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dimanche 22 décembre 2013

Analyse

Quelles priorités dans le développement de l'habitat à Liège ?

22 décembre 2013 - par Antoine Faja

Comment la ville de Liège doit-elle se développer ? Où et de quelle manière doit-elle accueillir les habitants qui souhaitent ou pourraient souhaiter s’y installer ? La question mérite d’être posée, au vu de l’impression d’improvisation qui prédomine face au développement urbain de la Ville. Et la non-publication de documents aussi importants que le Plan urbain de mobilité (PUM) ou l’étude transurbaine ne facilite évidemment pas les choses.

La multiplication de grands projets

Les grands projets immobiliers résidentiels se sont multipliés ces dernières années à Liège. On peut tenter de faire une recension des éléments les plus significatifs dans le paysage.

  • Bavière. Le projet avait franchi toutes les étapes des procédures d’urbanisme. Il était donc question de construire sur ce site très central pas moins de 600 logements. Depuis notre dernière publication sur le sujet |1|, peu de choses ont évolué, en dépit de quelques effets d’annonce avant les dernières élections communales.
  • CAR : le très vaste (environ 65 ha) site public et bicommunal du charbonnage Ans-Rocourt fait l’objet d’intenses spéculations, notamment sous l’impulsion de la commune de Ans, même si rien de concret n’est défini à ce stade. Plusieurs milliers de logements pourraient y être construits.
  • Chartreuse : entre 300 et 400 logements sont prévus, en plusieurs phases |2|.
  • Chênée : un très grand projet est envisagé sur les terrains montant de Chénée vers Beyne-Heusay. Il est question d’y construire rien moins que 1200 à 1500 logements.
  • Droixhe : la reconversion est en souffrance ; mais c’est pas moins d’un millier de logements qui sont concernés.
  • « Eco-quartier » de Coronmeuse : on parle de pas moins de 200.000 mètres carrés de nouvelles constructions, dans un projet mixte (bureau, commerce et logement), dont au moins 60% de logements, soit au moins 1200 nouveaux logements |3|.
  • « Eco-quartier » du Sart-Tilman : projet en cours (92 nouveaux logements).
  • Esplanade des Guillemins : projet en cours, incertain à ce stade. Possibilité de plusieurs centaines de nouveaux logements.
  • Fayembois. Plusieurs projets. 110 nouveaux logements prévus dans le lotissement du « Verger de Fayembois » ; rue Bois-de-Breux.
  • Fontainebleau, volonté de la Ville de reconvertir la percée routière en boulevard, mais les moyens manquent.
  • Koteaux : projet de construction de 232 kots au bout de l’esplanade Saint-Léonard.
  • Patience & Beaujonc (Glain), projet mixte autour du futur hôpital du CHC. Il est question d’y construire 800 nouveaux logements.
  • Pré-Aily, au Sart-Tilman : projet en cours, 250 logements répartis dans des maisons et des appartements ;
  • Val Benoit, dans le cadre de ce grand projet mixte, le Master plan envisage l’implantation (via construction ou rénovation) de plus de 30.000 mètres carrés de logement, soit environ 300 logements.

Nous tentons de représenter ces projets sur la carte suivante.

Certains de ces ensembles ont déjà obtenu un permis, d’autres sont au stade de la demande de permis, d’autres encore sont toujours au stade de la conception. Mais tous se présentent comme susceptibles d’aboutir dans la décennie à venir.

Au total, rien que dans ces grands projets, on approche des 10 000 nouveaux logements envisagés (soit au moins 25 000 nouveaux habitants). À ces projets majeurs s’ajoutent évidemment des dizaines de projets de plus petite taille qui éclosent chaque année, et l’existence d’un potentiel important dans la rénovation du parc existant, qui reste sous-utilisé, notamment en ce qui concerne les espaces situés au-dessus des commerces dans le centre-ville, mais plus généralement les immeubles aujourd’hui inoccupés |4|.

Une croissance attendue de la population : oui, mais laquelle ?

Face à une telle profusion, la question doit être posée de la réalité de la demande et de la capacité du marché immobilier local à absorber cette nouvelles offres.

Car s’il a de réels motifs de se réjouir que les projets fleurissent en ville — une pression à la baisse sur le prix du logement, un impact positif pour les finances communales ou la perspective d’une densification du territoire face aux logiques de mitage —, la multiplication non contrôlée des projets pourrait aussi avoir des effets franchement contre-productifs, notamment en fragilisant puis en tuant les projets les plus centraux qui sont aussi les plus délicats à mener et les plus pertinents dans une perspective de développement harmonieux de la Ville. C’est manifestement déjà le cas avec des projets comme Droixhe ou Bavière qui sont en grande difficulté depuis longtemps alors que chacun s’accorde sur la nécessité de les faire aboutir.

Bien sûr — on l’a entendu et réentendu —, le Bureau du plan annonce une augmentation de la population wallonne de 30 % en un demi-siècle : un million de nouveaux habitants sont attendus d’ici 2060. Et chacun s’accordera sans doute sur le fait qu’il est nettement préférable de pouvoir accueillir ces nouveaux venus au sein des agglomérations plutôt que de voir leur arrivée s’accompagner de nouvelles poussées dans l’étalement urbain et le mitage du territoire.

Nous observons, dans les discours politiques, un déficit d’analyse patent sur le profil de ces nouveaux habitants. Qui sont-ils en réalité ? Des jeunes familles fondées par des travailleurs qualifiés qui viennent s’établir à Liège avec armes et bagages, attirés par la vista des échevins CDH qui ont tout fait pour les voir venir ? Ou un public plus bigarré, composé de jeunes et de vieux, de personnes disposant d’une situation stable et d’autres plus précaires, de gens qui cherchent à s’installer durablement à Liège et d’autres qui ne sont que de passage pour quelques mois ou quelques années. On n’en sait pas grand-chose en fait, mais il y a fort à parier qu’une bonne partie d’entre eux ne soient pas en mesure d’acquérir ou de louer les logements de moyenne et haute gamme qui composent l’essentiel des développements envisagés.

Cette impression recoupe des discussions informelles que l’on peut avoir avec des promoteurs, ressort un chiffre régulièrement cité : celui d’une capacité d’absorption actuelle d’environ 350 logements neufs par an, sur le territoire de la Ville de Liège — bien loin des 1000 logements neufs et plus que les acteurs immobiliers semblent prêts à mettre sur le marché ?

Autrement dit : il est à peu près certain que tous les projets qui sont sur la table ne verront pas le jour. Et il y a fort à parier que les critères qui détermineront ceux qui aboutiront et ceux qui resteront sur le papier n’auront, dans l’état actuel des choses, des outils disponibles et de la politique présente, pas grand-chose à voir avec l’intérêt public.

Une nécessaire planification

Face à cette situation, il est indispensable de développer une stratégie d’ensemble à l’échelle du territoire ; de planifier le développement territorial de la Ville de Liège et de son agglomération, en se demandant quelle offre est susceptible de répondre aux besoins des nouveaux habitants tout en s’intégrant harmonieusement dans le tissus urbain.

Cela suppose d’abord de définir des priorités et d’admettre qu’on ne pourra tout faire en même temps. Laisser les projets se multiplier de façon déraisonnable risque en effet d’aboutir à deux conséquences navrantes : l’installation d’une culture de l’échec (par la multiplication des projets avortés) et l’abandon de tous les projets les plus complexes à réaliser, c’est-à-dire dans le centre-ville.

Une maîtrise foncière publique facilite fortement l’aboutissement des grands projets. Un outil est par conséquent nécessaire pour ce faire. La SPI ? Cet outil devra notamment casser les reins aux spéculateurs qui font monter le prix des terrains et rendent certains projets impossibles (Bavière n’est pas le seul exemple).

Autre enjeu : si l’on veut mener à bien des opérations complexes (Bavière, Guillemins,...), il faut renforcer les équipes du département de l’urbanisme, aujourd’hui manifestement trop peu nombreuses.

Liège a besoin d’un schéma de développement métropolitain, articulé sur les potentialités du transport structurant (tram 1, transurbaine et REL), phasé en conséquences et donnant à chaque zone une affectation fonctionnelle pertinente (plutôt que d’attendre que cette affectation se fasse, souvent de façon sous-optimale, en fonction des logiques de la promotion immobilière).

Il faut réfléchir sur les formes d’habitat que l’on propose. Même si la typologie « quatre façades » reste au coeur de l’imaginaire collectif, elle ne saurait constituer une solution pour le développement de la Ville (n’en déplaise au CDH), vu le gaspillage de terrains – et les énormes problèmes que pose la trop faible densité pour le financement des infrastructures. Il faut donc construire un modèle d’habitat désirable pour des familles avec enfant et compatible avec la durabilité du territoire (inspiré sans doute des formes hollandaises, danoises, allemandes,...). Ce qui suppose de cesser strictement tout développement urbain basé sur le quatre façades (sous peine de condamner d’avance ces alternatives qui ne s’imposeront pas facilement).

Nécessité de développer le logement social de manière importante, pour atteindre le seuil régional, et pour le dépasser. L’intégration de logements sociaux dans les grands projets d’urbanisation doit devenir la norme.

Nous avons besoin de garder des réserves foncières (CAR, Chênée,...), pour préserver l’avenir. Le pire serait de tout développer à moitié et de se retrouver avec aucun projet abouti et sans potentialités foncières permettant de développer de nouveaux projets.

Enfin, une réelle exigence en matière d’architecture doit enfin être de mise.

Eléments d’une stratégie possible

Nous proposons d’identifier deux grandes étapes dans le développement de la Ville pour les quinze prochaines années : 1. la première ligne du tram (horizon : 2020) et 2. la transurbaine (horizon : 2025). Cela ne signifie pas que tout doit s’organiser autour de ces deux projets, mais cela donne des lignes de forces, et la conjonction des projets immobiliers et du développement des infrastructures de transport en commun est de nature à les renforcer mutuellement.

Dans l’immédiat, quatre dossiers doivent à notre sens faire l’objet d’une nette priorité dans le chef du pouvoir communal et régional : le Val Benoit ; Droixhe, en ce compris la plaine de Bressoux ; Bavière ; le développement de logement sur l’esplanade des Guillemins.

Nous proposons aussi de ne pas laisser des friches se pérenniser dans le paysage. Là où l’action immédiate n’est pas possible, la transformation des friches en espaces verts provisoires (par un assainissement et la mise en place de « prés fleuris ») devrait être la norme.

À moyen terme, nous proposons de donner une priorité au développement de trois autres dossiers en lien avec la Transurbaine :

  • La requalification et la densification du carrefour de Fontainebleau et de ses abords (Sainte-Marguerite) – un schéma directeur a été approuvé dans ce sens au Conseil communal mais les moyens manquent à ce jour pour le mettre en oeuvre ;
  • La construction d’un nouveau quartier sur les 15 ha de la ZACC Boliden (Grivegnée-Bas). Il serait d’ailleurs possible de faire passer le tracé de la ligne de tram au coeur de ce site.
  • Le développement de logements autour du nouvel hôpital du CHC (site de Patience & Beaujonc) :

Cette stratégie amène à abandonner ou à différer certains grands projets en cours :

  • L’urbanisation du Charbonnage Ans-Rocourt (CAR), qui doit être considéré comme une réserve foncière stratégique et conservée vierge à ce titre.
  • Le développement complet du site de la Chartreuse, qui pose des problèmes de mobilité considérables et devrait à notre sens être conditionné au développement de réelles solutions en la matière.
  • L’urbanisation des hauteurs de Chênée est le contre-exemple parfait de ce qu’il faut faire : manque de solutions de mobilité, dédensification effrayante, concurrence absurde aux projets centraux.
  • D’autres projets, malheureusement déjà autorisés (Fayembois, Pré-Aily, éco-quartier du Sart-Tilman,...) devront quant à eux être freinés autant que possible si l’opportunité s’en présente ; à défaut de pouvoir être arrêtés.

Nous plaidons aussi pour que l’on renonce à urbaniser le site de Coronmeuse et que l’on fasse de ce site « Le parc de la Villette » de Liège, c’est-à-dire une grand espace public très bien équipé, très bien desservi par tous les modes de transport et susceptible d’accueillir régulièrement de grandes manifestations publiques. Sauvegarde et rénovation, dans ce cadre, du Palais des fêtes (l’ancienne patinoire) très menacé. Création d’un lien piéton vers la gare de Bressoux.

Conclusion

La Ville de Liège se trouve face à des choix importants en matière foncière et immobilière. De sa capacité à se donner un rythme ambitieux mais réaliste dans la mise en oeuvre des grands projets urbains dépendra le visage que la ville prendra dans les décennies à venir.

|2| Lire Chartreuse : au risque de l’enfermement, Conférence de presse d’urbAgora sur l’avenir du site de la Chartreuse, février 2011.

|4| Lire Pierre Eyben, Quelle action contre les logements inoccupés à Liège ?, décembre 2013.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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