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lundi 22 décembre 2014

Analyse

Cittàslow, projet pour la ville ou simple label ?

22 décembre 2014 - par Thomas Lesuisse

Lancé en 1999 par quatre maires italiens, Cittàslow (littéralement « ville lente ») vise à rassembler des villes de moins de 50 000 habitants autour d’une charte valorisant la qualité de vie et la communauté locale. Le projet s’inscrit dans la foulée de l’expérience « Slow Food », également initiée en Italie quelques années plus tôt par les mêmes protagonistes en réaction à l’extension de la restauration rapide à Rome, et ayant donné naissance au « Slow Movement », désignant l’ensemble de ces initiatives visant à « défier le culte de la vitesse » |1|.

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En une quinzaine d’années, cent soixante-huit municipalités se sont portées signataires de cette charte. La plupart de ces villes sont situées en Europe occidentale, mais on note également la présence de participants asiatiques ou australiens, signalant un intérêt potentiellement plus global. La persistance du label sur une longue période indique par ailleurs que Cittàslow ne s’est pas limité à un phénomène de mode mais est parvenu à s’imposer dans plusieurs contextes de gestion urbaine, en gagnant chaque année de nouveaux soutiens. La grande variété des villes concernées montre enfin la capacité fédératrice du projet, pouvant convaincre des maires de sensibilités politiques habituellement éloignées des mouvements urbains ou écologistes – dont les thématiques sont pourtant proches de celles développées par Cittàslow.

Si l’on peut donc parler d’un succès à plusieurs points de vue, des questions restent en suspens quant à la portée réelle du projet sur les politiques mises en œuvre localement, ou sa capacité à contribuer à un mouvement de transition plus large. Au-delà de son aspect distinctif, le concept de « ville lente » peut-il être le point de départ de changements sensibles ?

Festina lente contre just in time

Dans sa charte fondatrice, Cittàslow se positionne en réaction aux effets de la mondialisation sur le développement urbain. L’un des quatre maires à l’origine du projet résume le constat : « les villes deviennent uniformes, perdent leur identité et leur âme ». D’où l’intérêt d’une forme de contre-culture urbaine, visant à défendre les petites villes, les communautés et cultures locales. Cette vision s’incarne dans un parti-pris du festina lente, un mot d’ordre volontairement provocateur à l’heure de l’économie du just-in-time. Il s’inspire de l’expérience des édiles toscans à l’origine du mouvement, reconnus pour avoir fait de leurs cités respectives des symboles de la lutte contre l’urbanisation sauvage et de la préservation du patrimoine local.

A la différence d’autres mouvements critiques vis-à-vis de la mondialisation, Cittàslow limite son message à quelques aspects des politiques urbaines et ne semble pas se placer dans la perspective d’un changement plus global. L’attention apportée à la « qualité de l’accueil, des services et du tissu urbain » est présentée avant tout comme une opportunité à saisir pour les municipalités. Il est proposé à celles-ci de s’inscrire dans une série de principes relativement souples, tels que la promotion des logiques circulaires, la préservation des modes de production locaux et traditionnels, l’attention à la sociabilité et à l’hospitalité dans les lieux publics ou l’utilisation des technologies respectueuses de la qualité de l’environnement et du tissu urbain. Il faut donc voir Cittàslow davantage comme une initiative visant à fédérer des énergies locales autour de quelques principes forts plutôt que comme un mouvement militant à proprement parler. |2|

Une mise en œuvre au sommet et peu contraignante

En Belgique, quatre communes wallonnes (Chaudfontaine, Enghien, Lens et Silly – ces trois dernières présentant la particularité d’être limitrophes) et une bruxelloise (Evere) ont rejoint le réseau Cittàslow. Peu d’informations sont directement accessibles quant aux projets menés dans ce cadre. Le site web de la commune de Chaudfontaine est le moins avare en informations (bien que celles-ci datent de 2009) et présente plusieurs projets menés dans le cadre proposé, tels que la création d’un marché de produits locaux ou le développement des espaces verts. Celui de la commune d’Evere annonce un programme complet pour le début de l’année 2013 et ne semble plus avoir été mis à jour depuis.

Sous réserve d’une analyse plus fouillée, les exemples belges de « villes lentes » ne laissent donc pas transparaître de profonds changements dans la manière d’aborder les questions urbaines. On y trouve tout au plus une valorisation d’expériences positives, s’inscrivant certes dans la philosophie du projet mais sans déboucher sur une évolution plus large des attitudes des responsables communaux. Le bourgmestre de Chaudfontaine, membre du parti libéral, s’est ainsi prononcé en faveur de la construction d’une nouvelle liaison autoroutière quelques mois après avoir déclaré son intérêt pour Cittàslow, et cela en dépit de l’impact environnemental négatif de ce projet. La perspective incertaine de voir le trafic local diminuer sous l’effet de cet aménagement ainsi que la promesse de quelques aménagements a semble-t-il suffi à emporter l’adhésion de la commune sans que celle-ci n’y voit de contradiction avec l’engagement pris par ailleurs de protéger son milieu |3|.

On peut voir dans cette faible consistance des partisans du projet une conséquence du type de mise en œuvre de celui-ci. À la différence du réseau des villes en transition, misant essentiellement sur l’implication citoyenne directe, le mouvement Cittàslow s’adresse directement aux responsables communaux, dans une optique top-down. La signature de la charte et le respect d’engagements peu contraignants suffisent à obtenir le label. Faute d’un engagement citoyen à la base pour le porter, le projet laisse toutefois place à une déclinaison superficielle des principes défendus, pouvant très facilement se confondre avec le discours municipaliste plus classique portant sur la défense des intérêts locaux. Dans ce contexte, Cittàslow peut être considéré comme un label commode pour un élu cherchant à distinguer son action sans aller jusqu’à modifier son discours ou sa pratique générale du pouvoir. Le maire d’une des communes participantes donne une bonne illustration de cet aspect :

« Soyons clairs, la traduction littérale de Cittàslow par “ville lente” ne me convient absolument pas. Adhérer au réseau des Cittàslow, c’est pour Mirande rejoindre les villes de la convivialité, de la qualité de vie, sans souci de déplacement, avec une bonne qualité de l’air, du caractère et des relations fortes entre les concitoyens. Être Cittàslow va être l’occasion pour nous de mettre en avant nos produits locaux et artisanaux, de développer le tourisme. C’est vraiment une démarche qui apporte à notre région un label de qualité. » |4|

Une contribution utile au débat

Au-delà des réserves que peuvent inspirer ces implications modérées, la souplesse de la démarche Cittàslow peut être vue comme une force. Elle permet en effet de convaincre un large nombre de participants, comme le prouve le succès du mouvement, et ainsi de populariser une vision de la ville porteuse d’alternatives — certes timides, mais malgré tout appréciables. La démarche rend l’idée du bien vivre et de la frugalité attractive au-delà des cercles de convaincus, et propose une manière facile d’opérationnaliser cette idée à travers un label reconnaissable et valorisable aux yeux du public. Le concept permet de relier les attentes souvent exprimées au niveau local (quiétude, proximité, défense du cadre de vie) à un ensemble de pratiques positives. En outre, la logique réticulaire du projet permet de contourner l’image, souvent utilisée par les détracteurs des nouvelles conceptions urbaines, du repli et du déclin dans lequel se plongerait toute ville décidant d’emprunter un chemin différent. Il fournit une base à l’échange de bonnes pratiques entre des villes de tailles moyennes, permettant d’initier des démarches alternatives à l’échelon où elles peuvent être les plus visibles.

Si Cittàslow ne peut être perçu comme un aboutissement, il participe à engager le débat public sur les questions urbaines dans la bonne direction. Sa posture iconoclaste, pouvant être perçue comme légèrement hors sol de prime abord, a le grand mérite d’induire un questionnement sur des dimensions très concrètes telles que la mobilité, de l’aménagement du territoire ou les modes de production et de consommation |5|, mais également d’orienter la réflexion des élus sur la définition d’un projet de vie positif au niveau local. Une contribution utile, qui aura toutefois besoin de davantage d’implication à la base pour tenir ses promesses.

|1| Carl Honoré, In praise of slow – How a worldwide movement is challenging the cult of speed, Orion, 2004.

|2| Susan Radstrom, A Place Sustaining Framework for Local Urban Identity : an Introduction and History of Cittaslow, Italian Journal of Planning Practice Vol. I, issue 1, 2011, pp. 90 – 112.

|3| Chaudfontaine dit oui à CHB, La Meuse, 28 septembre 2007.

|4| Sophie Chapelle, Cittàslow gagne le Gers, Urbanisme n°381, novembre-décembre 2011.

|5| Sandra Moatti, Mobilité urbaine : vers la ville frugale, Alternatives Economiques n°323, avril 2013.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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