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mercredi 24 décembre 2014

Analyse

Le financement de la maîtrise foncière des pouvoirs publics

Quelques raisons qui engagent à ne pas s’estimer tirés d’affaire…

24 décembre 2014 - par Bernard Soar

La maîtrise foncière par les pouvoirs publics d’espaces exploitables à des fins d’équipement public, de développements immobiliers affectés au logement, au commerce ou même à l’industrie, souffre depuis quelques années d’un manque d’ambition, d’incertitudes et de frilosités quant aux leviers activables à cette fin.

Or, la nécessité de la maîtrise foncière par les pouvoirs publics — soit donc, l’ensemble des moyens à la disposition de l’autorité publique visant à avoir un impact sur la valeur, l’appropriation et l’usage de patrimoines immobiliers —, est non seulement un enjeu historique pour le développement économique et territorial, mais encore, cet enjeu est désormais transformé et exacerbé par d’autres facteurs, tenant aux types d’affectations envisagées par les pouvoirs publics dans le cadre des investissements dont ils ont la responsabilité, aux localisations des biens immeubles dont la maîtrise est nécessaire, à la compétition nouvelle sur certains projets immobiliers qui étaient jadis l’affaire des seuls pouvoirs publics et sont désormais disputés par des investisseurs privés, ou encore à la simple spéculation immobilière.

Entre le fantasme suscité par les partenariats publics privés ; la capacité bridée d’investissement des pouvoirs publics ; quelques opérations spectaculaires de cessions d’immeubles détenus par les pouvoirs publics à l’appui de nécessaires équilibrages budgétaires ; l’émergence de structures nouvelles destinées à soutenir un dynamisme d’investissement et des stratégies foncières,… on peut avoir le sentiment que les pouvoirs publics ont pourtant largement désinvesti ce versant de la politique du développement économique et territorial. Et cette régression n’est sans doute pas l’épilogue de cette histoire qui se cherche encore.

La maîtrise foncière, comment se traduit-elle ?

On peut, sans trop se tromper, dire qu’il existe deux facettes à la maîtrise foncière : l’ensemble des biens que les pouvoirs publics détiennent, peuvent et doivent valoriser (la gestion foncière) ; et l’ensemble des biens dont les pouvoirs publics, à des fins stratégiques et politiques, doivent ou devraient s’assurer la propriété (la maîtrise foncière).

Mais l’une et l’autre de ces questions sont finalement désagrégeables en une seule : quels sont les moyens financiers réels dont nos pouvoirs publics disposent pour s’assurer de remplir l’un et l’autre de ces objectifs ? Toutes les entreprises des pouvoirs publics en Belgique visant à assurer le maintien d’un développement économique territorial se sont peu ou prou, au cours des dernières années, perdues dans des tentatives de concilier les moyens et les fins de ces deux politiques.

Les moyens c’étaient donc le partenariat public privé plus doctrinal que de mode, la redéfinition des capacités d’investissement des pouvoirs publics, et en particulier des communes, bridées par la crise, par l’application croissante de normes comptables auxquelles collent les trajectoires budgétaires négociées entre la Maison Belgique et le Commission, les véhicules fonciers qu’il semblait nécessaires de réinventer, tant et si bien réinventés qu’ils sont encore largement méconnus des pouvoirs publics eux-mêmes.

Les fins ce sont, on le suppose, toujours les mêmes : l’assurance d’une stratégie de développement, d’une vision toujours plus prospective, soutenable, durable, de transition, etc. Mais assorties de ces nouvelles nécessités liées à une maîtrise foncière dont nous parlions plus haut.

La permanence de cette ambition

Dans l’immédiat après-guerre, l’investissement des pouvoirs publics était prégnant. Les besoins de reconstruction, l’environnement international de la Belgique, ont notamment eu pour écho, dès 1959, l’adoption de la loi du 18 juillet, instaurant « des mesures spéciales en vue de combattre les difficultés économiques et sociales de certaines régions », première des lois dites « d’expansion économique ». Comme le relève Philippe Destatte |1|« cette initiative s’inscrit bien dans la logique keynésienne d’une politique structurelle d’expansion axée sur le long terme. » La mise en œuvre corollaire de ces lois passe par la création de sociétés intercommunales de développement économique.

À l’époque, la question de la maîtrise foncière est avant tout liée à la nécessité de développement économique pur, d’où la grande prévalence à l’époque, de projets de « zonings industriels » dans l’objet de ces structures intercommunales. Si ces sociétés ont connu des destins divers, on peut relever qu’elles n’ont finalement jamais définitivement lâché ce corps de métier, finalement étranger aux enjeux de développement territoriaux actuels qui concernent désormais autant le tissu urbain lui-même que des friches périphériques.

À cet égard, le BEP namurois, ou la SPI liégeoise n’ont jamais réellement pu se départir de ce métier premier. Bien qu’elles aient l’une et l’autre acquis les compétences utiles en matière de programmation territoriale, et d’outils normatifs et prescriptifs d’aménagement, notamment dans le rôle de conseil des pouvoirs locaux, ces deux structures et leurs structures cousines n’ont plus depuis longtemps vocation à détenir et entretenir un portefeuille foncier. Les communes et les villes, quant à elles, globalement désarmées face à la gestion de leur propre patrimoine immobilier et à la valorisation de celui-ci, n’ont guère plus d’expertise ou de leviers pour mener, de manière prospective et réfléchie, des entreprises d’acquisitions foncière assurant l’orientation et les choix d’aménagement qu’elles devraient pouvoir (im)poser.

Or, il nous incombe d’insister sur un fait notable, esquissé plus haut et qui paraîtra naturellement évident au lecteur. Si les pouvoirs publics ont perdu les moyens de l’ambition d’un maîtrise foncière, ils n’ont jamais autant qu’aujourd’hui, prétendu encadrer, programmer, schématiser, planifier, réglementer le développement territorial, et singulièrement urbain. Ce faisant, les pouvoirs publics en ont presqu’oublié combien il n’était pas seulement nécessaire d’écrire la carte du territoire et de la colorer, mais également d’être eux-mêmes les moteurs de l’investissement foncier et d’anticiper les mutations du territoire qu’ils appellent de leurs vœux. Ceci s’illustre de manière tout à fait évidente par le débat toujours ouvert sur les limites des charges d’urbanisme qui traduisent une politique a posteriori et parfois un aveu de faiblesse des pouvoirs publics.
Or, il semble bien que l’ambition de réconcilier outils stratégiques et maîtrise foncière ait désormais fait son chemin. Les déclarations de politique régionales 2014-2019 des Région Wallonne et Bruxelloise font l’une et l’autre mention d’une nécessité de maîtrise foncière des pouvoirs publics. Ce besoin est rendue plus aigü encore dès lors que l’une et l’autre Région, pour des motifs parfois différents, mais, par une sorte de retour de l’histoire, sont désormais le dernier rempart d’une dynamique foncière consubstantielle à leur existence et à leur développement économique.

La déclaration de politique régionale wallonne exprime en ces termes cette ambition : « Le Gouvernement s’efforcera de dynamiser la politique foncière publique grâce aux outils d’expropriation, d’acquisition et de préemption. Une fonction d’aménageur public sera confiée à des structures existantes, par exemple les intercommunales de développement économique, afin de valoriser économiquement les réserves foncières publiques. » La précédente déclaration de politique régionale wallonne ne perdait naturellement pas de vue l’importance de la maîtrise foncière à l’appui des besoins de développement public |2| puisqu’elle prévoyait notamment « d’examiner la mise en œuvre d’une politique foncière régionale au travers d’un fonds spécialisé pour les acquisitions et expropriations, d’une adaptation du mécanisme de financement des communes, d’un dispositif de gestion des plus-values et moins-value d’urbanisme et d’un recours accru au droit de préemption et aux autres outils fonciers ».

Quant à la déclaration de politique bruxelloise, elle s’inscrit de manière plus explicite encore dans cette volonté : « […] le Gouvernement créera dans les plus brefs délais un outil public d’assemblier chargé de la mise en œuvre opérationnelle de la planification stratégique […]. Il s’agit de mettre sur pied un instrument public régional de pilotage et de coordination de projets, chargé de mettre autour de la table tant les acteurs publics que les partenaires privés de tel ou tel développement. Il aura la capacité de monter des sociétés d’économie mixte et/ou des partenariats public/privé en vue du développement de telle ou telle zone. Cette structure aura, par ailleurs et dans la mesure du possible, la maîtrise foncière des zones à développer ainsi qu’une capacité d’acquisition et agira également sur le marché privé d’achat et de vente, y compris avec les opérateurs régionaux de développement sectoriel ainsi que des partenaires privés éventuels. »

On le voit assez nettement, la question de la maîtrise foncière et de sa reconnexion aux outils stratégiques développés par les pouvoirs publics est consubstantiellement attachée aux moyens financiers des pouvoirs publics, dont nous nous proposons de dire en quoi ils sont actuellement gravement menacés.

Les écueils des leviers financiers

Dans son incommensurable mansuétude, la gardienne de notre marché économique a prétendu appuyer les pouvoirs publics dans leurs politiques d’investissement, via la promotion des partenariats publics privés.

Si l’on fait un bref détour par cette question, c’est pour précipitamment conclure que le PPP, loin d’être une solution à la question de la maîtrise foncière, aggrave en réalité de manière importante la position fragile des pouvoirs publics en la matière. Nous le soulignions dans un autre article |3|, auquel nous renvoyons, la principale question, la plus régulièrement éludée lorsqu’on parle de PPP, c’est celle de la mesure, pour le pouvoir public (local) de la pertinence de recourir à un partenariat. Or, la démonstration est faite qu’il n’y a pas de PPP possible, à l’initiative du public, sans une maîtrise foncière publique préalable, qui servira de levier à la politique d’aménagement, de requalification ou tout simplement d’investissement immobilier qu’il souhaite insuffler.

Une petite histoire illustrera, nous le pensons, à merveille le Piège Public Privé. En 2010, la Région flamande annonce la conclusion d’un partenariat avec une grande institution bancaire pour ce qui devait être un « méga-partenariat public-privé » (sic). La bagatelle d’1,7 milliard d’euros d’investissements, étalés sur une durée de 30 ans et destinés au développement d’infrastructures à caractère social, visant la conception, la construction, le financement et la maintenance de 200 écoles, forment le cœur de ce contrat. Le projet, autrement appelé le Scholen van Morgen, n’est pas à proprement parler, une réponse à un problème de maîtrise foncière, il est vrai. C’est bien pire que ça, puisque ce mécanisme est en réalité symptomatique d’un désinvestissement foncier des pouvoirs publics. Les terrains et bâtiments concernés par les constructions et rénovations étaient en effet bien souvent d’ores et déjà aux mains des pouvoirs publics ou des réseaux d’enseignement. Mais lorsqu’ils ne l’étaient pas, ils devaient être acquis par la structure PPP. Et pour ceux qu’ils possédaient déjà, ces biens quittaient, par ce mécanisme et pour la durée du contrat, le patrimoine des pouvoirs publics pour être logés dans un véhicule spécifique.

En soi, et si l’on veut bien mettre hors-jeu tout parti pris idéologique face à ce type d’opération, il n’y a au fond rien de bien mal à procéder de la sorte. Les pouvoirs publics apportent leur contribution au partenaire privé, lequel est assuré d’une valorisation des investissements qu’il consent et il prend en charge une part du risque de l’opération pour la réalisation des immeubles, ce qui allège la charge de travail des pouvoirs publics… Mais patatras : en septembre 2014, on apprend que ces PPP sont « requalifiés » comptablement. Ce qui veut dire qu’ils impactent à 100 % le solde de la Région flamande… ce qui précisément devait être l’objectif premier du mécanisme choisi, et rend ridicule la mutation des immeubles dans le patrimoine de la structure. Pourquoi ? Parce que ce faisant, la Flandre entendait naturellement éviter d’endosser elle-même l’endettement lié à ces investissements, dont, dans la gestion de sa dette et de son déficit, elle souhaitait éviter qu’elle grève ses marges.

La transition est évidemment parfaite pour soulever un second enjeu face auquel les pouvoirs publics, en particulier locaux, sont confrontés : pour s’assurer une maîtrise foncière, il faut investir, et pour investir, il faut des moyens !

Or, par l’application des directives européennes en matière budgétaire, la Belgique est tenue de remplir des objectifs en termes de maîtrise du déficit et de renflouement de sa dette. Par un accord de coopération adopté l’an dernier par l’ensemble des entités belges pour transposer le Traité de Stabilité Budgétaire européen, et par l’application des normes comptables européennes dites SEC, une responsabilisation des Régions quant à la trajectoire poursuivie par les communes est désormais scellée, qui impacte de manière très importante la capacité d’investissement des pouvoirs publics.

Le Système européen des comptes (SEC), cadre référentiel rendu applicable par règlement dans tous les Etats membres, a pour objectif de déterminer les indicateurs clés de performance liés au budget, tels que la dette publique et le déficit budgétaire, des Etats membres de façon « uniforme et fiable ».

Les Régions, mais également la Banque nationale de Belgique et l’Institut des Comptes Nationaux, se disputent des modèles d’analyses supposés permettre de traduire fidèlement des comptes de l’ensemble des communes, quel est leur « solde SEC ». Sans entrer dans de trop longues explications, il s’agit de retenir que tous les entités consolidées et considérées comme relevant des pouvoirs publics entrent dans un seul et même périmètre comptable, que ce périmètre comptable doit traduire une vision dynamique d’apurement de la dette, que cette vision dynamique d’apurement de la dette se borne en réalité à observer en fonction d’imputations de charges d’investissements sur une année, quelle est à proportion l’effort sur la dette que l’entité réalise, notamment à travers son amortissement.

Nombreuses sont les entités à contester ces méthodes comptables |4|. Une commune n’est pas l’autre au regard de sa dette : des villes comme Liège, qui ont après-guerre grevé de manière importante leur dette pour reconstruire, amortissent aujourd’hui dans un volume annuel important cette dette historique ancienne, ce qui crée, paradoxalement, des marges plus importantes dans cette dynamique d’investissement… ; des villes se trouvent face à des besoins d’investissement colossaux, liés notamment à l’essor démographique qu’elles rencontrent, et qui ne peuvent se traduire comptablement, au regard de dettes qui sont historiquement moins anciennes et importantes, comme c’est le cas de communes bruxelloises, par exemple.

Il est évident, dans ce contexte, que les initiatives bruxelloises et wallonnes, visant à l’émergence de structures supra-communales bénéficiant de synergies et de leviers d’investissements renforcés, dotées des moyens nécessaires à la maîtrise foncière des projets et à leur élaboration, vont dans le bon sens, à l’appui des autorités communales, des besoins spécifiques de leurs populations et des équipements dont elles doivent se doter.

Est-il permis d’espérer ?

Ce qu’il faut conclure de l’expérience PPP est très simple : il ne sert à rien pour un pouvoir public de se déposséder, fut-ce temporairement, des biens dont il est nécessaire qu’il conserve la maîtrise publique (la gestion publique), soit donc, l’ensemble des biens dont il est, en raison de leur affectation actuelle ou possible, par nature destinataire ou financeur principal (écoles, maisons de repos, hôpitaux, prisons, crematoriums, etc.). Dans notre droit, une règle très simple et très ancienne respire ce principe fondateur au droit des biens publics, c’est la notion de domaine public, dont la désaffectation est depuis toujours soumise à des procédures formelles.

Il est par ailleurs nécessaire, évidemment nécessaire, que nos pouvoirs publics continuent à disposer des moyens utiles à lier les dessins stratégiques qu’ils élaborent au geste d’investissement que leur concrétisation appelle. À cet égard, tout existe aujourd’hui, dans l’arsenal légal et en termes de structures publiques pour assurer cette maîtrise foncière. On l’a vu, toutes ces structures existent depuis les années 60…. le droit wallon s’est étoffé de dizaines de mécanismes permettant d’écrire l’histoire des chantiers, requalifications et investissements à venir. Ces outils sont maîtrisés par des structures publiques historiques, qui furent et demeurent dans une certaine mesure performante, mais dont nous assistons peu à peu à la transformation en bureau d’étude et de conseil de luxe pour les communes. Il y manque désormais des investisseurs, des prospecteurs et des financiers.

|1| Ph. Destatte, Jalons pour une définition des territoires wallons, 2. Les structures de mise en œuvre des lois d’expansion économique, 2013. http://phd2050.wordpress.com/2013/02/06/jalons_expansion-economique/

|2| Voir p.e (DPRW 2009-2014, page 79) « Examiner la mise en œuvre d’une politique foncière régionale au travers d’un fonds spécialisé pour les acquisitions et expropriations, d’une adaptation du mécanisme de financement des communes, d’un dispositif de gestion des plus-values et moins-value d’urbanisme et d’un recours accru au droit de préemption et aux autres outils fonciers ; »

|4| Cf. UVCW.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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