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Une publication de l'asbl urbAgora

Le chaînon manquant

Un journal en ligne sur les questions urbaines à Liège
mercredi 6 octobre 2010
Photo : Nicolas Bomal

Prospective

Liège en 2030 : ville poète ou ville cosmétique ?

Cet article relate et analyse un atelier de réflexion qui s’est tenu lors du séminaire résidentiel d’urbAgora en octobre 2010, sur le thème « Liège en 2030 ? » |1|.

6 octobre 2010 - par Mathilde Collin

L’objectif du séminaire était de formuler des questions pour l’avenir de Liège à un horizon de moyen terme, 2030. À partir de projet actuels qui nous semblent ne pas intégrer une série de défis à venir (notamment le pic du pétrole et ses conséquences sociales) ou qui s’orientent dans une direction que nous ne souhaitons pas pour la ville (i.e. exclusion visuelle de l’extrême pauvreté et de la détresse sociale, aménagements qui ne s’intègrent pas dans le bâti existant, soumission des projets aux volontés d’acteurs économiques puissants), nous voulions imaginer à quoi ressemblerait Liège en 2030 : ce à quoi elle ressemblera si l’évolution actuelle suit son cours et ce vers quoi nous voudrions qu’elle évolue.

Nous avons invité une série d’intervenants issus de milieux très divers — associatif, universitaire, administratif, politique, citoyens engagés — et leur avons à tous posé la même question : « Comment imaginez-vous Liège en 2030 ? ». Cet exercice devait à la fois susciter une réflexion prospective chez les intervenants et éveiller auprès des participants une série de questionnements sur l’avenir, mais aussi leur faire prendre conscience d’un certain nombre de contraintes. La dernière matinée était quant à elle consacrée à une mise en commun, à une construction collective d’un avenir pour la ville.

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Les thèmes abordés lors du week-end ont brassé un large ensemble : le rôle des bâtiments symboliques dans une ville, la construction en hauteur, la présence d’espaces verts, la mobilité, les exclusions sociales dans la ville, les processus de participation citoyenne aux décisions, l’impact paysager des décisions d’urbanisme.

Au moment de réaliser une synthèse, les participants ont orienté la discussion en retournant la question de départ et en se demandant pourquoi ils voulaient faire évoluer la ville. Il s’agissait donc d’identifier ce qu’on aime à Liège, pourquoi la ville suscite une passion, à quoi nous sommes réellement attachés. À partir de ces points positifs, il leur semblerait plus facile d’imaginer la ville idéale qu’en partant de problèmes. Ceci paraissait d’autant plus pertinent que la plupart des invités n’ont en réalité pas projeté Liège dans l’avenir mais expliqué leur analyse de la situation actuelle, en mettant l’accent sur les problèmes à résoudre, ce qui donnait l’impression que tout allait mal.

Les membres du groupe ont donc questionné le sujet même du séminaire : « Au fond, pourquoi vouloir faire évoluer la ville à l’horizon 2030 ? Quelle est cette volonté de changement ? Qu’est-ce qui ne nous plait pas dans la ville ? Nous nous y sentons pourtant bien, pourquoi ? Qu’y aimons-nous ? »

Sous la houlette de Joël Larouche, du bureau Marvayus |2|, les participants ont chacun retenu mentalement une image de Liège qu’ils aiment, et ont décrit chacun à leur tour ce qui se trouvait sur la « photographie » aux autres membres du groupe. Il était donc bien question de faire ressortir ce qui est apprécié à Liège en particulier, et non pas au fait d’habiter en ville.

Plusieurs éléments sont ressortis assez nettement : l’importance des éléments naturels, des déplacements à pied, vélo, ou bateau, l’agitation humaine, la cohabitation d’éléments anciens et neufs. Plusieurs personnes ont ajouté un commentaire sonore à la photographie, précisant qu’elle pouvait être calme (à l’écart de la circulation automobile, bruits de feuillages, eau qui coule) ou au contraire bruyante (brouhaha de la foule). D’autres ont précisé à quelle moment de la semaine ou de l’année elle était prise : le lieu y est en effet habité et occupé différemment en fonction de la période.

Ensuite, à la question « Qu’est-ce qui pourrait venir gâcher ce lieu ? », les réponses se sont centrées sur la présence de caméras de surveillance, la présence de vigiles, de touristes bruyants, la circulation automobile. Ces éléments ayant en commun la construction de barrières, de limites au champ de vision et d’action dans ce lieu. Se poser pour observer tranquillement le lieu est considéré comme une action à part entière, un acte de liberté.

Enfin, à la question « Comment améliorer ce lieu ? », peu d’éléments ont été cités, étant donné que les participants ont choisi au départ des lieux qu’ils apprécient particulièrement. Néanmoins, deux points sont ressortis : habiter les étages dans une rue commerçante et aménager un accès à la Meuse, un espace de promenade le long des quais.

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La discussion qui a suivi a mis en évidence plusieurs éléments.

En premier lieu, Liège est une ville de contrastes, cela fait partie de son histoire mais aussi de sa personnalité. Le concept de personnalité a toute son importance car il signifie que le genre de sentiment que l’on éprouve à l’égard de la ville, et qu’elle suscite auprès de nous, sont identiques à ceux que l’on peut éprouver lors d’une relation avec un être humain : plus que ses qualités et ses défauts, ce sont les interactions entre les deux, le tempérament, qui fondent l’attachement. Cette personnalité se décline en fonction des quartiers, des moments, et se traduit par une ambiance.

Les « binômes indissociables » sont les suivants : tranquilité/agitation humaine, ancien/nouveau, ancrage/passage. Les éléments, mais aussi les cultures et les rythmes de vie se cotoient dans une relative harmonie. Modifier un élément du paysage perturbe l’ensemble de l’équilibre et doit donc trouver une compensation ailleurs.

En deuxième lieu, la notion d’ambiance fait appel à tous les sens. Une simple photographie ne peut suffire à décrier pourquoi un lieu nous plait. On doit y percevoir le mouvement et sa rapidité, entendre les sons, humer ses odeurs, entrer en contact avec d’autres personnes. Ce sont tous ces éléments qui provoquent un sentiment général et diffus de bien être, et non uniquement l’agencement des éléments ou leur beauté.

En troisième lieu, on peut aimer un lieu plus ou moins en fonction du moment, et cela se décline sous plusieurs aspects : le moment de la journée ou de la semaine, le temps qu’il fait et son impact sur le paysage et les lumières, l’état d’esprit dans lequel on se trouve. La diversité des ambiances permet toujours de se sentir bien quelque part, mais cela nécessite une bonne connaissance de la ville.

Quatrièmement, si ce que nous aimons à liège relève de la perception et s’ancre dans une relation de moyen ou long terme avec la ville et ses habitants, il parait difficile de partager cette beauté avec des gens de passage, surtout lorsqu’ils se positionnent en tant que touristes et organisent leur séjour en fonction de visites de monuments ou bâtisses hors du commun. Cette disposition d’esprit focalise l’attention sur un élément dans le paysage et n’est pas propice à la perception d’ensemble.

Cinquièmement, Liège est une ville qui ne cesse de surprendre : on trouve toujours quelque chose auquel on ne s’attend pas, d’improbable. Cette surprise est agréable mais elle ne peut surgir que lorsque l’on connait bien un lieu. La surprise est différente de la découverte car elle n’est pas l’objectif, la raison de se trouver dans un endroit : un touriste peut s’émerveiller de découvrir la ville, d’y trouver des choses auxquelles il ne s’attendait pas, mais l’habitant qui traverse le même lieu régulièrement depuis plusieurs années et qui constate que ce lieu n’est jamais tout à fait le même éprouve un sentiment différent, à la fois rassuré par ce qui est connu et éloigné de l’ennui. Ces différences sont dues à la vie, au foisonnement, au mouvement humain dans la ville.

Enfin, la composante humaine, la manière d’habiter l’espace public, est considéré comme un élément essentiel, présent sur les photographies, mais pas encore assez présents en de nombreux endroits de la ville. Réfléchir aux manières de rendre les espaces publics habitables, c’est-à-dire conviviaux, en faire des lieux où l’on peut rester et non uniquement passer parait une piste essentielle au développement de Liège.

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En conclusion, le groupe a exprimé des préférences claires pour des contrastes entre éléments de nature différente, mais en insistant fortement sur leur capacité à dialoguer, à se respecter. En termes de politiques urbaines, cela doit se traduire par une réhabilitation des possibilités de rencontres dans l’espace public, par une priorité aux déplacements lents (à pied, à vélo) qui permettent facilement de se reconnaître, de se saluer, de discuter, par une agitation humaine plutôt que technique. La présence du fleuve est importante pour ralentir le rythme de plus en plus rapide de la ville, pour rappeler que certains éléments sont stables et non furtifs, que le mouvement peut être apaisant. Le sentiment de liberté est également mis en avant, au sens de la liberté du promeneur : celle de changer de chemin, de se laisser surprendre, de laisser voyager son esprit en fonction de telle ou telle évocation. Telle une relation humaine, la relation avec la ville de liège est conçue comme une relation sincère, sans cosmétique, qui accepte des imperfections, n’est pas sans cesse perturbée par des incursions extérieures brutales, dominatrices comme le sont l’invasion de l’automobile ou la destruction d’un quartier au profit d’acteurs aux grand appétits financiers. Elle ne peut se vivre intimement sous le regard des caméras.

Finalement, les participants se demandent si ce qui les met en mouvement n’est pas lié à la standardisation des ambiances de la ville. Liège poète deviendrait petit à petit cosmétique...

Photos : Nicolas Bomal.

|1| Le programme de ce séminaire est disponible sur le site d’urbAgora.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

Les commentaires des internautes

1 message

Liège en 2030 : ville poète ou ville cosmétique (...)
posté le 14 janvier 2011 par Laurent

C’est assez étonnant : un article du Vif, en 2000, donnait le sentiment de citoyens hollandais, qui comparaient la mutation de la ville à la transformation "d’une jeune fille en haillons à une vieille pute maquillée".

Intéressant, le résultat de ces échanges... Et décidément, l’importance de la réappropriation du fleuve semble cruciale, tout comme la réappropriation de ses espaces publics, confisqués par la voiture...


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