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mercredi 25 décembre 2013

Analyse

Quelle action contre les logements inoccupés à Liège ?

25 décembre 2013 - par Pierre Eyben

Ainsi que l’a relevé le rapport statistique 2012 du SPF Economie présentant les chiffres clefs pour la Belgique : « En 2011, le prix moyen d’une maison d’habitation était de 188.391 euros. Une villa coûtait 330.865 euros. Les appartements moyens se vendaient 195.402 euros. Le prix des terrains à bâtir s’élevait en moyenne à 102,6 euros/m2. Depuis 1975, le prix de vente moyen d’une maison d’habitation a été multiplié par dix, alors que, sur la même période, le niveau général des prix ne s’est accru que d’un facteur dépassant à peine trois. Au cours des trente-cinq dernières années, la valeur des maisons a donc augmenté trois fois plus vite que celle des autres produits. »

Alors que le fait de bénéficier d’un logement est un facteur d’inclusion et de cohésion sociale qui est souvent à la base d’autres droits, ces chiffres montrent assez crûment, le coût croissant que constitue l’acquisition d’un logement privé. Ceci place de nombreuses familles moins fortunées dans l’incapacité d’acquérir un bien immobilier pour se loger. Leur seule alternative est de se tourner vers le marché locatif. Cependant, là encore la situation est difficile, le prix des locations s’envolant (+ 10 % en moyenne tous les 5 ans) et la possibilité de bénéficier d’un logement social étant réduite.

Bon nombre de personnes se retrouvent sans logement et tombent dans l’exclusion sociale, d’autres sont logées mais dans de très mauvaises conditions (insalubrité,…) et d’autres encore, payent des loyers beaucoup trop élevés. Pourtant, la constitution belge en son article 23 reconnaît le droit au logement, au même titre que le droit à une vie conforme à la dignité humaine. Ce droit est également stipulé dans la Charte de Droits Fondamentaux de l’UE en son article 34. Dans les faits, il faut cependant constater que l’Etat a poursuivi une politique que l’on peut qualifier de libérale en la matière, abandonnant la « régulation » aux forces du marché. Concrètement, aujourd’hui le droit de propriété prime sur le droit au logement et les aides à l’accès au logement acquisitif priment sur l’aide au marché locatif.

Les chiffres du logement social en Wallonie

C’est la population précarisée qui souffre le plus de la situation du logement en Wallonie. C’est elle qui a le plus de difficultés à se loger décemment et de manière durable. La solution pour elle consiste à se tourner vers un logement social. Mais là encore, la situation est très mauvaise. En Wallonie, les logements publics ne représentent que 8 % des logements (6-7 % au niveau belge) contre 17 % en France, 24 % en Allemagne, 26 % en Angleterre et même 36 % aux Pays-Bas.

En outre, la construction de logements sociaux publics a fortement baissé ces 40 dernières années. Alors qu’elle était d’environ 7 000 logements par an en 1950, et atteignit le plafond de 15 000 par an au début des années 70, elle est aujourd’hui d’à peine quelques milliers de logements par an |1| dont moins de 1.000 en Wallonie. En conséquence, en Région wallonne environ 41 000 candidats-locataires (répondant aux critères pour accéder à un logement social) patientent sur une liste d’attente et le délai d’attente moyen est de 6 ans |2|. Notons encore que le pourcentage de logements sociaux existants mais non occupés car nécessitant des rénovations a également crû. Il est passé en Wallonie de 2,2 % en 1999 à 4,2 % en 2006, 4,75 % en 2010 (soit près de 5.000 logements sur les 101.418 logements sociaux que comptait la Wallonie).

En raison de l’offre insuffisante de logements sociaux, ils sont attribués en priorité aux personnes les plus précaires. Dès lors, la mixité sociale et économique fait largement défaut avec pour conséquence notamment des rentrées locatives insuffisantes pour assurer l’équilibre financier des sociétés de logements social. Ceci a pour effet une spirale négative : manque de logement, pas de rénovation, pas d’économie d’énergie,...

La situation du logement social à Liège

Ainsi que cela est stipulé dans le récent Plan d’ancrage communal de la ville (voté au Conseil Communal le 21 octobre 2013), Liège compte environ 7900 logements sociaux pour 100 000 logements, soit 7,9 %. C’est inférieur à la norme réclamée par la Région Wallonne (moins de 8 % au lieu de 10 %). Conséquence, pas moins de 3 180 personnes sont en attente d’un logement auprès d’une des deux sociétés de logement social de la Ville de Liège. Dans le même temps, l’accès à une location « classique » (50 % des habitants à Liège) devient de plus en plus inabordable. En 7 ans, le prix moyen de location d’une maison a augmenté de 31 %, celui d’un appartement de 39 %, et celui d’un kot de 167 % à Liège.

Via le Plan d’ancrage communal, la majorité s’est engagée à atteindre 10 % de logement sociaux. Dans le même temps elle a annoncé la création de 199 nouveaux logements dans les 3 ans à venir, soit 66 logements par an, un chiffre dans la moyenne de ce qui se fait ces dernières années.

Lorsque l’on sait que la population de la ville s’accroit de 1500 habitants par an depuis 2005 et que, selon les prévisions du Bureau du plan, cette tendance se poursuivra voire s’accentuera dans les prochaines années, sur base de la composition actuelle des ménages à Liège (notamment la présence de plus de 50 % d’isolés), cela correspond à 1070 nouvelles habitations nécessaires chaque année. Cela signifie qu‘au rythme actuel, il faudrait construire 85 logements par an, uniquement pour maintenir un taux constant de logements sociaux ! Si l’on ajoute à cela le problème de la vétusté croissante d’une partie du parc de logement social, qui cause un taux d’inoccupation croissant des logements existants, on se rend compte qu’au rythme actuel de construction le pourcentage de logements sociaux est appelé à continuer de baisser de façon non négligeable dans les prochaines années.

Si l’on veut éviter que se poursuivre cette situation de non-respect des maigres normes wallonnes, on a donc besoin de moyens supplémentaires importants afin de mettre en œuvre un grand plan de construction de logements sociaux. La Ville de Liège ne saurait seule et dans le contexte budgétaire actuel assumer les investissements nécessaires à atteindre les objectifs fixés. Il est important de faire un objectif wallon du logement social. Le « Code wallon du Logement et de l’Habitat durable » dévoilé le 10 janvier 2012 par Jean-Marc Nollet et présenté comme le plus ambitieux depuis la régionalisation de la politique du logement il y a 25 ans, est un pas en avant qui doit être salué mais il est totalement insuffisant. À titre d’exemple, ce plan prévoit un total de 900 millions d’euros (et ce non exclusivement pour le logement public) alors que selon les chiffres de UVCW (Union des Villes et Communes de Wallonie), les besoins du secteur pour assurer la mise aux normes du parc de logement, et résorber l’absence d’investissements durant plusieurs décennies (sic), peut être estimé globalement entre 4,4 milliards et 5,2 milliards d’euros, et ce sans prendre en considération les problématiques spécifiques liées à l’amiante et aux ascenseurs |3|.

Mais le logement social ne suffira pas. Il est donc important d’activer d’autres pistes, et notamment la question de la réquisition des immeubles inoccupés afin de les mettre en location à prix réduit.

Lutter contre les immeubles inoccupés à Liège

Malheureusement, il n’existe pas de cadastre précis (avec valeur patrimoniale des biens, période moyenne d’inoccupation,...) des immeubles inoccupés en Wallonie et de nombreuses communes ne tiennent même pas un registre des immeubles inoccupés sur leur territoire. On retrouve cependant dans la presse l’évocation du chiffre de 35 000 immeubles inoccupés en Wallonie |4|.

Un double outil est aujourd’hui à disposition des autorités publiques afin de remettre sur le marché ces immeubles inoccupés à prix modérés : une taxe (taxe sur les logements inoccupés) et une structure (agence immobilière sociale).

Il existe 28 agences immobilières sociales en Wallonie agréées par la Région wallonne et financées par le Fonds du logement des familles nombreuses. Concrètement, il existe deux options. Soit l’AIS s’occupe uniquement de la mise en location du bien via un bail d’un an puis un bail de 9 ans sur base d’un loyer négocié avec le propriétaire. L’intérêt pour le propriétaire est que l’AIS assure le paiement du loyer et est responsable des dégradations potentiellement effectuées par le locataire. Soit l’AIS finance la rénovation du lieu, on parle alors de « logement d’insertion », en échange d’une obligation de mise en location de 9 ans via l’AIS par le propriétaire et d’un plafonnement du loyer à 20 % du revenu. Concrètement l’AIS s’occupe de contracter des conventions de gestion de logements avec des bailleurs publics ou privés et de jouer le rôle de médiateur lors de la conclusion de baux de location passés entre bailleurs et locataires. Pour les propriétaires, il s’agit d’accepter que le bien soit loué en dessous du prix du marché et d’obtenir en contrepartie l’assurance que les loyers seront versés et le bien rendu en bon état. Pour les locataires, l’AIS permet d’accéder à des biens autrement hors d’atteinte et de bénéficier d’un accompagnement social.

Le second outil est la taxe. En 1998, une taxe sur les logements abandonnés (qui ne sont pas en travaux ou qui n’appartiennent pas aux pouvoirs publics, lesquels ne peuvent pas se taxer eux-mêmes) a été instaurée via un décret de la Région wallonne. L’objectif premier de cette taxe était d’éviter la construction de nouveaux logements alors que les maisons vides étaient nombreuses. Mais cette taxe s’est montrée totalement inefficace en raison de ses conditions d’application très restrictives et d’une procédure fort lourde (recenser les immeubles vides, dresser un premier constat puis un second six mois plus tard, envoyer les courriers d’avertissement aux propriétaires, attendre leurs explications pour finalement enrôler). En 2005, le ministre des Pouvoirs locaux, Philippe Courard, a rendu cette taxe aux communes. Celle-ci a également été légèrement amendée afin de concerner tous les immeubles inoccupés.

La même année, les autorités communales liégeoises ont effectué un relevé des immeubles inoccupés sur le territoire de la ville en croisant les fichiers de la population et du cadastre de 2004 et sont parvenues à identifier 3 350 logements vides. C’est une proportion non négligeable (plus de 3 % du bâti total) qui correspond d’ailleurs plus ou moins au nombre de familles en attente d’un logement social sur le territoire de la ville.

Armées de ces deux outils, certaines villes wallonnes ont quasi totalement éradiqué la fléau des immeubles inoccupés. À La Louvière sur les 1 311 logements vides recensés dès 2002, 648 avaient été remis dans le circuit à la fin 2004. Quant aux 663 inoccupés restants, 209 étaient en travaux, 163 avaient fait la demande d’un permis d’urbanisme, 77 étaient à vendre, 7 l’étaient pour cause de succession. Au total, 207 logements étaient vraiment vides à la fin 2004 (inhabitables, manque de ressources financières du propriétaire), chiffre qui était tombé à 145 dès 2007.

À Liège la situation est bien moins bonne et ce en raison de trois problèmes majeurs.

Premièrement, la taxe sur les immeubles bâtis inoccupés a été très fortement réduite les deux premières années (article 14 du règlement relatif à la taxe voté par la majorité en février 2011), ce qui en affaiblit considérablement l’effet. Lors de l’entrée en vigueur de ce règlement (2005), les taxes étaient de 100 €/mètre de façade (1ère année), 150 € (2e année) ; Suite à ce vote, elle ont été fortement réduites passant à 23.36 €/mètre (1ère année), 58.42 € (2e année) et 175.2 6€ (3e année). On comprendra très difficilement la raison de la basse de cette taxe alors que des communes limitrophes (Seraing par exemple) la maintiennent à son niveau maximum.

Deuxièmement, le nombre d’immeubles soumis à cette taxe est largement inférieur au 3 350 recensés en 2005 et ce en raison d’une méthode de comptage qui semble très restrictive. Ici encore, on comprend mal pourquoi l’on ne travaille pas sur base du recensement effectué en 2005.

Enfin, et troisièmement, l’AIS de la ville et baptisée « Liège logement » fonctionne mal. Elle gère environ 160 logements (chiffre en baisse) ce qui demeure relativement marginal en regard des SLSP mais aussi du nombre de logements vides. Cette A.I.S. dirigée par Maggy Yerna (parmi 17 autres mandats), ne fonctionne pas bien. Son personnel est famélique et elle ne dispose pas des moyens humains et financiers nécessaires afin de systématiquement contacter les propriétaires de logements inoccupés pour les inciter à les mettre en location. En particulier, elle ne dispose pas des moyens afin de réaliser des travaux et de créer des immeubles d’insertion avec loyers plafonnés.

En conclusion

Il conviendrait de réaliser une analyse du fonctionnement de l’AIS de Liège afin d’en éclairer les éventuelles limites. Comparer ce fonctionnement avec celui d’AIS d’autres communes devrait en outre permettre de mieux identifier les raisons pour lesquelles l’AIS liégeoise fonctionne pas bien (peu de logements pris en location par rapport au nombre disponible). Sur base des constats réalisés, il conviendrait de proposer un renforcement et une adaptation du financement de l’AIS afin qu’elle puisse augmenter son offre de logement et proposer des loyers plus accessibles aux plus faibles revenus et accorder un avantage fiscal aux propriétaires qui lui confient la gestion de leur bien. Il est impératif d’augmenter le champ d’action de l’AIS « Liège logement ». Il faut que soient proposées systématiquement aux propriétaires des formules de mise en location via l’AIS (ce qui offre en outre des possibilités de prime à la rénovation). Il ne semble pas illusoire d’imaginer à terme que 2-3 % des logements sur le territoire de la ville de Liège soient gérés par l’AIS.

|1| Source : Direction Générale Statistique et Information économique ; Société du logement de la Région de Bruxelles-Capitale

|4| Source : La Libre Belgique.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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