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mercredi 23 mars 2011

Analyse

Le PPP n'est pas une fin en soi

Le PPP n’a de sens que comme moyen de mise en œuvre des stratégies de requalifications urbaines planifiées.

23 mars 2011 - par Bernard Soar

Il n’y a pas si longtemps, aux poètes les initiales PPP n’évoquaient rien que la figure tutélaire et éternelle de Pier Paolo Pasolini, poète et cinéaste, immense artiste assassiné sauvagement sur une plage. Que les plus lettrés de nos lecteurs se déçoivent bien vite, ce n’est pas de cette comète frioulane qu’il sera question ici, mais bien du détestable gadget dont on nous serine les oreilles à longueurs de temps modernisés, le Partenariat Public-Privé que beaucoup, qui ont un autre sens des suprématies se plaisent d’ailleurs à nommer plus justement le Partenariat Privé-Public.

La principale question, la plus régulièrement éludée lorsqu’on parle de PPP, c’est celle de la mesure, pour le pouvoir public (local) de la pertinence de recourir à un partenariat. Cette interrogation salutaire doit bien entendu s’éclairer avant tout du contexte général dans lequel s’inscrit le PPP. Ainsi en est-il particulièrement en matière de requalification urbaine, dès lors que celle-ci suppose de mettre autour d’une table différents acteurs porteurs de projets complémentaires et divers qui sont traditionnellement du ressort privé, ou qui sont typiquement de la sphère publique. Or, les prétentions, les expériences et les tentatives de partenariat que l’on voit poindre tirent tous azimuts, les motifs qui président aux choix du PPP sont divers et variés et bien souvent empruntés à la légende qui entoure ces nouveaux « machins » miracle.

Disons donc d’abord en quoi le PPP peut faire sens, en tant que moyen et non comme fin, matière de requalification urbaine. Saisissons ensuite, pour les tordre, les torchons de vérités taillés dans la toise des partenariats publics privés et rinçons en une conclusion portant sur une approche adaptée des pouvoirs publics en la matière.

Le PPP et la requalification urbaine, couple incontournable ?

Autant ne laisser aucun suspens à ce sujet, il y a évidemment une place pour l’organisation de PPP dans le cadre d’opérations de requalification urbaine. Les développements de nos centres urbains sont très largement tributaires, et l’ont toujours été, d’efforts consentis ou non par les acteurs privés en dehors de l’action des pouvoirs publics. C’est une banalité que de le faire observer. La question de savoir si cette intervention privée est opérée en tenant compte d’impératifs d’aménagement du territoire — voire d’une stratégie de développement territorial — est une autre affaire. Mais parlons d’abord de sa nécessité aujourd’hui dans le cadre d’opérations urbaines de requalification qui se fondent sur une stratégie territoriale planifiée.

Trois éléments très pragmatiques appuient cette réflexion.

D’une part, et il semble que nous l’ayons voulu ainsi, ou peut-être l’aurons-nous mérité, il faut bien se rendre à l’évidence, les leviers administratifs (obtentions préalables de permis, recours à un architecte) ou même fiscaux (aides publiques dans la réaffectation de maison de commerce et d’habitation, restructuration et rénovation de façade,…) sont parfois de bien maigres remparts ou stimulants face aux velléités de certains et aux intérêts économiques qu’elles mettent en branle. Lieu commun dont seul le discours politique considère encore qu’il doit être tenu pour secret : l’économie générale de la pensée de l’investisseur immobilier moyen fait plutôt dans le laid, l’inconfortable et se moque bien des autres performances que celles de ses tableaux comptables.

D’autre part, une opération de requalification urbaine planifiée et de grande ampleur appelle nécessairement l’intervention financière et/ou technique de partenaires privés qui seront tantôt les promoteurs, tantôts les occupants, tantôt encore les gestionnaires possibles de projets qui constituent un élément de plans d’ensemble.

Enfin, les pouvoirs publics ne disposent naturellement pas de ressources illimitées, on aurait même tendance à dire qu’elles disposent de moins en moins de ressources à mesure que les temps sont à la privatisation de nos entreprises, au dumping fiscal et social et à la rigueur budgétaire ou à l’austérité, comme on dit selon qu’on soit de droite ou hémiplégique.

Il faut relever qu’à ces trois éléments clés qui appuient la réflexion globale de cet article qui conclura sans suspens sur la nécessité de développer une approche de requalification urbaine stratégique et planifiée dont le PPP n’est qu’un corolaire et pas une fin en soi, viennent s’ajouter quelques digressions dont on ne vous épargnera pas le commentaire ni le ton passablement éreinté, celui d’une époque dont on a hâte qu’elle se referme sur un dénouement plus heureux.

Sur la question des leviers publics en matière de politique territoriale, il y a de quoi s’inquiéter et alimenter des débats sans fin, ce dont ne se privent pas certains. Ces modes de développement sont le fruit d’un modèle économique dominant dont le mot d’ordre est « laisser faire ». Ainsi, on a vu fleurir au milieu de nulle part de nombreux projets il y a quelques décennies, dont l’histoire toute récente a eu tôt fait de nous démontrer l’aberration, tantôt architecturale, tantôt économique, tantôt enfin environnementale, quand dans le même temps des dévaluations immobilières sans précédents touchaient de manière incommensurable et exponentielles certains quartiers, certaines zones dont le seul tort était de ne présenter que des « parcs immobiliers » de très faible rentabilité et ce alors même que le risque du placement y était peu important. Il y a trois ans de cela, on pouvait encore croiser dans les salons cannois des investisseurs russes entichés de poupées même pas matriochka (rien à peler sur celles-ci) qui vous vendaient des appartements virtuels sur une île au large de l’Azerbaïdjan. Le projet immobilier n’avait pas encore d’architecte, ni de constructeur, mais vous pouviez déjà y acheter une chambre. À la même époque dans certaines villes frappées de plein fouet par le déclin wallon, des maisons de maître ne trouvaient pas d’acquéreurs. Depuis, il y a eu la crise financière. Après quoi, de plus petits placements, dont le risque s’avère moindre d’autant qu’ils s’enchâssent dans d’autres projets de plus grande ampleur, retrouvent l’intérêt d’investisseurs privés. Il nous faut être prêts à prendre la main invisible qu’ils nous tendent…

Sur la question cruciale de la confusion des rôles entre les pouvoirs publics et les intervenants privés, également, il y a de quoi s’interroger aujourd’hui. Car le tout est de s’entendre sur la manière dont tous ces rôles sont répartis, distribués et surtout de déterminer pourquoi il en va ainsi ou devrait-il en aller ainsi. Pour être très concret, il serait ainsi étonnant qu’un pouvoir public soit le promoteur et le gestionnaire d’un centre commercial mais pourquoi cette vision des choses serait-elle définitivement aberrante ou injustifiable ? Par exemple encore, il serait singulier, voire choquant qu’un partenaire privé prenne en charge la construction et la gestion immobilière d’une école ou encore d’un crèche, mais cela pourrait-il sinon se justifier, à tout le moins s’expliquer comme un choix que civiquement on jugera par ailleurs bon ou mauvais ?

Sur la troisième question, on ne saurait qu’espérer que chacun des citoyens du monde qui se construit s’accordera à dire que l’indigence où nous plonge le modèle économique dominant ne peut avoir pour réponse que nos états, nos écoles, nos prisons, nos hôpitaux, nos trains, nos salles de concerts et nos parcs soient à vendre ? Et que PPP ne saurait être le nom de ce sabordage.
Enfin, donc, avant de nous reclure dans des sentences sectaires, convenons tout de même que la nationalisation et la planification complète de l’aménagement du territoire ne sont pas au programme de notre époque, il faudra bien se garder d’en disconvenir. Des entreprises privées, dont certaines remplissent d’ailleurs des missions de service public, des commerces, des transports, des activités ambulantes et éphémères ont toujours été présentes dans nos villes et cette présence leur a toujours été nécessaire, c’est un fait. C’est un fait également pour les pouvoirs publics, l’état de fortune de nos collectivités ne leur permet pas de bouder tout à fait les élans des investisseurs privés dans la réalisation d’opérations immobilières.

Ce tableau ronchon étant peint, attaquons donc les quelques écueils du gadget PPP avant d’y revenir dans une perspective constructive.

Le PPP est une fin en soi et non un moyen lorsqu’il sert de cache-sexe à nos déficits publics. Comme le disait très justement Philippe Seguin en 2008, alors président de la Cour des Comptes en France, « les PPP visent en fait surtout à faire face à l’insuffisance de crédits immédiatement disponibles et engendrent des surcoûts très importants pour l’Etat. » Cette solution gadget qu’offrait le PPP est fort heureusement passée de mode suite aux resserrements de boulons d’Eurostat avant et surtout après la crise grecque… et ces opérations doivent donc désormais être inscrites intégralement dans la comptabilité des autorités publiques. Ce ne sont donc plus des dettes cachées dont on pouvait à souhait dissimuler les conditions d’amortissement… Ce qui du même coup a porté un estoc assez rude aux partisans de ce PPP-là. La croyance selon laquelle le PPP aurait un coût moindre qu’un simple emprunt n’a du reste pas fait l’objet d’études sérieuses sur notre continent.

Le PPP est une fin en soi, et cette idée prolonge la précédente, lorsqu’il est motivé par l’illusion de partager tous les risques d’une opération immobilière. Car en effet, dites-vous bien que le partenaire privé quel qu’il soit ne partagera jamais que le risque qu’il entend assumer selon ses propres estimations. Dès lors, il sera du fait du partenaire public de se pencher préalablement sur toutes les questions qui supposent des risques dans une opération donnée. Car si le risque de perdre six à huit mois parce que les permis doivent être adaptés sont monnaie courante pour un partenaire privé, il n’en va pas de même par exemple, si celui-ci doit acheter un terrain dont il ne connaît pas l’importance de la pollution ou dont il ne sera pas assuré qu’elle ne ruinera pas l’opération. Une telle tentative ne saurait déboucher que sur une seule issue, l’arrêt du projet, un long et laborieux procès, une douloureuse et pénible agonie dans un chancre… à moins que le public pour des motifs d’ordre, de sécurité ou d’élection ne se voie contraint de céder et de mettre une pièce au trou.

Le PPP est une fin en soi lorsqu’il sert à contourner les très lourdes législations en matière de marché publics. Que la question des marchés publics soit sensible, nul ne saurait le nier. Le point de vue de l’auteur de ces lignes est relativement tranché en la matière. La législation en matière de marchés publics est lourde, inadéquate, contreproductive car coûteuse et serait plus qu’avantageusement remplacée par une plus grande responsabilisation des mandataires publics quant à la manière dont nos deniers sont gérés. Suivre des procédures absurdes, chères et inefficaces est le seul moyen qu’aient trouvés nos édiles pour se disculper par avance du soupçon qui plane toujours sur eux d’être corrompus ou pire de n’avoir pas respecté le sacro-saint principe de la « mise en concurrence » qui a donné aux sujets du royaume de la prébende et de l’extorsion l’occasion de massacrer la bête publique empêtrée dans des législations toujours plus folles et obscures. C’est un échec pour nous tous. Du reste, le PPP ne guérit pas ces plaies-là, loin s’en faut, la doctrine a d’ailleurs de plus en plus tendance à réduire le champ d’exception du PPP face à la législation en matière de marché publics, tout en nous enfumant des concepts qui empruntent désormais plus à la météo bretonne qu’au droit romain.
On conclura donc.

On perçoit donc en creux la conclusion de cet article qui portera sur la présentation de ce que devrait être un PPP, c’est-à-dire, comme l’annonçait notre titre, un moyen au service de stratégies de requalifications urbaines planifiées.

Il faudra sans doute en passer par un renversement de culture en matière de PPP, qui soit plus proactive pour que ceux-ci rendent réellement le rôle d’œuvre utile que nous vantent les slogans de leurs zélateurs. Les pouvoirs publics devront apprendre à en identifier et valider l’opportunité, les pouvoirs publics devront en négocier les contours, les pouvoirs publics devront se battre pour en démocratiser les structures.

Un pouvoir public local qui veille à pérenniser et harmoniser sa politique territoriale se doit d’opter pour une approche globale et prospective. Celle-ci passe par l’élaboration de plans directeurs, que ceux-ci épousent des contours légaux ou réglementaires (PCA, SAR, etc.) ou s’analysent dans de plus simples outils politiques ou contractuels avec la population (Contrats de quartier, Masterplan,…).

Les projets urbains sont par nature propices aux PPP (création de bureaux, housing, commerce,…), il est nécessaire de les identifier de manière prospective. Dès ce stade donc, les éléments clés sur l’existant, les acteurs privés locaux, leurs réalités, leurs besoins actuels et futurs, doivent être intégrés, de même que les projets dessinés dans la planification. Cette planification se doit d’être concertée et orientée de manière stratégique, à travers des phases d’investissements publics auxquelles répondent ou correspondent des phases d’investissements privés, de sorte qu’une synergie, voire une émulation puisse s’opérer entre les projets.

Avant d’opter pour la voie PPP, une double question s’impose donc : le Public a-t-il besoin du Privé ? et inversement ? Cependant le pouvoir public ne doit se poser cette question que dans une et une seule perspective, celle de la nécessité du PPP pour atteindre un objectif public d’ensemble, particulier ou ponctuel. Pour atteindre cet objectif, il devra donc évaluer les alternatives au PPP avant de l’adopter ou de l’exclure, à commencer par celles qu’ouvrent l’emprunt ou le partenariat élargi avec d’autres opérateurs publics, etc.

Les pouvoirs publics doivent donc déterminer au plus tôt quels sont les éléments stratégiques du projet qui sont sous sa maîtrise et ceux qui y échappent totalement ou partiellement dans la perspective de remplir ses objectifs publics. Une planification stratégique s’organise comme une guerre de territoire et se gagne à coups de maîtrise foncière, de constitution de droit réels, de servitudes et d’enclaves… car c’est la première conclusion que nous souhaitons tirer : le meilleur PPP est celui que le pouvoir public a conçu et anticipé.

Il va de soi que les pouvoirs publics doivent développer une culture nouvelle au sujet du PPP. Ainsi, ils devront percevoir au mieux quels sont les conditions de possibilités pour un privé d’entrer dans ce type de partenariat. Il faut mesurer quels sont les risques dont le partenaire privé est prêt à assumer la part, mais aussi quels sont les rentabilisations d’investissement qu’il en attend. Lorsqu’il prépare le montage qu’il proposera aux partenaires potentiels, il devra avoir à l’esprit que sans doute son avantage à lui ne doit pas se mesurer qu’en monnaies sonnantes et trébuchantes, mais peut-être de manière plus générale en terme de qualité architecturale, de création d’emploi de zones de bien être compensatoires, de charges urbanistiques renforcées. C’est ce qui constituera son objectif public.

Pour terminer, il faut peut-être brièvement insister aussi sur ce que nous appellerons faute de mieux la démocratisation du PPP. En effet, les structures qu’épousent les PPP sont le plus souvent sujettes à une certains avarice en terme de communication au public des projets, en particulier en ce qui concerne les opérations de grande ampleur, notamment commerciales. Ceci se comprend très bien dans la mesure où la culture de la communication n’est pas la même selon qu’on se trouve aux côtés d’un entrepreneur jaloux de ses secrets et de ses investissements ou d’un mandataire public soucieux d’agir dans la transparence, voire de faire campagne. Certains éléments d’un PPP, pourtant financés en partie par les pouvoirs publics et donc par les collectivités pourraient échapper partiellement à l’information et à la transparence de plus en plus souhaitée en matière de développement territorial. Il y a là une profonde question qu’il faut savoir anticiper et dont il faut arbitrer les arguments qu’elle soulève.

Comme disait PPP « celui qui se scandalise est toujours banal : j’ajoute qu’il est également toujours mal informé », puissions-nous ne jamais avoir à nous scandaliser des PPP à venir.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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