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Une publication de l'asbl urbAgora

Le chaînon manquant

Un journal en ligne sur les questions urbaines à Liège
mardi 19 juin 2012
Tramway de Rotterdam. Photo : urbAgora.

Analyse

Le tram et les réalités parallèles

19 juin 2012 - par Olivier De Wispelaere

Antécédents

Certain(e)s de nos aînés et quelques passionnés s’en souviennent encore : tramway et ville de Liège ont déjà rimé par le passé. En effet, dès 1880 la ville a commencé à s’équiper de lignes de tram (à vapeur !). En 1890, en pleine période industrielle faste, le succès de ce nouveau mode de transport collectif urbain a entrainé le développement du réseau et l’on procéda alors à l’électrification des lignes.

L’exposition universelle de 1905 accéléra encore ce processus. L’organisation du réseau de transport en commun liégeois, structuré autour du tram pour l’occasion, a jeté les bases de la mobilité collective de l’agglomération avec l’apparition de la ligne 4 mais aussi des connexions vers Ans, Fléron, Wandre, Chênée ou Angleur ...

À cette époque, l’automobile n’était encore qu’une anecdote réservée à l’élite et la ville s’est développée au fil d’un réseau de transport en commun implanté au coeur de quartiers en plein essor.

Au sortir de la guerre, la situation évolua progressivement. Les bus devenus plus performants et l’automobile plus accessible, les vieux réseaux de tram ont pâti d’un manque d’investissement pour rester concurrentiels. Si bien que dans les années 60, il fut décidé de les remplacer par des bus ou dans un premier temps des trolley-bus.

Aujourd’hui, la problématique des énergies fossiles pose une nouvelle fois la question de la mobilité. Alors que de certaines villes avaient sagement et progressivement modernisé leur réseaux historiques et récoltent déjà les fruits d’un réinvestissement éclairé ; en l’attente du premier coup de pelleteuse, les liégeois curieux et attentifs doivent encore se contenter de quelques reliques de rails émergeant ça et là, dans le vide laissé entre quelques pavés fatigués et un nid de poule mal rebouché au macadam...

Soucieux de répondre à un besoin grandissant de mobilité urbaine et de développer les grandes villes, le gouvernement wallon a décidé en 2008 du retour du tram Liège. Dans un premier temps, c’est une ligne reliant Seraing à Herstal et passant par le cœur de Liège qui avait été envisagée. Elle avait été estimée en son temps à un coût de 500 millions d’euros. Ce premier projet avait donné lieu à plusieurs débats quand à la pertinence du développement des moyens. Des critiques s’étaient élevées à l’égard des tronçons de bout de ligne manquant vraisemblablement d’attractivité. Certains avaient alors proposé d’améliorer le tracé entre ces 2 grandes polarités de l’agglomération liégeoise afin d’augmenter le potentiel de captation d’usagers le long de la ligne. D’autres préféraient réserver la première enveloppe de ces moyens à développer un réseau plus dense et maillé, centré sur la ville de Liège, préconisant ainsi un succès plus certain à ce premier réseau au détriment du lien avec l’agglomération.

La crise s’occupa de concilier ces deux attitudes. En effet, il fut décidé récemment de réduire l’ambition et l’ampleur du projet et de se contenter dans un premier temps du tronçon central de la ligne de fond de vallée initialement prévue. Le projet raboté doit à présent relier Sclessin au site de Coronmeuse et ce dans la perspective de l’exposition internationale à laquelle Liège est candidate pour 2017.

Partant de cette nouvelle donne, des questions plus précises se posent à présent, alors que le temps est compté. Si les polarités urbaines mises en lien dans cette mouture minimum du projet ne sont remises en cause par personne, la manière de traverser la Cité Ardente fait, elle, l’objet d’un nouveau débat.

La proposition qui est sur la table se doit d’être efficace. Elle doit en outre rencontrer plusieurs contraintes :

1. Idéalement elle doit pouvoir être en fonction si la ville accueille l’exposition (attribution qui ne sera décidé qu’en fin de cette année 2012).

2. Le tracé doit composer avec un tissu bâti dense hérité de vagues successives d’urbanisme plus ou moins compatibles avec le passage d’une mobilité moderne.

3. La contrainte budgétaire étant toujours hautement d’application, la tentation est grande d’être encore plus économe que de raison sur ce tracé pourtant déjà réduit.

Dans ces conditions, plusieurs perspectives s’ouvrent pour la suite du projet. La première et la moins réjouissante est que Liège n’obtienne pas l’exposition. La ville perdrait là une fantastique opportunité et un objectif unique pour se mobiliser autour d’un projet d’envergure dans lequel le tram a toute sa place. Même si le politique clame unanimement que le sort du tram n’est pas lié à celui de l’exposition, on peut tout de même s’inquiéter de la disparition de l’objectif que constitue la première pour entrainer la réussite du second. On peut voir là une opportunité de se donner plus de temps pour la réflexion quand au tracé et aux études. Mais le risque est alors de prendre des retards en cascade dans la réalisation du projet (dont le besoin se fait déjà pourtant bien sentir aujourd’hui) et ce, en raison de la disparition de la contrainte de la date buttoir.

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Tramway de Rotterdam. Photo : urbAgora.

Dans l’hypothèse plus optimiste où Liège obtiendrait l’exposition, il reste un écueil de taille dans lequel il ne faut pas tomber. Des moyens tels que ceux qui seront alloués au tram ne ont un caractère exceptionnel pour une ville comme Liège. Il s’agit d’en faire le meilleur usage, de surcroît dans un contexte de crise économique. Le risque est de confondre vitesse et précipitation. Si le tram doit bien sûr desservir l’exposition durant quelques mois, il ne faut pas oublier que la principale destination du réseau est de servir au mieux la ville (au minimum) pour le prochain demi siècle. De ce point de vue les grandes lignes directrices de la conception du projet sont loin de rassurer tous les acteurs de la cité. En effet, plusieurs griefs peuvent être avancés pour faire une lecture critique de la solution actuellement étudiée.

1. Un manque d’inter-modalité

Les connexions avec le train pourraient être améliorées. Aujourd’hui, la tentation est grande de faire supporter au tram des connexions avec l’agglomération qui pourraient être prises en charge par un réseaux de trains régionaux performants. Ce dernier serait plus à même d’amener les voyageurs de l’agglomération au coeur de la ville. Le réseau de voies de chemin de fer existe déjà mais il est sous-utilisé. Une réflexion sur une gestion plus efficiente de nos potentiels déjà en place dégagerait bien des nouvelles ressources.

De même, le redéploiement du réseau de bus est actuellement pensé pour s’adapter au passage du tram et non comme une solution intégrée avec ce nouveau mode de transport intermédiaire.

Enfin, de nouvelles opportunités pourraient être développées dans le futur (par ex : le téléphérique vers la citadelle). Il serait sage de s’assurer qu’une connexion soit possible à terme.

2. Une distance inter-station trop importante

Le projet actuel traverse la ville sans s’y arrêter assez souvent. Le risque est de voir ce type de tracé désintéresser le public qu’il doit principalement viser : les habitants des zones traversées. Par la simple justification de la densité de la ville, ses habitants sont les premiers à devoir bénéficier d’un service de transport en commun performant ; par souci de rentabilité des moyens mis en œuvre et dans le but d’amorcer un renoncement à une mobilité automobile là où le problème demeure le plus critique. Aujourd’hui un tracé reliant deux parkings relais de part et d’autre de la ligne ne fera qu’encourager l’exode urbain et de déforcer la ville. Cette dernière payera toujours plus cher le prix des équipements générant eux-même les raisons de son abandon.

3. Un passage dans des zones trop lointaines des poches d’habitats

Par souci de facilité, le tracé actuellement prévu privilégie les grandes artères et voies rapides. Le facteur de l’encombrement des voiries peut expliquer en partie ce choix. Mais dans le contexte de la candidature à l’exposition internationale de 2017, l’effet compte à rebours joue lui aussi pleinement son rôle. Un des enjeux de ces choix est de limiter les ralentissements des procédures d’obtention des autorisations.
L’arbitrage n’est pas simple. Actuellement, alors que c’est techniquement possible, par souci d’empressement ou d’économies mineures, le tracé ignore des quartiers entiers où la vie et le commerce auraient bien besoin du passage du tram pour se revitaliser. Le cœur du quartier des Guillemins, mais aussi Outremeuse comme toute la rive droite, ou encore Saint-Léonard, sont tout bonnement laissés pour compte. Même la Batte, institution dont le rayonnement dépasse nos frontières, se trouvera affectée par le manque d’arbitrage volontaire en matière d’urbanisme et de mobilité.

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Tramway de Rotterdam. Photo : urbAgora.

Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, le sort de la cité, du tram et de l’exposition se retrouvent inextricablement mêlés. Pour le meilleur ou pour le pire, pour l’heure si certaines décisions ne nous appartiennent plus et d’autres pas encore, l’attitude que l’on adopte face à ces tous ces différents enjeux nous appartient encore pleinement.

Si l’exposition est plutôt une affaire de politique, le tram, lui, s’immisce en plein dans les affaires des techniciens.

Parent pauvre de ces jeux de pouvoirs, la ville, dans la diversité riche de la multitude des enjeux qui la compose, se retrouve prise en tenaille au milieu de tous ces intérêts. Dans une démocratie, elle demeure pourtant plus que jamais l’affaire de tous.

Lorsqu’on touche à la ville, ici à travers la mobilité ou l’urbanisme, on ne peut se contenter de servir consciencieusement les intérêts d’un parti ou du bureau d’étude pour lequel on travaille. Tout attitude inverse ouvre la porte à l’aliénation de la société dans son ensemble par le morcellement des tâches et la dissolution de la responsabilité voire, dans les cas les plus graves, au détournement de l’intérêt collectif à des fins personnelles.

À quelque niveau de pouvoir où l’on se trouve dans la grande chaîne de nos sociétés, les décisions que chacun est amené à prendre ne peuvent être réfléchies uniquement pour rencontrer les contraintes des seuls maillons précédent et suivant. Œuvrer dans son travail à la construction d’une société sous-entend, sans cesse, faire le lien entre la décision que l’on prend, aussi minime soit-elle, et l’objectif final collectif.

Les ingénieurs ont une place de choix dans ce tableau. Par leur attitude ouverte ou non sur les réalités parallèles aux projets qu’ils conçoivent ; ils sont au premier rang de ceux qui ont les moyens de recréer de véritables harmonies transversales dans notre société.

Ce texte a fait l’objet d’une première publication — sous le titre « Le tram à Liège ou la trame d’un défi pour l’avenir » — dans « Union Gramme », journal des anciens de l’Institut Gramme.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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