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Une publication de l'asbl urbAgora

Le chaînon manquant

Un journal en ligne sur les questions urbaines à Liège
samedi 30 avril 2011
Source : dijon-ecolo.

Analyse

Publicité, espace public et mobilité

La publicité envahit l’espace public à des fins mercantiles. Elle pose également des problèmes de sécurité routière. Existe-t-il des possibilités pour le citoyen de se réapproprier l’espace occupé par la publicité ?

Dans le cadre de la Semaine de la solidarité 2011, qui avait pour thème « la réappropriation de l’espace collectif » urbAgora a souhaité développer une réflexion sur le thème de l’Espace public et la publicité. Une conférence a été organisée le 30 mars 2011. Si la problématique sous-jacente à l’appropriation de l’espace public par la publicité n’est pas neuve, elle n’en reste pas moins d’actualité. Les pistes de solutions pour se réapproprier cet espace ne manquent pas. De nombreuses solutions peuvent d’ailleurs venir s’appuyer sur des exemples d’actions citoyennes et de décisions politiques prises dans d’autres pays.

30 avril 2011 - par Jérémy Morel et Céline Paysan

Envahissement de l’espace public

S’il y en a une qui n’a pas le moindre souci à s’approprier l’espace public via les trottoirs, les aubettes, les transports publics voire même l’espace aérien, c’est la publicité ! Celle-là même qui marque nos esprits plus de 3000 fois par jour |1|. Elle commence par une pollution visuelle en nous matraquant d’images que nous n’avons pas demandé à voir, ensuite ce sont des jingles simplistes et lancinants qui viennent résonner dans nos têtes, accompagnant le bruit des moteurs rotatifs. L’augmentation du nombre de publicités s’effectue non seulement en sollicitant tous nos sens, mais également en augmentant le nombre d’impacts sur une période donnée. De la publicité statique, nous sommes passés à la publicité sur support flexible, qui permet de faire défiler plusieurs messages sur le temps que dure un feu rouge, par exemple. On peut dès lors parler d’une appropriation quantitative de l’espace public par la publicité.

Lors d’une réunion du Collège des Bourgmestre et Échevins, en 2001, la Ville de Liège, annonçait posséder quelque 390 abris pour usagers des transports en commun avec dispositif publicitaire, 200 caissons d’informations et publicitaires et une dizaine de colonnes Morris |2|. Cependant, cette liste est loin d’être exhaustive et ne fait référence qu’au mobilier urbain (d’une surface de 2 m²).

A cela viennent s’ajouter les panneaux publicitaires n’appartenant pas à la Ville de Liège mais à des privés (les 38 et 21m² (min 19), les 20m², 8m², 4m²), les petites publicités qui viennent se glisser ci et là : dans les vitrines de magasins, sur les voitures, une mallette, les vêtements etc. En 2010, Liège s’est même vu plusieurs fois survolée par un avion publicitaire.

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Enfin, il faut encore tenir compte des panneaux publicitaires illégaux. A Bruxelles, par exemple, la Ville recensait en 2008 une centaine de panneaux publicitaires illégaux présents depuis 9 ans, ce qui représentait un manque à gagner d’un million d’euros pour la capitale |3|.

Messages imposés et unilatéraux

On pourrait rétorquer que la publicité fait partie intégrante de l’espace public puisqu’elle a pour but de rendre l’information publique. Cependant, on est loin de la simple information. Il ne s’agit pas en effet de mettre le passant au courant d’une nouvelle décision politique, de lui renseigner un nouveau lieu de partage, de l’inviter à la réflexion, à la culture et au partage ; non, l’objectif est de modifier son comportement à des fins mercantiles.

La publicité joue de moins en moins un rôle d’information sur la qualité d’un produit, ce n’est plus tellement le produit qui est mis en valeur, c’est une image que l’on tente d’imprimer à la marque. “A., la vie, la vraie”, “L’O., parce que je le vaux bien” ou “N., juste fais-le” de tels slogans annoncent-ils un nouveau produit, renseignent-t-il sur le prix, la qualité du produit ? Non, rien de tout cela.

Dans ses « Eléments de réflexion » |4|, Maurice Pergnier décrit ce que représente l’occupation de panneaux publicitaires dans l’espace. Il évoque des « signaux publicitaires » qui agissent comme des ondes visuelles se propageant dans l’espace à partir d’une source.

L’occupation d’un panneau publicitaire ne correspond pas à la taille de son support, mais plutôt à son champ de visibilité et donc à tout l’espace public qui le devance, ou encore au potentiel de « cerveaux disponibles » pratiquant cet espace. C’est alors notre paysage, nos espaces publics et donc notre qualité de vie qui en sont affectés. Ce que confirme l’entreprise JC Decaux qui ambitionne de “créer l’impact visuel” |5|. « L’affiche est toujours là… 7j/7, 24h/24… partout, souvent, puissamment. Sa taille en impose physiquement et crée l’impact visuel. L’affichage génère la notoriété, grâce à une très forte répétition des messages adressés à la quasi totalité de la population. » Et encore « 5.000.000 de véhicules particuliers à fin août 2007. Pour la première fois de l’histoire, ce cap symbolique a été franchi. Toujours plus de voitures sur nos routes, c’est toujours plus d’audience pour la communication extérieure et, logiquement, plus de files laissant plus de temps aux conducteurs et à leurs passagers de lire les messages publicitaires. »

De plus, s’il est possible d’éteindre notre téléviseur ou le poste de radio pour échapper à la publicité, en rue, la publicité nous touche sans que nous ne puissions l’éviter ; nous parlons bien ici d’une publicité subie et imposée unilatéralement.

Appropriation d’espace public immatériel

Cette appropriation dépasse l’espace public au sens physique du terme pour s’étendre aux espaces publics imaginaires par le formatage des rêves, des espaces d’échange culturel et social (par les stéréotypes véhiculés). La publicité crée nos envies, nos besoins et leurs solutions. Comme l’explique A. Pêtre, chercheur en psychologie à l’UCL, l’important n’est pas tellement que le consommateur remarque la publicité, ce qui compte c’est qu’elle ait un impact sur le cerveau et que cet impact se transforme en acte d’achat. Or la majorité de l’activité cérébrale est inconsciente et un message atteignant la zone inconsciente du cerveau à l’avantage de passer outre le mécanisme de réflexion qui pourrait faire en sorte qu’on rejette cette publicité.

La publicité est présente partout dans notre quotidien, même aux endroits où l’on ne s’y attend pas, jusque dans le matériel pédagogique pour les enfants dès leur plus jeune âge |6|. Comme nous l’avons expliqué plus haut, les espaces réservés à la publicité ne constituent pas juste quelques mètres carrés en moins à la disposition des citoyens, la publicité les utilise surtout pour parvenir à ses fins.

Les publicités sont présentes dans nos espaces publics et communs via de nombreux biais : panneaux d’affichage, enseignes et vitrines de magasins, bus recouverts de publicité/bus pelliculés, voitures publicitaires ou camions à écran géant dont le seul but est d’errer sur la route, remorques à électrogène pour grand écran publicitaire, tractages et dégustations en rue, publicités accompagnant des évènements, marketing olfactif dans les gares, pubs sonores dans les couloirs de métro, etc.

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Pour reprendre les propos de Sébastien Darsy |7|, la publicité constitue un système totalitaire car : elle est omniprésente et s’impose à nous, elle matraque un maximum de fois son message pour qu’il soit perçu, elle n’admet pas la contradiction (les entreprises revendiquent la pub au nom de la liberté d’expression mais quiconque détourne une pub aura de très forte chance de se faire attaquer en justice par ces sociétés), La publicité est simpliste, rentre dans les stéréotypes et n’invite pas à la réflexion.

Formatage et banalisation de l’espace public

Non contente de s’approprier et d’utiliser l’espace public, la publicité en arrive à le formater. Ce formatage est reproduit à l’infini et avec systématisme dans toutes les petites et grandes villes. De Malmédy à Aywaille, après être sorti de l’autoroute, on pénètre dans des zones commerciales et industrielles dont les énormes panneaux publicitaires ont pour conséquence de banaliser l’entrée des villes. Ses zones sont laides, froides, et seuls les automobilistes peuvent y être accueillis.

En Wallonie, un comportement publicitaire encore plus outrancier et destructeur du paysage est apparu sous la forme de murs de publicités ; à Vottem, il obstrue complètement la vue sur Liège, à Aywaille, il couvre le coteau, donnant une première impression catastrophique d’une petit ville fortement dépendante de l’économie touristique et donc de son image. Pire, l’affichage publicitaire est plus important dans les quartiers populaires, la publicité renforçant alors l’inégalité sociale |8|

L’omniprésence de la publicité dans l’espace tend, pour certaines personnes à dire “ne même plus voir la publicité” ou « ne plus être conscientes » de voir les publicités. La présence d’un panneau publicitaire dans notre paysage, bien immatériel qui appartient à chaque citoyen s’en trouve alors banalisée. Ce qui n’empêche pas la publicité de nous conditionner inconsciemment vers ces marques qui nous semble familière.

Insécurisation routière

La présence publicitaire a un effet désastreux sur le paysage et participe à la manipulation et au formatage des esprits mais elle engendre aussi des gênes considérables pour les usagers de ces espaces publics et communs.

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Il est d’abord légitime de se poser la question du point de vue de la sécurité routière. Selon une étude réalisée en 2008, la Fédération Internationale de l’Automobile affirmait que « Les affiches publicitaires entrent en compétition avec les panneaux de signalisation. Les signaux routiers en Europe sont surchargés d’informations que les conducteurs n’ont pas le temps de comprendre tant ils doivent prendre des décisions rapidement » |9|.

Si les dispositifs publicitaires sont bien sources de distraction et de confusion |10| pour l’automobiliste, on peut également supposer que c’est le cas aussi pour les cyclistes et les piétons. A l’abord de certains passages piétons ou d’abri de bus, la visibilité d’un piéton ou d’un cycliste se trouve réduite, sachant que le contenu d’une publicité, a lui-même pour fonction de solliciter le regard de l’automobiliste à l’abord de ce même passage. Dès lors, la publicité peut nuire gravement à la fonctionnalité d’un espace public en y créant un danger ou un inconfort, voire mener à son impraticabilité particulièrement, en période de travaux, alors que c’est dans ces endroits stratégiques de la circulation que la vigilance devrait être la plus importante.

Comment se réapproprier l’espace public ?

Afin de se réapproprier cet espace public confisqué par la publicité, plusieurs types d’actions citoyennes peuvent être menés. Depuis quelques années, face à la recrudescence de l’envahissement publicitaire dans l’espace public, on voit apparaitre un peu partout des actions « anti publicité », des initiatives citoyennes originales. Ces actions consistent le plus souvent à recouvrir et barbouiller des publicités. Liège a déjà vu plusieurs actions de ce type, tantôt bien perçues, tantôt qualifiées de “dégradation par de dangereux anarchistes”. Un autre type d’actions citoyennes consiste à éteindre les enseignes lumineuses |11|.

A côté de ces actions, des propositions politiques émanent désormais de tous les milieux et de tous les univers (féminisme, alimentation-santé, discrimination, environnement, etc.) viennent désormais des propositions concrètes plaidant pour un règlement plus strict et contraignant en matière de publicité. Il s’agit dans ce cas de réguler le message, sans pour autant remettre en question la logique même de la publicité.

Une autre manière de se réapproprier l’espace public est favoriser le respect de la législation en promouvant une adéquation entre la loi et les textes du Jury d’Éthique Publicitaire |12|) et ce, avec un caractère contraignant ou encore en mettant en place un « Kivoitou ». le « Kivoitou » est un outil mis en place en France se présentant sous la forme d’un guide pratique illustré pour comprendre en images la réglementation sur la publicité, les enseignes, et les pré-enseignes et partir soi-même à la chasse aux panneaux illégaux |13|.

En vrac, quelques autres propositions dont la mise en œuvre peut favoriser cette réappropriation : l’extinction des magasins en dehors des heures d’ouverture, la mise en place d’un meilleur service de plainte pour le non respect des autocollants pour les boîtes aux lettres, l’installation de logiciels/add-ons permettant de bloquer la publicité sur internet, le redimensionnement des panneaux publicitaires à un maximum de 50 x 70 cm, l’obligation d’installer toute enseigne de magasin parallèlement à la vitrine, la suppression de la publicité commerciale, le boycott ou encore la suppression de la déductibilité fiscale et taxation de la publicité au-delà d’un certain chiffre d’affaires.

Des initiatives intéressantes dans d’autres villes

Quelques villes ont choisi de mettre en œuvre des programmes permettant aux citoyens de se réapproprier l’espace public ou tout au moins d’y contrôler le développement de la publicité.

La Ville de Lorient a mis en place en 2007 un nouveau Règlement local de publicité. Celui-ci prévoit de ne plus permettre les publicités de plus de 8m² contre 12m² précédemment, une hauteur maximale de 6m, l’instauration de règles de densités, la fin du « no man’s land » pour les entrés de la ville, la définition de « Zones de Publicités Restreintes ». Ces ZPR prohibent la publicité autour des monuments historiques, sur une bande littorale de 100 mètres de large, dans les perspectives paysagères, les zones naturelles, le centre-ville et sa principale entrée.

Christophe Castaner (PS), Maire Forcalquier, petite ville du Lubéron d’à peine 5000 âmes, s’appuie quant à lui sur la réglementation interdisant la publicité dans les Parcs Naturels Régionaux |14| en exception à l’article l’article L581-1 du code de l’environnement selon lequel « chacun a le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu’en soit la nature, par le moyen de la publicité, d’enseignes et de pré enseignes ».

Dès 2007, São Paulo a interdit la publicité dans la rue. « Imaginez une métropole moderne sans publicité extérieure : pas de panneaux, pas de néons clignotants, pas de panneaux électroniques à texte défilant. » |15|. Les panneaux surdimensionnés et les écrans qui dominent la ligne d’horizon devront être démontés, la distribution de flyers sur la voie publique est interdite, la taille des enseignes de magasins limitée et la publicité sur le flanc des bus et taxis également interdite.

À Madrid |16|, dès 2008, la mairie a décidé d’interdir les hommes sandwich, la distribution de tracts dans la rue, les voitures publicitaires. De plus, l’ordonnance prévoit une zone de protection dans le centre historique, la réduction de la taille des publicités et une limitation de la luminosité des publicités.

C’est également en 2008, que le Maire de Moscou |17| a décidé d’interdire les affiches publicitaires dans le centre historique de la ville, aux alentours du Kremlin qui est classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO notamment.

Conclusion

Nous ne proposons pas ici d’interdire toute forme d’annonce en milieu public mais simplement de mettre en œuvre une réglementation cadrant la publicité de manière stricte à l’instar de ce qui existe ailleurs dans le monde tant dans de plus petites cités (Forcalquier ou Lorient en France) que dans des Mégapoles (São Paulo la pionnière ou même la très libérale cité moscovite). Cette réglementation aurait pour objectif de protéger le citoyen de cet envahissement par la publicité de l’espace public concret et de l’espace imaginaire mais aussi de renforcer la sécurité des usagers : automobilistes, cyclistes, piétons…

Notre analyse met aussi en évidence les liens étroits entre la publicité et la mobilité. La présence publicitaire est en effet très forte à tous les lieux de ralentissement, à tous les temps d’arrêt de la mobilité. Ceci concerne autant les automobilistes que les usagers de transport en commun et les cyclistes. Il s’agit d’une part de profiter de temps lors desquels les personnes sont censées ne rien faire d’autre qu’attendre, et d’autre part d’utiliser les transports comme supports en tant que tels. Ceci mériterait sans doute un approfondissement, notamment sur les impacts pour les lobbies publicitaires des transferts modaux de déplacement nécessaires pour la transition écologique.

|1| http://issuu.com/adbusters/docs/issue93, p.13 Remarque : 3000 fois concernant le nord du continent américain : http://www.media- awareness.ca/francais/parents/marketing/publicite_partout.cfm
http://www.etopia.be/spip.php?article569 http://www.etopia.be/spip.php?article745 http://www.definitions-marketing.com/Definition-Pression-publicitaire)

|3| La Ville de Bruxelles effectuera durant les deux mois de vacances un relevé systématique des supports publicitaires que la société Decaux aurait dû retirer depuis le début de la décennie 2004, et qui ne donnent plus lieu au versement de la moindre redevance communale, a indiqué lundi l’échevin des Travaux publics Mohammed El-Ktibi (PS). Le bourgmestre Freddy Thielemans (PS) a quant à lui affirmé que s’il était avéré que des redevances auraient dû être perçues, la Ville de Bruxelles irait en Justice pour les récupérer. (…) Répondant au nom du collège de la Ville de Bruxelles, l’échevin El Ktibi a affirmé que sous réserve d’un inventaire systématique qui sera effectué au cours de l’été, une septantaine d’équipements anciens d’affichage seraient encore toujours utilisés alors qu’ils auraient dû être démontés. (Belga) Lire l’entièreté de l’article : « Des panneaux publicitaires illégaux », La Libre, 21/05/2008.

|11| ftp://arche.astro.ulg.ac.be/pub/demoulin/pl/darksky_fev2009.pdf

À propos des auteurs

Céline Paysan et Jérémy Morel sont administrateurs d’urbAgora.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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