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Le chaînon manquant

Un journal en ligne sur les questions urbaines à Liège
jeudi 12 décembre 2013

Analyse

Un avenir possible pour le bâtiment du théâtre ?

La Ville de Liège semble décidée à agir vite dans le dossier de l’ancien bâtiment du Théâtre de la place : le Conseil communal de ce 16 décembre 2013 doit voter sur la démolition du bâtiment de la place de l’Yser.

12 décembre 2013 - par Aloys Beguin et Olivier De Wispelaere

L’argument pour justifier la précipitation du dossier est que les fonds européens FEDER disponibles pour financer la démolition doivent impérativement être utilisés en 2014. Par contre, on ne connait pas ce qui légitime la décision de démolir : il existe parait-il des études à ce sujet, qu’aucun citoyen n’a jamais pu voir. Dans le master plan commandé par la ville pour la requalification de l’espace public, on fait état de la démolition du théâtre comme une donnée préalable du problème. Le seul degré de liberté laissé est d’envisager ou non la conservation du parking souterrain. Or, le bâtiment s’il a été conçu comme provisoire n’en demeure pas moins toujours debout.

De plus, si l’avenir de l’ancien théâtre semble déjà joué, aucun projet de réaffectation de la place n’est encore sur pied, et encore moins de montage financier. La crainte d’un chancre, ou d’un aménagement au rabais — style parking provisoire comme Liège en a déjà trop — quant à elle, se justifie.

Dans ce contexte, il nous paraît important de prendre le temps de la réflexion, et d’envisager toutes les solutions, en ce compris le maintien du théâtre, tant qu’il en est encore temps.

En effet, si plusieurs arguments peuvent être déployés pour légitimer la démolition, ils peuvent tout aussi bien être retournés pour légitimer sa conservation, au moins conditionnelle. Nous demandons à ce que cette possibilité soit étudiée.

1. La position du bâtiment

Il est un fait que le théâtre a été construit là en tant que bâtiment provisoire. Sa position centrale sur une place peut paraitre insolite. Mais les cas de bâtiments en position isolée sur une place sont nombreux, et historiques. Par exemple, les anciennes halles de marché, les églises , les beffrois, les bâtiments publics. En général ces bâtiments permettent d’articuler plusieurs sous-espaces, de hiérarchiser l’espace, de créer des espaces intimistes etc…

Il existe de nombreux cas aussi de bâtiments construits sur des « places » (ou espaces urbains non bâtis), pour restructurer l’espace. L’exemple le plus récent est le market hall à Gent, imaginé par les architectes Robbrecht et Daem.

Les grandes places vides (par exemple à Lyon), les grandes places d’armes (par exemple Arras), la grand place de Bruxelles, etc… sont une chose, mais les espaces publics plus intimistes, plus fractionnés qui existent dans les vieilles villes ont tout leur intérêt aussi.

Le positionnement d’un lieu culturel au milieu d’un espace plus vaste ne peut être un prétexte à sa démolition. Au contraire, il peut être un moteur de convivialité et de revitalisation au sein d’un quartier dont d’autres fonctions sont en perte de vitesse, notamment les commerces. Créer un espace public aux ambiances multiples autour d’un repère central correspond aussi à la population d’Outremeuse, très multiculturelle.

2. La vétusté

En tant que bâtiment, nonobstant son caractère dit « provisoire », il répondait aux normes diverses. En ce qui concerne sa structure et son gros œuvre, il semble toujours valable. Les gros problèmes semblent être :

  • les défectuosités de l’étanchéité de couverture ;
  • le manque d’étanchéité des façades réalisées en éléments de béton autoclavé léger ;
  • l’insuffisance d’isolation (comme tous les bâtiments de cette époque)

Des solutions existent pour remédier à ces éléments :

  • un renouvellement de l’étanchéité associé à une nouvelle isolation renforcée peuvent résoudre la problème de la toiture ;
  • Les parois du bâtiment pourraient être sur-isolées par l’extérieur et revêtues d’un nouveau parement ;
  • Les parois de la cage de scène pourraient recevoir une isolation et un nouveau bardage également.

Les structures portantes sont intactes et nullement obsolètes. Les dalles de béton et autres colonnes métalliques n’ont pas perdus de leur propriétés mécaniques de portance. Les principaux éléments étant encore bons, il est donc envisageable de se diriger vers une rénovation.

3. Équipements techniques

Ils sont vraisemblablement vétustes (si on considère que la vétusté de certains équipements placés en matière de ventilation et conditionnement commence déjà à l’âge de 3 ans). Un rééquipement complet technique serait nécessaire, mais le tout est de voir quel niveau de confort on le souhaite, et à quels usages on destine le bâtiment.

Le rééquipement paraît normal dans toute opération de rénovation pour des bâtiments à fonction publique.

4. Le bâtiment serait devenu inutile depuis le départ du théâtre de la Place

Les faits prouvent le contraire. Sitôt abandonné, sitôt repris |1|. Cette situation de fait interroge les liens entre la politique culturelle et les lieux disponibles pour les pratiques non institutionnalisées.

Il est bien connu que les petites compagnies de théâtre, mais aussi les groupes de musiciens cherchent désespérément et continuellement après des lieux de travail et des lieux de répétition.

Pourquoi ne pas aménager le lieu pour répondre à une pratique culturelle qui y est déjà présente, plutôt que de créer des ensembles culturels vides de programme ou de projet culturel ?

Conclusion

Il est difficile d’émettre un avis sérieux et crédible sans pré-étude, et ceci vaut tant pour ceux qui veulent démolir que pour ceux qui veulent conserver. Notre raisonnement montre en tout cas qu’une rénovation ne doit pas être exclue a priori.

C’est pourquoi nous avons entrepris avec un étudiant à la faculté d’architecture, de mener une étude structurée pour se donner les moyens d’envisager l’hypothèse d’une conservation et d’une rénovation du bâtiment.

  • Sans isoler le projet d’une réflexion globale sur l’espace public.
  • Avec le postulat que ce bâtiment pourrait être conservé, mais aussi amaigri, transformé, rénové , pour être totalement adapté à la fonction d’un centre de quartier.
  • L’idée est – en tout cas — un bâtiment qui serait ouvert vers les différentes facettes du contexte , qui serait transparent, poreux, traversable, et qui pourrait accueillir des activités d’associations, des expositions, la rencontre et la flânerie, un café peut être pour assurer une vie permanente ; et aussi servir de lieu d’accueil à la création théâtrale (celle qui est en manque d’espaces).

Il faut dépasser l’idée préconçue et simplifiée que « créer un lieu de quartier » passe automatiquement par la table-rase. Peut être le bâtiment retravaillé dans ses relations au sol et « ses visages », pourrait il devenir le pôle de réflexion sur l’espace public, dont il serait le prolongement.

Des exemples existent ailleurs, reconnus internationalement : le lieu unique à Nantes, la belle de mai à Marseille, les maisons-folies à Lille, la Kulturelle Brauerei de Berlin.

Il faut ajouter que l’emprise du parking qui pollue au moins 1/3 de la surface de la place est aussi pesante que celle du bâtiment actuel qui est hermétique sur trois de ses quatre faces. Une solution globale devrait être recherchée pour le boulevard de la Constitution en même temps que pour la place de l’Yser, à tout le moins.

D’un point de vue méthodologique, il semble prématuré de prendre une décision sur le futur du bâtiment, alors qu’il y aura un projet d’aménagement de la place (concours, marché public ?) : pourquoi ne pas intégrer la réflexion sur l’avenir du théâtre dans ce projet et laisser se développer différents scénarios ? Si l’on veut un projet qui a du sens sur cette place, il faut pouvoir jouer avec tous les paramètres sans les tronquer.

À ce stade, il conviendrait de post-poser la décision, afin de ne pas rater l’idée d’un projet qui exploiterait la spécificité de la situation de la place de l’Yser actuelle, et l’opportunité d’un ré-emploi du théâtre. Dans une période où l’on parle des difficultés budgétaires et de la pauvreté des moyens publics, de l’intelligence durable des projets, etc.., ce type de projet pourrait être un « prototype » d’architecture de la reconversion.

Prendre le temps d’étudier toutes les possibilités est d’autant plus important que les habitants du quartiers expriment des attentes par rapport à cette place, dont la reconversion suscite un grand intérêt : un comité de citoyens s’est mis en place récemment avec l’objectif de s’informer et de s’approprier les discussions sur l’avenir du quartier. La séance de débat qu’ils ont organisée a attiré une centaine d’habitants, et le compte rendu |2| montre à quel point leur créativité peut, elle aussi, déboucher sur des idées innovantes dont il serait bien dommage de se passer.

|1| Des artistes ont investi l’ancien théâtre pour y expérimenter de nouvelles pratiques culturelles. Le lieu est occupé depuis septembre 2013, et la dynamique profite au quartier, à la fois par la présence d’activités et par le fait que cette occupation préserve le bâtiment de toutes sortes mésusages des lieux ou de déprédations.

|2| Source

À propos des auteurs

Aloys Beguin, architecte, enseignant à la Faculté d’architecture de l’ULg, titulaire avec Georges-Eric Lantair, de l’Atelier « Master n° 5 : XXe/reconversion », qui mène pour le moment une étude sur le thème « Et pourquoi ne pas garder le théâtre de la place ? ».

Olivier de Wispelaere, ingénieur-architecte, président de l’Assemblée générale d’urbAgora, co-animateur du groupe de réflexion sur Outremeuse « Île citoyenne » (ICI).

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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