Le présent site est l'ancêtre de la revue Dérivations. Il reste en ligne à titre d'archive.

Une publication de l'asbl urbAgora

Le chaînon manquant

Un journal en ligne sur les questions urbaines à Liège
vendredi 8 janvier 2010

Analyse

Territoire et urbanisme : des enjeux éco-sociaux

Stopper l’étalement urbain et densifier les centres des villes pour répondre au défi climatique et limiter la précarité.

8 janvier 2010 - par Mathilde Collin

La « ville durable » est devenue un sujet à la mode depuis quelques mois. Mangée à toutes les sauces, elle n’en traduit pas moins une préoccupation de plus en plus importante pour les impacts environnementaux et parfois sociaux de nos manières d’habiter. Les différentes visions proposées correspondent aussi à des analyses et à des diagnostics différents quant aux éléments jugés problématiques et à ce que nous sommes prêts à consentir pour y remédier.

Ce texte tente d’apporter sa contribution au débat, en proposant une lecture liée à l’aménagement du territoire, et en particulier à la densité des lieux de vie. Le choix de cet angle d’approche se justifie d’une part par la priorité de stopper l’étalement urbain en Région wallonne et, d’autre part, parce qu’il permet de poser un cadre systémique dans lequel pourront ensuite s’inscrire des réflexions plus fines, élaborées à des échelles plus micros.

Les villes, émettrices de gaz à effet de serre ?

Alors que la moitié de la population mondiale vit désormais en ville, la responsabilité des agglomérations dans le réchauffement climatique semble écrasante : celles-ci n’occupent que 2 % de la surface de la planète, mais elles concentrent 80 % des émissions de CO2 et consomment 75 % de l’énergie mondiale |1|.

La tentation est donc grande de cibler les villes comme responsables du réchauffement climatique. Pourtant, ramenées au nombre d’habitants, les villes ont des émissions CO2 particulièrement faibles par rapport aux moyennes nationales. Les rejets par habitant des New-Yorkais représentent moins d’un tiers de la moyenne des Etats-Unis ; chaque Barcelonais émet moitié moins de gaz à effet de serre que l’Espagnol lambda ; tout comme les Londoniens font deux fois mieux que l’ensemble des Britanniques. Au Brésil, même les tentaculaires Sao Paulo et Rio affichent des émissions per capita qui ne dépassent pas un tiers de la moyenne brésilienne.

L’explication est connue : une ville compacte, mélangeant logements et activités et desservie par des transports en commun est moins polluante qu’un habitat individuel diffus fondé sur le règne automobile. Il n’y a pas de quoi blâmer les villes, donc : loin d’être le problème, elles constituent une partie significative de la solution. Il n’en reste pas moins que la concentration des activités polluantes en ville, elle, est un problème. Elle a pour conséquence de réduire la qualité de vie, la convivialité, la beauté. Elle a des impacts lourds sur la santé des habitants et des usagers de la ville.

A contrario, l’étalement urbain, c’est-à-dire le développement de surfaces urbanisées en dehors des noyaux d’habitat, en périphérie des villes, génère des consommations énergétiques importantes tant au niveau des déplacements qu’elle induit que des bâtiments : l’isolation est bien meilleure dans un habitat mitoyen que dans une maison « quatre façades ».

JPEG - 894.5 ko
Image 1 : Exemple d’aménagement urbain « étalé » : domaine des Waroux à Ans.

Etalement urbain en Wallonie

En Région wallonne, le phénomène de l’étalement urbain est particulièrement inquiétant depuis quelques décennies |2|.

— Durant ces 20 dernières années nous avons urbanisé chaque semaine 45 ha d’hectares agricoles, sans compter les infrastructures routières ;

— La superficie moyenne des nouvelles parcelles n’a cessé de croître depuis 20 ans : de 8 ares en 1980, elle est passée à 11 ares en 2000 ;

— L’étalement des constructions mite le territoire. Ce faisant, il abîme les paysages dont on voudrait pouvoir jouir et provoque un appauvrissement de la biodiversité car le morcellement des espaces naturels provoque des coupures dans les réseaux écologiques. La faune et la fore sont en régression de 30 à 40 % depuis 20 ans.

JPEG - 305.9 ko
Image 2 : A contrario du modèle wallon, la ville de Maastricht a une délimitation claire de ses contours, visibles en vue aérienne. La distinction ville-campagne y reste pertinente.

Conséquences environnementales, économiques et sociales de l’étalement urbain

La construction à l’infini de maisons « quatre façades » est foncièrement nuisible du point de vue de la consommation d’énergie. Mais pas seulement.
En premier lieu, l’étalement urbain détruit les terres agricoles, alors que tout indique que nous serons forcés, à plus ou moins brève échéance, à relocaliser notre production alimentaire |3|. Il sera alors indispensable pour les villes de disposer de ressources agricoles à proximité. Encore faudra-t-il que ces terres soient affectées à la production alimentaire humaine, car l’on risque de voir se développer de nouvelles affectations des cultures, notamment les agro-carburants. Des choix clairs doivent être posés, dès maintenant, pour parvenir à réconcilier harmonieusement villes et campagnes dans notre Région.

En deuxième lieu, l’étalement urbain implique des dépenses considérables pour les pouvoirs publics locaux. La construction et l’entretien des voiries pour les nouveaux lotissements, le réseau de câblage, les canalisations d’eau et de gaz, les services communaux tels que le ramassage des poubelles, sont autant de frais à charge des collectivités locales, qui ont un coût per capita jusqu’à trois fois plus élevés qu’en zone dense, comme le montre le tableau ci-dessous |4|.

Les surcoûts en investissement s’élèvent quant à eux pour l’ensemble de la Wallonie, sur les trente dernières années, à plus de 8 milliards d’euros, sans compter les coûts d’entretien.

Les coûts d’entretien seront en outre à charge des générations futures, alors que celles-ci seront contraintes, compte tenu de l’augmentation du prix de l’énergie, soit de déserter progressivement ce type de lotissement, soit de financer d’onéreux plans de mobilité alternative.

Qui plus est, les centres urbains ont aussi des frais liés à l’étalement urbain. En effet, la famille-type résidant en zone rurbanisée se rend le plus souvent en ville en voiture. Ceci a des impacts négatifs non seulement en terme d’encombrement automobile, de pollution et d’insécurité routière dans les villes, mais aussi en termes financiers : la commune « hôte » doit financer les plans d’aménagement des voiries, leur entretien, consacrer de l’espace au parking. Lui incombent aussi les interventions policières et des services de secours plus fréquents étant donné le risque plus élevé d’accidents de la route.

PNG - 165.4 ko

Les coûts publics sont donc relativement élevés, là où les constructions « clé sur porte » avec accès aisé au terrain rapportent des bénéfices bien plus juteux aux entreprises du secteur immobilier et de la construction que les chantiers de la rénovation urbaine. Les secteurs automobile et pétrolier ne s’en plaindront pas.

En troisième lieu, en cohérence avec ce qui précède, les zones rurbanisées sont moins bien fournies en services publics que les zones denses, ce qui rend l’usage du véhicule individuel indispensable pour l’accès aux services de base : école, petits commerces, bureau de poste, crèche. La population qui y réside est donc une population suffisamment aisée pour s’offrir l’achat et l’utilisation d’au minimum une voiture, le plus souvent deux pour un ménage. La population précarisée, tant qu’il n’y aura pas d’offre de logement à faible prix et un ensemble de services minimums, ne sera pas demandeuse d’y vivre. Elle est donc reléguée de fait dans les quartiers urbains denses qu’on laisse par ailleurs dépérir.

Enfin, le mode de vie « au calme et à l’air pur » ne favorise guère les relations sociales sur le lieu d’habitat. La distance entre les maisons aussi bien que la rareté des lieux de socialisation (café, épicerie, arrêt de bus…), ou encore le mode de déplacement automobile (il arrive qu’on rentre et sorte de sa maison EN voiture) rendent les rencontres entre voisins plus que fortuites.

Stopper l’étalement urbain et recréer des noyaux d’habitat denses

Au vu des éléments qui précèdent, nous pouvons affirmer qu’il doit être mis un terme à l’étalement urbain. Deux axes d’action peuvent être mis en oeuvre de manière complémentaire : enrayer le mouvement en cours et rendre la vie en ville plus attractive.

Le premier axe consiste essentiellement à ne plus délivrer de permis d’urbanisme pour des nouveaux lotissements à très faible densité. L’habitat continu doit redevenir la norme, et il faudra oser le débat sur les constructions en hauteur. La fiscalité foncière peut aussi jouer un rôle, ainsi que l’orientation des primes à l’acquisition et à la rénovation de l’habitat en fonction de la densité de la zone et du caractère continu du bâti. Plus ambitieuse encore, une révision des plans de secteur devrait pourtant permettre de reconvertir des zones constructibles en zones agricoles, par exemple, selon des modalités à définir.

Le deuxième axe signifie « réussir la densification des villes wallonnes ». La ville de Liège compte un peu plus de 2 700 habitants au km², seulement 1 800 si l’on se réfère à l’agglomération. Par comparaison, Bruxelles a une densité de 6 238 habitants/km², Nantes 4 146, Paris 20 333. Il y a donc une marge d’évolution conséquente.

Au départ de la structure actuelle de la ville de Liège, nous proposons de densifier plusieurs noyaux urbains, et non pas uniquement le centre-ville, de manière limiter l’encombrement. Ces noyaux doivent s’articuler autour d’un réseau de transport en commun dont les centres sont les gares IC (nous proposons par exemple Liège Guillemins, Ans, Seraing, Bressoux et Herstal).

La densification des noyaux urbains permettra de cesser de galvauder l’espace environnant. Elle limitera les dépenses publiques à long terme et favorisera la mixité sociale.

Tant la densification que l’accessibilité financière au logement impliquent une politique financière massive en politique du logement et de l’urbanisme. Il faut construire, réhabiliter, regagner la maîtrise foncière, permettre les formes collectives d’habitat. Il faudra aussi oser ouvrir le débat sur les questions d’occupation du sol, de la construction en hauteur, de la gentrification.

Conclusion

Faire de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire des enjeux climatiques à part entière, c’est du même coup lutter efficacement contre la précarité en ville. Cela apportera en outre une amélioration des relations sociales et du bien-être tout en constituant un levier pour une saine gestion des finances publiques. Le défi est de concilier densification et bien-être en ville sans pour autant éloigner la pauvreté des lieux d’habitat et des coeurs urbains.

Notre vision est à contre-courant d’une vision de la ville qui serait attractive pour les visiteurs internationaux, par ses « gestes architecturaux » et pour les promoteurs immobiliers friands de spéculation, par ses espaces « assainis et revitalisés ».

À l’inverse, nous plaidons pour une ville attractive pour les gens qui voudraient y habiter par la qualité et la proximité de ses services, qui serait accessible financièrement grâce à une politique publique de logement efficace. Cette ville à plusieurs noyaux serait avantageuse pour les finances communales par la réorientation des investissements dans les zones denses, et donc moins chères par habitant. Elle serait tout simplement agréable pour ses usagers et habitants, du fait de la qualité de ses transports et espaces publics.

Elle est aussi une condition sine qua non à notre victoire collective contre la catastrophe climatique. La réalisation des objectifs internationaux de réduction des gaz à effets de serre, que nous espérons les plus ambitieux possibles, ne seront pas possibles sans une politique urbaine du type de celle que nous préconisons ici.

|1| DOMAN, D., Blaming cities for climate change ? An analysis of urban greenhouse gas emissions inventories, In Environment and Urbanization, 2009, 21, 185-201.

|2| MRW-DGATLP, Ministère de la Région Wallonne, De nouvelles formes d’urbanisation pour de nouveaux quartiers en Wallonie, Plaquette CPDT n°3.

|3| Voir à ce sujet le dossier « Slow Food » de la Revue Etopia n°3, 2008.

|4| HALLEUX, J.-M., LAMBOTTE, J.-M. & BRÜCK, L., Etalement urbain et services collectifs. Les surcoûts d’infrastructure liés à l’eau, In Revue d’économie régionale et urbaine, 21, 2008/1, pp. 21-42.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

Postez un commentaire

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.