
Analyse
Retour sur l’expérience des rue de l’Etat Tiers et du Mambourg, dans le quartier des Guillemins, à Liège.
Habitant Fragnée, j’ai vécu et je vis toujours les métamorphoses de ce quartier liégeois. J’ai pensé qu’il était intéressant de conter l’histoire de deux rues, situées à proximité de mon domicile, qui ont connu la première expérience de mise en « zone résidentielle » du territoire communal liégeois. J’ai donc enfilé le costume d’enquêteur, rassemblant les faits et me documentant à différentes sources, pour rédiger cette étude |1|.
Les rues de l’Etat-Tiers et du Mambour sont situées dans un quartier très urbain, marqué par la présence d’un trafic « de pénétration » vers le centre ville, à proximité immédiate de la principale gare de Liège. Plusieurs écoles sont proches : deux écoles secondaires (ICADI et Athénée de Fragnée), deux Hautes Ecoles (Charlemagne et HELMO), deux écoles primaires (Georges Mignon et Sainte-Marie). Le SPF Finances et un supermarché sont également situés dans le quartier. Les rues jouxtent la place des Franchises où sont établis plusieurs commerces de proximité (pharmacie, librairie, horeca, lavoir, alimentation,...), un cabinet médical, un kinésithérapeute et une église. De rares commerces sont aussi établis dans les rues mêmes. La rue du Mambour débouche dans la rue Varin, laquelle a pour particularité d’héberger des « bars privés » (8 salons de prostitution).
Les travaux d’aménagement de la place devant la nouvelle gare des Guillemins ayant pris du retard, la Ville de Liège a obtenu le 8 août 2006 l’autorisation d’utiliser les fonds FEDER qui y étaient affectés à d’autres travaux liégeois dont la rénovation des rues du quartier de Fragnée-Guillemins. Les rues Albert de Cuyck, Varin, de Sclessin, du Mambour, de l’Etat-Thiers, et la place des Franchises sont concernées pour ce qui est de Fragnée. Sur proposition de la Commission de Rénovation Urbaine, les Echevinats de l’Urbanisme et des Travaux prévoient une « grande première » : la transformation des rues de l’Etat-Tiers et du Mambour en zone résidentielle, l’espace disponible entre les façades devenant un vaste trottoir où les voitures seront tolérées avec une vitesse limitée à 20 kmh et des espaces de parkings pour les riverains. Le début des travaux est prévu en 2007. La Ville de Liège présente le projet d’aménagement aux riverains lors de plusieurs réunions avec la volonté de faire participer les habitants au projet d’aménagement de leurs rues. Ces réunions ne soulèvent pas d’opposition.
1. Description chronologique de l’évolution des deux rues observées
1.1. Avant mars 2008
Les rues de l’Etat-Tiers et du Mambour présentent l’aspect classique de rues urbaines : l’habitat y est prépondérant avec quelques commerces. Un trottoir délimite l’espace dévolu aux piétons de part et d’autre de la rue. Les deux rues sont à sens unique. Le parking est payant place des Franchises mais libre dans les deux rues, sans limitation de durée. La vitesse est limitée à 50 km/h.
La rue de l’Etat-Tiers comprend un café (à l’angle de la rue de Fragnée), deux sandwicheries, un club sportif (arts martiaux et fitness), un local pour les scouts, une maison sociale paroissiale (aide aux démunis, vente de vêtements de seconde main). Les maisons sont de style unifamilial datant de la fin du 19e siècle ou du début du 20ème siècle, divisées pour certaines en appartements. Des chambres pour étudiants sont également mises en location. Un vieux garage privé, une ancienne friterie qui a cessé ses activités et un hangar industriel vide (ex Ets Dumont- Thiriart qui s’occupaient de maintenance de camions) en cours de transformation complètent le portrait. En période scolaire, la rue est parcourue par les étudiants de l’ICADI, de l’Athénée et des Hautes Ecoles qui viennent s’approvisionner dans les sandwicheries à midi et qui prennent le bus place des Franchises. La rue est également parcourue par les habitants de la rue de Fragnée, soit en voiture soit à pied pour rejoindre la place des Franchises et la gare des Guillemins.
La voirie est asphaltée, le sens unique va de la rue de Fragnée vers la Place des Franchises avec obligation de tourner à droite au bout de la rue. Les voitures peuvent se parquer le long des trottoirs.
Les fonctions sont donc : l’habitat, l’horeca, les loisirs, les activités sociales et le transit pour piétons et véhicules.
La rue du Mambour comprend essentiellement des maisons unifamiliales datant pour la majorité de la fin du XIXe début du XXe siècle, sauf 5 immeubles à appartements plus récents (de 4 niveaux maximum). La rue a pour caractéristique de comprendre plusieurs garages privés.
La rue connaît un trafic automobile de transit plus important que la rue de l’Etat-Tiers, vu la proximité de la rue Varin. Un « circuit » Varin - Buisseret - Mambour - Varin est emprunté en boucle par certains automobilistes attirés par les salons de prostitution. La rue du Mambour permet aussi d’éviter les embouteillages de l’axe Sclessin-Buisseret en heure de pointe, en passant par la rue Varin pour rejoindre la place Léman et quitter la ville. La rue est également empruntée par les piétons (étudiants, habitants, ...) pour rejoindre la gare des Guillemins ou le quartier de Cointe.
La voirie est pavée, le sens unique va de la place des Franchises vers la rue Varin avec obligation de tourner à gauche au bout de la rue. Le parking est autorisé le long des trottoirs, hors garages.
Les fonctions sont donc : l’habitat, le parking, le transit pour véhicules et piétons.
1.2. Pendant les travaux
Le 10 mars 2008, le terrassement de la rue de l’Etat-Tiers commence. Des pavés sont posés sur l’entièreté de l’espace de la voirie, en délimitant visuellement des emplacements de parking et en plaçant une rigole centrale pour l’évacuation des eaux. La rue du Mambour suit, en fonction de l’état d’avancement des travaux de la place des Franchises.
Début juin 2008, le « schlamage » (pose de bitume) des pavés est effectué d’abord rue de l’Etat-Tiers. Cette opération provoque la colère des riverains (esthétique de la rue qui perd ses pavés, éclaboussures sur les façades, épaisseur du bitume qui se liquéfie sous la chaleur,...) et a pour effet de ne plus différencier visuellement la rue en « zone résidentielle » des voiries avoisinantes asphaltées sinon par l’absence de trottoirs.
Des habitants de la rue du Mambour écrivent à l’échevin des travaux pour éviter le même sort à leur rue. De son côté, le comité de quartier interpelle également les édiles communaux. Habitants et comité de quartier se renseignent sur les alternatives au bitume. Le 10 juin 2008, une rencontre a lieu avec visite sur place entre les habitants et le responsable des voiries à l’échevinat . Le produit bitumeux est le seul prévu au cahier des charges et les factures des travaux doivent être rentrées avant le 30 juin 2008 pour bénéficier des fonds européens : il est impossible de modifier le cours des travaux. La rue du Mambour est donc également bitumée, mais avec un peu plus de précaution, et l’entrepreneur est chargé de tester différents produits abrasifs rue de l’Etat-Tiers afin de faire réapparaître les pavés.
La signalisation mise en place dans les deux rues se limite dans un premier temps à définir les zones de parking riverains et les zones de parking interdit et de poser les panneaux de début et fin de « zone résidentielle ».
Le marquage au sol des emplacements riverains et l’installation du mobilier urbain suivent. La rue de l’Etat-Tiers se voit pourvue de douze emplacements riverains et deux emplacements pour handicapés, en épis. La rue du Mambour a droit à neuf emplacements riverains et un emplacement pour handicapés également en épis. Deux bancs et deux poubelles agrémentent chaque rue. Les sens de circulation sont maintenus sauf pour les cyclistes qui peuvent emprunter les rues dans les deux sens.
1.3. Situation à la fin des travaux
La rue de l’Etat-Tiers est présent devenue zone résidentielle, pavée et recouverte de bitume, sans trottoirs, avec rigole au milieu. Le sens unique va de la rue de Fragnée vers la place des Franchises avec obligation de tourner à droite place des Franchises, sauf pour les cyclistes qui peuvent circuler dans les deux sens. À chaque extrémité de la rue se situent des emplacements de parkings riverains en zone 10. Deux bancs se trouvent au bout des emplacements de parking, tournés vers l’intérieur de la rue. Une poubelle jouxte chaque banc.
La rue du Mambour est également devenue une zone résidentielle, pavée et recouverte de bitume, sans trottoirs, avec rigole au milieu. Le sens unique va de la place des Franchises vers la rue Varin avec obligation de tourner à gauche rue Varin, sauf pour les cyclistes qui peuvent circuler dans les deux sens. Un passage pour piétons termine le carrefour côté rue Varin. Des emplacements de parking riverains en zone 10 sont situés aux extrémités de la rue. Deux bancs se trouvent au bout des emplacements de parking, tournés vers l’intérieur de la rue, une poubelle jouxte chaque banc.
1.4. Situation en 2013
La rue de l’Etat-Tiers a connu quelques changements au niveau de l’immobilier : le café est devenu un immeuble pour étudiants (9 studios), l’immeuble de l’ancienne friterie est en cours de rénovation, le vieux garage est devenu un immeuble neuf comprenant trois appartements et un rez commercial (bureau), le grand hangar de Dumont-Thiriart est en cours de transformation également. Le club sportif a fermé officiellement ses portes le 30 septembre 2013, mais un cours de karaté est maintenu dans l’immeuble.
Dans la rue du Mambour les fonctions immobilières sont restées identiques à part la venue d’un centre de bien-être (commerce).
La place des Franchises, entièrement réaménagée, garde ses commerces. Le parking y est payant sauf pour les personnes domiciliées sur la place en possession d’une carte riverain.
L’enduit bitumeux qui recouvrait les rues a été enlevé par sablage, par les services de la Ville, dans les zones réservées aux piétons. L’enduit a été laissé dans les zones de passage des véhicules pour garantir le maintien en place des pavés. Il reste très visible dans les zones de parking, mais a été presque éliminé dans les zones de circulation par le passage des véhicules.
Des potelets sont posés pour délimiter la zone réservée aux piétons : le long des façades et dans l’espace des bancs. L’argument de la Ville pour ne pas disposer des bacs à fleurs en alternance est le coût trop élevé et les problèmes d’entretien (bien que les riverains aient proposé de s’en occuper). Du fait de recréer des trottoirs, les rues ont perdu leur caractère de « zone résidentielle » et sont passées en « zone 30 ».
Les bancs et poubelles (mobilier urbain) sont restés en place sauf rue du Mambour où un banc démoli n’a pas été remplacé. Un bac à fleurs fait office de frontière entre chaque espace banc public et espace parking adjacent.
À la demande des habitants, la rue de l’Etat-Tiers a changé de sens et le sens de la rue du Mambour a été maintenu. Les sens uniques vont donc de la place des Franchises vers les rues extérieures (rue de Fragnée et rue Varin) sauf pour les cyclistes qui peuvent emprunter les rues dans les deux sens.
En ce qui concerne les emplacements de parking, on relève quinze emplacements riverains, deux emplacements pour handicapés, un emplacement « livraison » avec stationnement limité à 30 minutes dans la rue de l’Etat-Tiers ; et onze emplacements riverains et un emplacement pour handicapé dans son alter ego.
La rue de l’Etat-Tiers changeant de sens de circulation, les anciens marquages au sol ont été sablés et de nouveaux marquages réalisés. Un bac à fleurs est placé à chaque extrémité des rues pour en rétrécir la largeur.
En 2013, certains problèmes persistent malgré la pose des potelets et bacs à fleurs quoique avec nettement moins de gravité.
1.5. Dans le futur
Projets en cours et en devenir, impacts sur les rues du Mambour et de l’Etat-Tiers...
Le quartier de Fragnée est actuellement en pleine transformation. Les projets en cours et futurs vont immanquablement avoir un impact sur les rues de l’Etat-Tiers et du Mambour notamment au point de vue de la circulation.
Le PRU (périmètre de remembrement urbain) prévoit de nouveaux blocs d’immeubles entre la gare et la Meuse, le long de la future esplanade avec pour fonction de l’habitat, des commerces, de l’hôtellerie, des bureaux. Dès la construction de la place et de l’esplanade, l’investissement immobilier ne devrait pas tarder.
D’autres constructions en cours s’achèveront d’ici 2015 : Tour Paradis du SPF Finances, nouveau Delhaize, nouveaux immeubles rue de Fragnée. Les Hautes Ecoles Charlemagne et HELMO ont également des projets d’expansion en cours de réalisation ou à venir.
La Ville a la volonté de limiter les kots pour étudiants dans le quartier de Fragnée et essaye de supprimer les chambres louées aux étudiants qui ne sont pas conformes aux normes. Cependant, de plus en plus de maisons unifamiliales sont transformées en « studios » pour étudiants (autorisation de la Région Wallonne contre l’avis de la Ville), des appartements loués uniquement pour 2 ou 3 étudiants, et ce sans domiciliation, prolifèrent. L’arrivée de nouveaux étudiants non liégeois inscrits dans les Hautes Ecoles, avec leur véhicule personnel et logeant dans ces studios, augmentera pourtant le problème de parking.
De nouveaux habitants et clients des commerces, des touristes, des employés, des étudiants, viendront s’ajouter aux habitants, clients, employés, étudiants actuels...
En ce qui concerne la mobilité, une nouvelle artère située dans le prolongement de la rue Bovy, entre la rue de Sclessin et la rue de Fragnée, sera construite. Le réaménagement des quais le long de la Meuse, la construction de l’esplanade en prolongement de la place devant la gare |2|, la construction d’une passerelle au-dessus de la Meuse |3| pour rejoindre le nouveau musée et l’arrivée du tram vont reconfigurer le quartier.
2. Problèmes, actions, recommandations
2.1. La création d’un collectif
Les habitants des rues ont de bonnes relations de voisinage et se connaissent depuis longtemps pour certains. La plupart des maisons sont occupées par des familles qui ont vu grandir leurs enfants dans le quartier, ont fréquenté les mêmes écoles, ont fait partie des scouts,... Rue du Mambour, la rue est bloquée chaque année pour une « fête des voisins ». La décision de fonder une association de fait pour défendre leurs intérêts et porter leurs revendications est vite apparue. Ainsi est créé « Le collectif Etat-Tiers Mambour » qui va être très actif pour résoudre les problèmes des deux rues : réunions, affichages, pétition, rencontres avec les pouvoirs publics, courriers divers. Il entre finalement en concurrence avec l’autre pouvoir représentatif des habitants, le comité de quartier Fragnée-Blonden asbl.
Une première action du collectif est mise en place en juin 2008 avec la pose d’une affiche « Rue en deuil » aux fenêtres des maisons, contre le bitumage.
De son côté, le comité de quartier intervient au niveau de la presse locale. En septembre 2008, le collectif envoie une pétition signée par les habitants des deux rues aux édiles communaux. La pétition demande « de transformer les rues en culs-de-sacs fermés d’un côté par des vasques de fleurs, et ouvrables de l’autre par une borne rétractable encadrée de deux autres vasques, borne commandée par un lecteur de cartes magnétiques dont seuls les riverains seraient titulaires. » Le comité de quartier ne se joint pas à cette exigence du collectif qu’il juge inapplicable.
Le 20 octobre 2008, un nouvel échevin des travaux est nommé. Courriers et interventions du collectif et du comité de quartier se poursuivent.
Le 18 février 2009, le collectif interpelle à nouveau bourgmestre et échevin en rappelant les multiples démarches entreprises. Le collectif se définissant comme interlocuteur privilégié vis-à-vis de la Ville, il demande également au Comité de quartier de se mettre en retrait, mais souhaite garder de bons rapports et échanger toute information.
Une réunion a lieu le 3 mars 2009, organisée par l’échevin des travaux. Sont présents des représentants du collectifs, l’échevin des travaux et plusieurs membres de son cabinet, des membres du cabinet du bourgmestre, des représentants de la police de Liège dont le responsable du service signalisation.
Au point de vue de la circulation automobile, les propositions des riverains sont étudiées au niveau de la légalité et de la situation des rues. Poser des bornes pour limiter l’accès aux seuls riverains feraient de ces rues des « rues privées » ; or les rues sont légalement publiques (appartenant au territoire communal). Un pourcentage d’emplacements de parking doit être accessible à tous par zone ; il serait donc illégal de prévoir uniquement des emplacements riverains. Faire un piétonnier imposerait un horaire de parking limité pour tout riverain ne possédant pas de garage privé. Mettre les rues en culs-de-sacs pose problème, les véhicules d’intervention (camion de pompier, ambulance) et de voirie (camion poubelle) ne pouvant faire demi-tour vu la largeur des rues.
De commun accord, un projet de modification est envisagé à réaliser dans un délai raisonnable dont :
— Réduction (à 3,50 mètres) de la largeur des entrées et sorties de rues par des bacs à fleurs.
— Placement, à 1,50 m. des façades, en alternance de bacs à fleurs et de potelets d’1,20 m de hauteur dans les zones où il n’y a pas de parking pour empêcher le parcage des voitures le long des façades et créer ainsi une zone protégée pour les piétons.
— Agrandissement de la zone de stationnement avec ajout de deux emplacements pour la rue du Mambour et 6 pour la rue de l’Etat-Tiers.
— Placement de la signalisation adéquate à l’entrée des deux rues.
En août 2009, le projet final est communiqué aux habitants, avec quelques modifications par rapport au projet du 3 mars 2009 (pose de potelets seuls,...). Des essais pour enlever le bitume, par les ouvriers de la Ville, ont lieu en mars 2010. Ils s’avèrent positifs, les travaux démarrent en avril 2010. Ils sont finalement terminés en 2011, par la pose de potelets.
Les habitants posent des pots de fleurs et autres objets le long de leurs façades pour essayer d’empêcher le parcage sauvage. Les altercations entre riverains et propriétaires de véhicules mal garés sont quotidiennes, certains riverains renonçant à rentrer chez eux sur le temps de midi. Rue de l’Etat-Tiers, le problème relationnel se pose avec plus d’acuité les jours de forte fréquentation du club sportif. Le comité de quartier rappelle les règles du panneau « zone résidentielle » aux habitants sur son site et par courriel. Il demande également à la Ville la pose d’un panneau de limitation de vitesse à 20 km/h, ce qui est refusé vu qu’un panneau de circulation ne peut pas en expliciter un autre.
Le collectif distribue des « papillons » aux habitants, à poser sur les pare-brise des contrevenants.
Le club sportif demande à ses membres de ne pas se garer dans la rue de l’Etat-Tiers.
La police de la Ville délivre régulièrement des procès-verbaux aux véhicules mal garés.
2.2. Les leçons à tirer de cette expérience
a) Les fonctions du quartier et des rues. La proximité de la gare, des écoles, des commerces, d’un club sportif très fréquenté provoquent des conflits de cohabitation pouvant poser problème entre les fonctions de transit et des usagers aux attentes différentes. Du fait que les rues étaient devenues un espace ouvert partagé, les habitants des rues se sont trouvés confrontés à l’envahissement de leur « territoire » par les navetteurs, les étudiants non résidents, les automobilistes de transit et non résidents. Les piétons, qu’ils soient riverains ou de passage, se sont confrontés aux automobilistes, les uns prenant le pas sur les autres en fonction de la « masse critique » présente. Une meilleure analyse par les échevinats des travaux et de l’urbanisme des fonctions et critères des rues et du quartier dans lequel elles sont situées permettrait de mieux cerner les tenants et aboutissants d’une décision comme la mise en « zone résidentielle » d’une rue. Le sens des rues, par exemple, est important : l’accès des rues par l’intérieur du quartier plutôt que par l’extérieur limite la circulation de transit (sens actuel des rues étudiées).
b) La mobilité. Les automobilistes cherchant une place gratuite pour une durée limitée ou longue prennent d’assaut l’espace longeant les façades des maisons dans un premier temps, les emplacements réservés aux riverains et la moindre parcelle non protégée par les potelets dans un second temps. Dans les emplacements riverains, les véhicules sont souvent encore parqués trop près des façades. Rue de l’Etat-Tiers, le parking « livraison » est aussi utilisé par des véhicules de passage pour une durée limitée. Les nombreux étudiants venant à pied se restaurer dans les sandwicheries à midi prennent possession des lieux pour se retrouver et manger, forment des groupes au niveau des bancs et marchent à plusieurs sur toute la largeur de la voirie, se confrontant aux automobilistes. Le problème du parking sauvage est récurrent dans le quartier. Le tram et les parkings dissuasifs aux points d’entrée de la ville permettront en principe de le réduire. La réalisation d’un parking dissuasif au terminus du tram à Sclessin devrait avoir un impact sur le mode de mobilité des navetteurs, des personnes travaillant dans le quartier (fonctionnaires et autres), des étudiants, .... Néanmoins le problème reste entier pour les habitants de Seraing (rive droite), le tram n’allant pas jusque là. La mise en exploitation pour voyageurs de la ligne 125A permettrait aux Sérésiens d’atteindre la gare des Guillemins en train plutôt qu’en voiture.
c) L’insécurité. Elle est due essentiellement au non respect du code de la route, mais aussi à la disposition des aménagements survenus ultérieurement. La limitation de vitesse n’est pas respectée par les automobilistes. Des voitures roulent à contre-sens dans la rue de l’Etat-Tiers. Actuellement, l’étroitesse de l’espace « trottoir » pose problème, les piétons empruntant régulièrement la voirie pour se déplacer. Il n’y a pas assez d’espace devant les bancs pour favoriser la convivialité (impossible de se tenir debout en vis-à-vis avec une personne assise sans lui marcher sur les pieds), ce qui provoque là aussi un dépassement sur la voirie. Les camionnettes parquées dans les emplacements riverains, trop longues, dépassent systématiquement les marquages au sol. Un des deux bancs de la rue du Mambour trépasse, embouti par un véhicule.
La vitesse de pénétration dans les rues de l’Etat-Tiers et du Mambour pourrait être freinée par l’aménagement des entrées de ces rues. Rétrécir la rue avec un bac à fleurs ne semble pas suffisant. Remonter le niveau de la rue de quelques centimètres (4 cm pour les rues de l’Etat-Thiers et du Mambour, 7 cm rue de l’Evêché) est impossible. Une solution serait la mise en place d’un brise-vitesse, sur toute la largeur de la rue. Une autre serait de marquer visuellement la différence de niveau. J’ai pu constater que les véhicules rentrent dans la rue du Mambour sans ralentir, passant des pavés de la place des Franchises aux pavés de la rue, mais qu’ils freinent tous à l’autre bout de la rue où une bande de béton, l’asphalte et un passage pour piétons succèdent aux pavés. Une bande de couleur vive pourrait aussi être testée.
d) La communication. Des conducteurs y compris riverains ignorent la signification du panneau « zone résidentielle », ou ne sont pas au courant du changement de sens de la rue de l’Etat-Tiers.
Mieux communiquer avec les usagers des deux rues aurait évité pas mal de problèmes. Même si la police de la Ville a fait ce qu’elle pouvait, les riverains et le comité de quartier ont dû suppléer, avec leurs moyens, au manque d’informations visant à faire respecter le code de la route. Un panneau explicatif écrit rappelant la législation à respecter dans une « zone résidentielle », comme le demandait les riverains, est indispensable pour ce genre de rue qui n’est pas encore très courante. Mettre des papillons et affiches informant du changement de statut des rues dans les commerces et dans les boîtes aux lettres du quartier, aux valves des écoles et du SPF Finances aurait sans doute amélioré les rapports entre les riverains et les autres usagers de la rue. Enfin, même si la collaboration avec les habitants a été effective, la réalisation des modifications pour améliorer leur quotidien a pris un temps considérable et nécessité un grand nombre de courriers et moyens de pression. Si la Ville avait non seulement entendu les doléances, mais agit plus rapidement pour résoudre les problèmes, certains conflits auraient pu être évités.
La coordination entre des différents échevinats de la Ville et les différents niveaux de pouvoirs peut améliorer le cadre de vie d’un quartier, mais aussi le mieux vivre ensemble.
e) Les critères techniques La pose d’un enduit habituellement utilisé dans les rues à fort passage de véhicules aurait pu être remplacé par un enduit plus adapté. La Ville, les riverains et le comité de quartier se sont informés sur ce qui avait été utilisé ailleurs, mais l’Echevinat, pour diverses raisons (notamment le manque de recul par rapport à l’efficacité), a préféré s’en tenir à la technique connue. Actuellement, des pavés asiatiques choisis se délitent au niveau de l’épaisseur (rue du Mambour).
f) La législation. Les habitants se sont posé la question du nettoyage des rues, la législation communale n’étant pas adaptée en la matière. En l’absence de trottoirs, qui de la Ville ou du riverain nettoie quoi ? Le comité de quartier rappelle les règles prescrites par le règlement communal (le riverain entretien le trottoir, l’accotement et la rigole en regard de sa demeure sauf pour les voies piétonnes où il est tenu de nettoyer la portion du domaine public face à sa demeure limitée à la largeur de la voie si elle est inférieure à 6 mètres et à trois mètres si elle est supérieure à six mètres), mais ces règles ne s’adaptent pas aux rues concernées qui n’ont pas de trottoirs et ne sont pas piétonnes.
La question de la « privatisation » du domaine public se pose pour la culture de végétation avec racines au pied des façades ou la pose d’objets sur l’espace de voirie. Le Code du Gestionnaire prévoit que l’on ne peut expliciter un panneau de signalisation par un autre ce qui a empêché d’installer un panneau explicatif de la « zone résidentielle » (panneau de limitation de vitesse, panneau écrit définissant les règles de cohabitation).
g) La cohabitation. Le non-respect des autres usagers a provoqué des altercations entre les riverains et les conducteurs de véhicules non résidents, entre les riverains et les étudiants. La cohabitation avec les jeunes s’avère difficile : des étudiants empêchent un riverain de quitter la rue en voiture, des détritus s’accumulent autour des bancs et sont jetés n’importe où.
h) La propreté. Outre la question de savoir qui nettoie les rues, l’incivilité pose problèmes avec des poubelles qui débordent à proximité des bancs, des détritus jetés sur la rue (canettes et autres).
i) L’aspect financier. La pose de l’enduit bitumé n’a pu être évité sans quoi les fonds Feder étaient perdus. La demande des riverains pour le placement en alternance de bacs à fleurs et de potelets n’a pu être rencontrée par manque de budget.
j) La vision à long terme. Les plans du PRU du quartier des Guillemins, l’agrandissement des Hautes Ecoles et la construction de la nouvelle tour des Finances étaient connus en 2006. Par contre le passage du tram dans le quartier n’était pas encore déterminé. En tenant compte de l’arrivée de nouveaux navetteurs, de nouveaux employés, de nouveaux étudiants et de l’impact de ces usagers sur le quartier, la question se pose du choix de ces rues pour tenter cette expérience. La mise en « zone résidentielle » de rues situées dans un quartier aussi central est-il pertinent même si, au départ, elles comportent essentiellement des habitations ?
h) Le manque de confiance envers les riverains. Les futurs riverains sont d’office jugés incapables d’entretenir des bacs à fleurs et dès lors la demande des riverains actuels de fleurir la rue n’est pas rencontrée.
2.3. Pour accentuer la fonction résidentielle : les « frontages actifs »
Accentuer le côté résidentiel permettrait d’éviter à la fois la vitesse excessive, le stationnement sauvage, les rapports conflictuels. Une rue verdoyante a un aspect plus résidentiel qu’une rue bétonnée. Les immeubles des rues de l’Etat-Tiers et du Mambour ne possèdent pas de jardins privés en prolongement de la façade avant. Mais certains riverains avaient commencé à installer de la végétation en pots pour sécuriser la rue et il est dommage que la Ville n’ait pas installé des bacs à fleurs plutôt que des potelets pour atteindre le même objectif. Il y a actuellement un exemple de plantation le long d’une façade rue de l’Etat-Tiers et un exemple de pot fleuri rue du Mambour.
À Brême et Fribourg, des « frontages actifs » ont été mis en place par les pouvoirs publics et les riverains pour obtenir des rues vivantes où passants, enfants et habitants se côtoient en toute convivialité. L’espace public devant les maisons est confié aux habitants avec pur but premier, et donc aussi la condition de toute intervention, d’améliorer la vie de la rue. Un dialogue entre la Ville et les habitants est essentiel, mais aussi la confiance envers la capacité d’autogestion des habitants. Dans les rues de l’Etat-Tiers et du Mambour, le territoire communal actuellement compris entre les potelets et les façades pourrait facilement prendre la forme de « frontages actifs » pour y pratiquer, là où l’espace le permet, la culture (en pots /en bacs, éventuellement la plantation d’un arbuste), mais aussi pour y déposer des objets (une sculpture faite par les enfants de la rue, un bac où déposer des objets à donner,...) ou y organiser des activités collectives (repas entre voisins,...). L ’entretien de ces frontages serait à la charge des riverains avec éventuellement l’aide du service propreté (poubelles près des bancs). Les façades pourraient elles-mêmes devenir des « frontages actifs » non seulement en étant fleuries, ce qui est encouragé par la Ville, mais aussi en y faisant pousser des plantes grimpantes prenant racine entre les pavés de la rue. Le service plantations de la Ville ou une école d’horticulture pourrait éventuellement rencontrer les riverains pour les conseiller dans le choix des plantations. Et il ne faudrait sans doute pas grand chose pour impliquer les scouts, les sportifs, voire les étudiants et les autres passants dans la gestion de cet espace. Ainsi les deux rues pourraient, qui sait, devenir ce dont rêvaient la Ville et les habitants.
Prévoir une législation spécifique pour ce type de rue est une nécessité. La notion de « frontage public actif » (espace public de la voirie mis à disposition des riverains) et sa gestion ne correspond notamment à aucun article du règlement communal actuel.
Conclusions
La transformation de ces deux rues en « zone résidentielle » était une première expérience pour la ville de Liège. Les problèmes qui se sont posés étaient nouveaux et ne devraient plus survenir à l’avenir. Depuis, la rue de l’Evêché a également été transformée en « partage modal » zone 30 sur une partie de son parcours et des problèmes rencontrés dans les deux rues étudiées ont pu être évités : vitesse, parcage, enduit. Ces éléments serviront à titre d’exemple de comparaison. Même si chaque rue a ses spécificités et que tout ne peut pas être transposable, quelques critères sont récurrents. D’autres critères demanderont une volonté de la part de la Ville de changer le règlement communal pour améliorer encore ces espaces de vivre ensemble.
La décision de la Ville de transformer les rues du Mambour et de l’Etat-Tiers en espaces de vie plus agréables, en impliquant les riverains dans le processus, est tout à son honneur. L’expérience vécue permet de fixer quelques critères pour d’autres choix du même ordre. L’analyse complète du territoire est indispensable au préalable, chaque rue ayant ses spécificités (fonctions de la rue et du quartier, tissu social,...). L’impact des projets urbains futurs sur les rues choisies doit également être pris en compte. Au niveau technique, la différence entre la rue à espace partagé (résidentielle ou non résidentielle) et les rues urbaines classiques voisines doit être marquée visuellement et concrètement (revêtements différents, hauteurs différentes,...). La circulation de transit doit être évitée au maximum, en optant pour un sens de circulation favorisant la circulation de l’intérieur du quartier vers l’extérieur et non l’inverse. La communication entre tous les intervenants et tous les usagers doit être maximale. Enfin, le rôle des habitants est primordial et leur faire confiance est fondamental. Donner un aspect réellement résidentiel à ces rues demande la participation active des habitants pour les rendre vivantes : plantations, objets, projets collectifs vécus dans la rue. La notion de « frontage actif » est une petite révolution qui demande non seulement une autre façon de penser l’urbanisme de ces rues, mais aussi une modification législative.
Les sources de cette analyse consistent principalement en des entretiens avec les habitants des rues de l’Etat-Tiers et du Mambour, les responsables du comité de quartier Fragnée-Blonden asbl, le livre Reconquérir les rues, exemples à travers le monde et pistes d’action de Nicolas Soulier (Editions Ulmer) et le site web de la Ville de Liège.
|1| J’ai malheureusement manqué de temps pour interroger un protagoniste essentiel : l’Echevinat des Travaux de la Ville.
|2| Voir les explications sur le site de la Ville de Liège.
|3| Cf. l’avis déposé dans le cadre de l’enquête publique à ce propos par urbAgora, en avril 2012.
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Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente
