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Un journal en ligne sur les questions urbaines à Liège
jeudi 11 décembre 2014

Analyse

Usages multiples d'un RAVeL urbain

Action et réflexion sur le partage et l’aménagement d’un espace public singulier.

11 décembre 2014 - par Laurent Nisen

Un RAVeL, en pleine ville, cumule plusieurs fonctions et attire différents types d’usagers, lesquels peuvent entrer en confit. UrbAgora s’est intéressé à cette cohabitation parfois difficile sur le RAVeL. Celui-ci constitue en effet un laboratoire du partage de l’espace urbain qui préfigure une nouvelle manière de gérer la mobilité en ville.

Nous souhaitions interpeller un maximum de Liégeoises et de Liégeois et les amener à s’interroger sur les causes structurelles des difficultés de mobilité qu’on peut rencontrer sur cette infrastructure et sur leurs propres comportements. Dans une philosophie d’éducation permanente, faisant appel à l’expertise et à la capacité critique de chaque citoyen, nous avons conçu une intervention dans l’espace public, visuelle et déroutante, qui fournit des outils d’analyse et donne la possibilité à chacun de s’exprimer.

L’étude 2013 sur la mobilité |1| : le début d’un processus

Le thème de la mobilité n’est pas neuf pour urbAgora. En 2013, un groupe de travail s’est penché spécifiquement sur les confits entre usagers de l’espace public. Leur nombre, leur répartition, les itinéraires qu’ils empruntent, les surfaces importantes dévolues au parcage dans une situation — la ville — de rareté, voire de pénurie, tout cela nous avait conduits à la rédaction de l’étude « Intermodalités et partage de l’espace public » |2|.

Différentes préoccupations y étaient évoquées : la place réservée aux voitures, les obstacles à la marche comme mode de déplacement, mais aussi la parfois difficile cohabitation entre cyclistes et autres usagers, dans les piétonniers du centre, et singulièrement sur le RAVeL.

Nous avons souhaité approfondir ce dernier point pour plusieurs raisons. D’abord parce que le RAVeL a de plus en plus de succès, que de nouveaux types d’usagers l’utilisent, et que son importance va certainement croître avec la construction de la nouvelle passerelle reliant les Guillemins au parc de la Boverie. Ensuite parce qu’il nous semble un laboratoire important pour comprendre les mécanismes à l’oeuvre dans un espace de mobilité partagée, comme on en voit se développer dans plusieurs villes européennes, en ce compris chez nous. Citons par exemple le résultat de la consultation populaire à Spa en 2007 |3|, la micro-expérience dans les rue Mambourg et de l’Etat-Tiers dans le quartier des Guillemins, ou encore le centre d’Herstal. Si ce type d’espace semble déjà insécurisant pour certaines personnes, comme cela semble le cas sur le RAVeL, sans la présence des voitures, comment réussir le défi de son implantation dans des quartiers urbains denses et ouvert aux automobiles ?

Le RAVeL est une composante à part entière des infrastructures de mobilité et constitue un modèle à développer et à améliorer pour l’avenir. La combinaison de la complexification des mobilités individuelles lentes et du défi de la réussite des espaces partagés pour l’avenir des villes nous a poussés à investir ce terrain spécifique de manière plus fine.

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Le RAVeL, un laboratoire de partage de l’espace

Le RAVeL peut être officiellement emprunté, sur le tronçon urbain, par les cyclistes, les piétons et toute personne motorisée pourvu que la vitesse ne dépasse pas celle du pas (voiturettes à moteur). Le RAVeL n’est donc pas une piste cyclable. Cela signifie que des personnes dont les vitesses sont très diverses (promeneurs, joggeurs, cyclistes, patineurs, etc.) le fréquentent. Par ailleurs, de nouvelles pratiques se font jour, comme celles des vélos à assistance électrique ou des Segways.

Entre la personne qui promène son chien, le joggeur occasionnel et le cycliste qui va à son travail, le type d’utilisation du RAVeL, les besoins, les attentes ne sont pas les mêmes. Apparaissent des confits de cohabitation entre usagers, selon la légitimité qu’ils attribuent aux différents modes d’utilisation, selon leur connaissance des règles ou celles qu’ils voudraient y transposer, selon les règles de politesse attendues de la part des autres (utilisation de la sonnette par les cyclistes, non usage de laisses extensibles par les promeneurs de chien, etc.), selon les craintes, les fragilités personnelles, les rapports de force qui se dessinent de manière différente selon les endroits et les moments : le RAVeL vit au rythme de la ville.

Le RAVeL à Liège, un aménagement qui compose avec la ville...

Comme tout élément qui doit s’intégrer dans un paysage déjà construit, le RAVeL a dû s’adapter aux contraintes de la ville existante. La requalification des anciens quais joue également un rôle dans l’apparition des conflits. Bittes d’amarrage et réverbères au milieu de la piste, chicanes dues aux arbres présents ou aux escaliers d’accès sont présents à de nombreux endroits, des rétrécissements, des haies ou murs masquent la vue, et localement des aménagements existants ont été utilisés, comme par exemple d’anciens trottoirs. La configuration de certains accès, l’emplacement de certains bancs, l’utilisation de certains revêtements posent également question.

Enfin, l’étroitesse de l’infrastructure est sans doute le facteur le plus critique, et malheureusement le moins adaptable. Des solutions existent, telles que la création de parcours alternatifs comme celui proposé par le GRACQ passant sous la place d’Italie et par la rue du Parc |4|. Les nouveaux aménagements en rive gauche, dédoublant l’infrastructure sur deux kilomètres pour les cyclistes et piétons résoudront partiellement le problème, bien qu’il soit difficile de dire dans quelle mesure cela désengorgerait le RAVeL ou au contraire attirerait de nouveaux usagers qui prendront la place ainsi libérée (ce qu’on appelle un effet d’appel). Mais des points noirs subsisteront dans tous les cas, comme le tronçon entre le quai Churchill et le quai Sainte Barbe, et la nouvelle passerelle en construction amènera son flot de nouveaux usagers, de surcroit d’un nouveau type : des touristes ou chalands flânant avec leurs (parfois encombrants) sacs d’achats.

Une approche globale, ouverte et associant les usagers en tant qu’experts de leurs déplacements

Par ailleurs, à urbAgora, nous estimons que la question n’est pas uniquement technique et interroge les rapports des citoyens entre eux, les négociations quant à la légitimité de chaque usage, les adaptations acceptables de sa propre pratique pour la préservation de la qualité du vivre-ensemble. Joggeurs à MP3 sourds à tout avertissement, cyclistes trop rapides, piétons imprévisibles : qui doit modifier son comportement, en l’absence de règles claires (sinon celles de la
présomption de responsabilité en cas d’accident) ?

Face à ces situations, faut-il règlementer davantage, par exemple en distinguant des bandes selon les utilisateurs ou en imposant de tenir sa droite comme sur une route ? Au contraire, faut-il laisser la situation en l’état, en tablant sur un travail de discipline des usagers ? Aucune de ces deux solutions ne nous a semblé adéquate. La largeur de l’infrastructure et la présence d’aménagements ou mobilier urbain ne permet pas de tracer des bandes (dans les deux sens !). Les règles créent des confits potentiels à leurs marges, les utilisateurs continuent à se diversifier, et la superposition de réglementation nuit à leur utilisation.

De l’autre côté, tabler sur une meilleure « éducation » est non seulement fastidieux et paternaliste, mais risque fort de se révéler contreproductif si chacun peut élaborer ses propres règles en fonction de ce qu’il estime acceptable ou efficace.

Nous avons donc opté pour une posture différente, qui pose la question au départ d’une multiplicité de vécus, et intègre un maximum d’éléments dans la réflexion : les usagers (moyen de locomotion), les usages (pourquoi utilise-t-on le RAVeL ?), les différents types de points de friction, l’influence des aménagements sur les comportements, les fréquentations différenciées en fonctions des heures de la journées, des jours de la semaine et des saisons. Cette approche ouvre la porte à des combinaisons possibles de solutions de nature différente, dont les effets combinés pourraient avoir un effet positif sur le confort de fréquentation du RAVeL.

Une intervention dans l’espace public

Pour parvenir à élaborer un tel programme, nous avons parié sur une action collaborative, qui visait à alimenter les réflexions de la part des usagers sur leurs propres comportements et sur ce qui pourrait les inviter à en changer le cas échéant.

C’est la raison pour laquelle nous avons conçu une campagne d’affichage. Par l’usage de panneaux de circulation fictifs et loufoques, nous avons voulu amener chacun à se questionner, à se positionner, à réagir : il est malheureux par exemple que certaines personnes âgées riveraines n’osent pas utiliser cette infrastructure par peur du danger.

Ces panneaux ont été conçus en fonction des situations rencontrées. En effet nous avons tout d’abord organisé une balade cycliste exploratoire au printemps 2014, dans le but de relever les points noirs de l’infrastructure. Nous les avons photographiés, et avons mis nos observations en commun. Ensuite, nous avons réfléchi à l’action que nous souhaitions mener : dans quel but et avec quels moyens ? Comment questionner sans donner de solutions ou de leçons ?

L’idée de l’utilisation de panneaux fictifs accompagnés d’une interrogation qui ouvre les questionnements s’est progressivement imposée. Ces panneaux recyclent, réinterprètent, inventent un code routier imaginaire, irréaliste, visant à questionner l’usager du RAVeL sur sa pratique, mais aussi sur les aménagements eux-mêmes. L’écueil qui nous a semblé important à éviter est l’imposition d’une norme, d’une prise de position envers l’un ou l’autre comportement. C’est la raison pour laquelle aucun de ces panneaux n’envisage la réalité du RAVeL de manière sérieuse, mais que tous y font écho.

Une double démarche : s’interroger et donner son avis

La campagne a donc eu pour objectif de permettre à chacun de s’interroger, sans pour autant donner de réponse. À cet objectif s’en ajoutait un autre : permettre à chacun de parler de sa pratique, d’indiquer ses bonheurs et ses griefs quant aux aménagements, à l’utilisation qui en est faite, etc. Des fiches, d’un format A5, et fixées aux rambardes, accompagnaient les panneaux pour répondre à cette ambition. Elles expliquaient brièvement la démarche et proposaient également à l’usager de se rendre sur le site d’urbAgora pour télécharger un guide exploratoire, une grille lui donnant les pistes sur lesquelles s’interroger et prendre position4. Le retour des usagers s’est fait de manière libre : par remplissage du questionnaire, par témoignages propres, etc.

Il ne s’agissait pas d’un questionnaire au sens strict. La démarche n’était en effet pas de prendre le pouls de l’opinion et d’obtenir des statistiques, lesquelles seraient forcément biaisées vu le mode de contact, mais de relever les problèmes rencontrés par les usagers du RAVeL, qu’ils soient fréquents ou occasionnels.

L’intérêt de mener cette action en été était de pouvoir toucher tant un public d’usagers réguliers, utilisant l’infrastructure pour se rendre au travail par exemple, que des utilisateurs occasionnels, pratiquant le RAVeL pour la première fois ou exceptionnellement. La confrontation entre ces types d’usage pouvait par ailleurs être davantage à l’origine de confits, que les utilisateurs réguliers, connaissant les particularités et « pièges » du parcours, peuvent avoir apprivoisés, trouvant un modus vivendi entre leurs différents usages |5|.

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Les retours sur l’action

L’action était prévue pour durer un mois. Après son démontage en début d’automne, les témoignages ont été traités, et un ensemble de propositions vont être portées à la connaissance des autorités communales et régionale dès leur validation par notre Assemblée générale. Par contre, il était malheureusement difficile de faire un état des lieux de l’impact de l’action sur les comportements des utilisateurs.

En ce qui concerne le questionnaire, celui-ci a donné lieu à 126 retours valides. Les répondants étaient pour deux tiers des hommes. La majorité d’entre eux avait entre 25 et 65 ans, répartis à part égale entre les catégories 25-35, 35-50 et 50-65. Deux sur cinq vivaient dans un quartier proche du RAVeL, deux autres dans un autre quartier de Liège, et un cinquième dans une autre commune de l’agglomération ou ailleurs. La moitié était cycliste, un quart marcheur et un dernier quart l’utilise tant comme piéton qu’à vélo. Un dixième s’y rendait en voiture, un autre dixième en bus, et quelques-uns y accédaient par le train.

Des problèmes connus ont été relevés en ce qui concerne l’infrastructure et ses accès : obstacles en tout genre, chicanes, revêtements inadaptés, etc. Par contre, il est apparu que les rambardes sont considérées comme n’assurant pas une sécurité suffisante pour les jeunes enfants (zones sans rambardes mais également espace trop important entre les montants horizontaux).

L’accès à l’infrastructure n’est pas bon, principalement pour les cyclistes et les autres usagers à roue (poussettes pour enfants, voiturettes, patins à roulettes, etc.) pas plus que la qualité de sa communication avec les quartiers alentours. Par contre, la qualité du paysage est plébiscitée.

Enfin, une diversité d’usages possibles ne se retrouvent pas dans l’infrastructure et nécessiteraient le développement de sites spécifiques : c’est le cas notamment pour l’apprentissage du vélo, ou la pratique du jogging.

Le partage de l’espace constitue un gros problème pour nombres de répondants. Et si la faute est souvent rejetée à l’autre, qu’il soit cycliste ou piéton, certains prennent le point de vue des uns et des autres. À tout le moins, l’usage de la sonnette par les cyclistes semble indispensable, tout autant que le maintien d’une vitesse réduite, tandis qu’il est attendu des piétons un minimum d’attention envers les usagers plus rapides, et aux propriétaires de chiens d’utiliser des laisses courtes.

Les répondants ont également pu se prononcer sur l’intérêt de certaines propositions de développement de l’infrastructure : tracés bis et nouvelles passerelles notamment. Si ces idées furent bien accueillies, la question du rapport entre le coût et l’intérêt (notamment comparé à d’autres besoins plus urgents) est souvent posée. La communication du RAVeL avec les quartiers et le problème de surpopulation sur ce tracé est une préoccupation majeure.

Quelques propositions

Suite à ces remarques provenant des usagers, il nous a semblé utile de faire des propositions concrètes. Celles-ci sont de deux types.

Les premières concernent l’amélioration de l’infrastructure : réflexion sur les revêtements, les rambardes, les obstacles divers tout d’abord, mais également sur les accès et la communication avec les quartiers, de manière à ouvrir le RAVeL plutôt qu’en faire une infrastructure de loisir refermée sur elle-même.

Les secondes concernent la signalisation. Le rappel des usages légitimes, des comportements acceptés et inacceptables, des règles de courtoisie entre utilisateurs devrait être affichés à différents points du RAVeL, de manière à arbitrer les comportement.

Par contre, la piste des règlementations supplémentaires n’a pas été jugée pertinente, si ce n’est en ce qui concerne une limitation de la vitesse à 20km/h, de manière à protéger les usagers les plus faibles. Le tracé de bandes spécifiques, à l’inverse, ne semble pas envisageable, notamment par l’étroitesse de l’infrastructure, mais aussi de manière à garder ce caractère de partage de l’infrastructure.

Le bilan

Une action de ce type, malgré un caractère a priori très localisé, demande une multiplicité de ressources, beaucoup d’énergie et de coordination. La méthodologie suivie, faite d’allers et retours vers le terrain, nous a semblé très pertinente, tout comme la succession des étapes : balade exploratoire, action de terrain, retour des usagers sur cette action. Il manquait sans doute la possibilité, pour les utilisateurs, de donner leur avis quant à l’action elle-même, ce qu’elle leur a apporté, si elle les a fait réfléchir, etc. Par contre, les échos, dans la presse ou de la part d’acteurs de l’administration, ont été très positifs.

On peut dès lors s’étonner, au vu de la richesse des points de vue exprimés, du peu de questionnement, de la part des responsables politiques, sur les problèmes manifestes posés par cette infrastructure, singulièrement en ville, a première vue paradoxaux avec son succès. Le RAVeL est très populaire, et il nous semble intéressant de chercher à en valoriser l’ensemble du réseau comme suggéré récemment par le Ministre René Collin |6| (mais pas uniquement au niveau touristique), mais ses limites apparaissent de plus en plus, tout comme certains défauts de conception. Manifestement, il manque un interlocuteur unique et une vision du RAVEL comme outil de mobilité à part entière. Des outils tels que des comptages pour la fréquentation ou une méthode d’évaluation de la pertinence des aménagements y feraient également le plus grand bien.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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