doter d’une image moderne collant à leur puissance industrielle va sensiblement modifier l’apparence de nombreuses villes, parfois au détriment des quartiers existants. La Belgique et la Ville de liège en particulier semblent avoir particulièrement participé à ce double mouvement comme de nombreuses infrastructures en témoignent encore aujourd’hui : autoroute à Fontainebleau, aménagement des Quais de Meuse et de la Dérivation, abandon du projet de métro, développement d’un urbanisme ayant peu d’égards pour le bâti existant et, dans une certaine mesure, le déplacement de l’université au Sart-Tilman. Certains de ces projets sont aujourd’hui considérés comme autant de cicatrices témoignant des dégâts du « tout à l’automobile » pour le tissu urbain. Ils endommagent encore la qualité de la vie en ville.

Outre la dégradation du tissu urbain, Liège doit faire face depuis plusieurs décennies au déclin des industries lourdes et à l’installation d’un chômage endémique parmi la population. Cette situation a progressivement conduit à l’installation d’une population paupérisée sur le territoire de la Ville de liège et à l’exode de citoyens aisés vers certaines banlieues environnantes. La fuite vers la banlieue s’est trouvée d’autant plus facilitée par l’absence de politique cohérente de développement du territoire à l’échelle de l’agglomération et la concurrence fiscale que se font les communes pour attirer de nouveaux citoyens. En diminuant les moyens financiers disponibles et en s’attaquant à l’attractivité de la Ville, ces différents éléments limitent considérablement la capacité des pouvoirs publics et du secteur privé à s’engager dans des projets ambitieux de rénovation urbaine à Liège. De cet état de fait, il résulte également que de nombreuses communes voisines de Liège ont vu leur population sensiblement augmenter en créant des banlieues développées de façon anarchique sans considération pour les enjeux de mobilité, de développement durable et même paysager.

Depuis près d’une décennie, un nouveau discours sur le redéveloppement de la région liégeoise et sur le renouveau urbain à Liège semble pourtant progressivement émerger parmi les représentants de l’autorité communale. Liège entrevoit donc à nouveau son avenir au travers de la transformation de la ville. Tout comme il y a 60 ans, la « modernité » voudrait donc que l’on transforme la ville. Pour ce faire, une série de projets modifiant profondément son visage sont d’ailleurs à l’étude ou en cours de réalisation avec l’idée centrale de faire à nouveau de Liège une ville moderne : aménagement du quartier des Guillemins et de la Boverie, projet de tram, exposition internationale à Coronmeuse…

À ce discours volontariste sur la rénovation urbaine de la part des édiles communaux, s’ajoute une série de moyens financiers européens ou régionaux qui laissent penser que la ville pourrait réellement avoir un visage différent d’ici dix ans. Il nous semble toutefois important de souligner que, en l’absence d’une réflexion sur la gouvernance de l’agglomération liégeoise et face à la difficulté à réfléchir une nouvelle identité pour la ville, ce processus de rénovation urbaine pourrait se faire en négligeant la qualité de vie des habitants de la ville.

Le premier élément qui constitue une entrave sérieuse au processus de rénovation urbaine à Liège est l’inadéquation des outils de décision politique (et des moyens financiers y afférents) aux enjeux de la rénovation urbaine. Liège est aujourd’hui une ville approchant les 200 000 habitants si l’on s’en tient à la population habitant uniquement le territoire de la commune de Liège. Il est toutefois raisonnable de penser que l’agglomération liégeoise ne compte pas moins de 500 000 habitants. Ceux-ci dépendent de façon plus ou moins régulière de Liège pour leur travail, pour accéder à l’éducation, aux soins de santé, à la culture ou à la consommation de biens et services. Cette agglomération d’un demi-million d’ habitants est pourtant dépourvue d’outils de décisions permettant d’envisager son développement harmonieux.

Si de nombreux acteurs politiques et économiques liégeois s’accordent aujourd’hui à dire que l’échelon provincial est inadapté aux enjeux de l’agglomération (en raison de l’étroitesse de ses compétences et de sa couverture géographique trop large), la constitution d’une véritable communauté urbaine tarde encore à se concrétiser. Bien entendu, la création d’un nouvel échelon de pouvoir intermédiaire doté d’un véritable pouvoir de décision au niveau de l’agglomération (ou le remplacement des provinces par celui-ci) permettrait de mettre en œuvre une véritable politique d’aménagement du territoire. Toutefois, les réformes institutionnelles qu’exige la création d’un tel organe rendent cette solution peu praticable à court ou moyen terme. Par ailleurs, les solutions mises en place jusqu’à présent pour discuter des enjeux d’agglomération à l’échelle supracommunal n’ont donné aucun ou très peu de résultats. Ainsi la « Conférence des Bourgmestres » et la « Coordination provinciale des pouvoirs locaux » manquent d’un réel pouvoir de décision et ont été jusqu’ici des espaces de discussions plutôt qu’un outil pour élaborer une politique commune à l’échelle de l’agglomération.

Il y a ensuite le « Groupe de Redéploiement Economique » (GRE-Liege) dont la légitimité a été mise en cause à de nombreuses reprises jusqu’à sa réforme en 2010. Cet outil, doté de moyens financiers considérables et rassemblant différents acteurs du monde politique et économique liégeois, est aujourd’hui à la manœuvre dans nombre de dossiers qui auront un impact significatif sur le visage de la ville dans la décennie à venir (retour du tram, exposition internationale en 2017, centre international d’art et de culture…). S’il faut se réjouir qu’un outil supracommunal permette de développer une réflexion stratégique sur l’avenir de Liège, il faut aussi s’interroger sur la légitimité démocratique de cet instrument. En ce qui concerne le projet d’exposition internationale sur le site de Coronmeuse en 2017 par exemple, le GRE agit en tant que coordinateur de la candidature liégeoise et a suggéré que le thème de la candidature liégeoise soit « Imaginer de nouveaux modes de vie durables grâce à la créativité de l’homme ». Bien que le thème semble en phase avec les problématiques internationales contemporaines, l’on peut tout de même se poser la question de savoir si la population liégeoise y adhérera alors même que ce projet, s’il est retenu par le Bureau International de Expositions, va modifier profondément un quartier de la ville mais aussi sa politique culturelle pour de nombreuses années.

On se souviendra qu’en 2008-2009, un collectif de citoyens liégeois tenta en vain de convaincre la Ville de Liège de présenter sa candidature au titre de Capitale Européenne de la Culture en 2015. Afin de contourner l’opposition des autorités à une telle candidature, le collectif parviendra même à récolter un nombre suffisant de signatures pour l’organisation d’une consultation populaire. Si la consultation ne put être dépouillée faute d’avoir atteint le seuil de participation, la mobilisation qu’elle engendra permit néanmoins d’établir qu’une partie conséquente des citoyens étaient prêts à adhérer à un projet culturel ambitieux pour leur ville. La prise en main du dossier d’expo internationale en 2017 par le GRE ne permet pas d’établir un tel constat. Elle pose, en effet, la question de l’implication du citoyen dans le processus de rénovation urbaine. Or, qu’il s’agisse du projet d’expo en 2017 ou de tram, la réussite de ceux-ci dépendra avant toute chose de l’adhésion des citoyens. Pour cette raison, nous pensons qu’une plus grande attention aux mécanismes de la démocratie participative dans la gestion des dossiers de rénovation urbaine permettrait d’éviter les écueils du passé.

L’adhésion du citoyen à la transformation urbaine à Liège est également au cœur de la seconde préoccupation dont nous voulons parler ici. Alors que Liège semble retrouver de nouvelles ambitions internationales par le biais de différents projets urbanistiques, culturels et touristiques, l’on s’interroge toujours sur l’image qu’elle veut donner d’elle-même à l’extérieur. L’ouverture de n’importe quel guide touristique international dresse aujourd’hui à peu près le même cliché de la ville : une ville chaleureuse ayant un certain nombre d’atouts mais ayant des difficultés à les mettre en valeur. La rhétorique des décideurs liégeois semble pourtant faire abstraction de ce déficit d’image en parlant de leur ville en terme « métropole eurégionale » voire même de « métropole européenne ». Pour conforter leurs dires, ils utilisent d’ailleurs en permanence la gare SNCB de Santiago Calatrava tel un totem incarnant le passage de Liège vers la « modernité ». L’utilisation des dossiers de transformation urbaine à des fins symboliques nous fait pourtant craindre que ces projets ne collent pas aux besoins de la population qui vivra dans ces nouveaux quartiers, qui utilisera ces nouveaux modes de transports ou qui participera à ces grands événements culturels. À cet égard, on peut craindre que le projet de réalisation d’une énorme tour de bureaux dans le quartier des Guillemins ou le tracé préliminaire du tram ne soient pensés que comme totems cherchant à affirmer le renouveau liégeois. La solution nous paraît ici encore d’impliquer de façon plus importante la population dans le processus décisionnel afin de s’assurer que ces nouvelles infrastructures -qui seront le visage que Liège offrira demain au reste du monde - collent réellement aux besoins actuels et futurs de la population liégeoise.

Nous conclurons donc en insistant sur la nécessité d’une plus grande ouverture des décideurs envers la société civile afin de réussir le processus de rénovation urbaine dans lequel Liège semble s’être engagé. Cette implication nous semble d’autant plus pertinente qu’il existe à Liège un tissu associatif dense et désireux de s’investir dans les affaires de la cité.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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