
En ville
Du complexe du Longdoz à la Médiacité
Les promoteurs du projet de la Médiacité entendent relier le nouveau complexe à l’ancien centre commercial du Longdoz. Il en va de la rentabilité de l’ensemble, affirment-ils. Soutenus par la Ville, ils s’offrent les services du designer israëlien Ron Arad. La jonction entre les deux infrastructures prendra la forme d’un long et sinueux serpent...
Lorsqu’en 1996 la Ville de Liège demande au promoteur Wilhelm&Co de revoir sa copie, elle avance deux raisons : l’une concerne l’objet du projet, l’autre sa conception. En effet, la future Médiacité se propose d’être un nouvel ensemble de salles de cinémas, ce qui ne semble répondre à aucun besoin alors que Kinepolis à Rocourt, le Palace et les salles des Grignoux au Centre rencontrent déjà les attentes des amateurs.
D’autre part, la demande de permis concerne uniquement la friche industrielle de l’ancienne Espérance-Longdoz devenue Cockerill. Ce grand terrain vague situé en bord de Dérivation constitue une des portes d’entrée dans la Cité Ardente pour le visiteur venant des Ardennes ou du Condroz et, à ce titre, enfonce une grosse épine dans le pied des autorités communales.
Il faut donc résoudre ce problème en donnant une nouvelle affectation à cet espace. Or la Ville, sous tutelle pour redressement de ses finances, ne peut quasiment rien investir et attend que le privé y trouve des opportunités.
Il ne s’agit toutefois pas d’approuver n’importe quelle proposition. Notamment celle qui développerait ce versant du Longdoz sans en faire bénéficier le quartier, qui en perdant sa gare, a perdu son cœur socio-économique et accueille désormais une population plus modeste.
La Ville accepte néanmoins l’idée d’une reconstruction, en autorisant la démolition des bâtiments existant sur le site. Puis, suivant en cela les résultats de l’étude d’incidences, elle émet le souhait, tout comme la Région wallonne, de voir se développer une continuité entre le projet et le centre commercial existant, afin de redynamiser ce complexe et, par la même occasion, le Longdoz tout entier.
Les autorités communales demandent donc au promoteur de travailler sur les deux axes, dans le sens d’un élargissement de l’offre vers l’originalité et la diversité commerciales et d’une étroite relation entre le nouveau projet et son environnement.
Le promoteur s’oriente alors vers la rénovation de l’ancienne galerie, tant la partie 1, inaugurée dès 1977 que la deuxième, qui relie la Poste à l’immeuble Belgacom, terminée en 1995, galerie qu’il rattachera aux nouvelles constructions situées sur la friche.
Ce lien ne peut pas être que symbolique — comme les couleurs de la voirie ou la cohérence architecturale des deux rives. L’objectif premier devient que cette articulation soit telle que le client ou le visiteur des salles obscures ne réalise quasi pas qu’il franchit une rue. Toute discontinuité risquerait d’engendrer une perte de visiteurs, chacun se cantonnant dans la partie pour laquelle il est venu au lieu d’être entraîné à explorer l’ensemble et donc à y faire plus de dépenses. Rapidement, la formulation de la demande pour cette liaison physique devient une exigence de viabilité et donc une condition sine qua non à la poursuite du projet.
La jonction entre les deux parties figure dès lors dans les plans proposés à la première enquête publique de l’automne/hiver 2004.
Les arguments avancés à une solution qui couperait définitivement la voie publique sont ceux-ci :
Le volume — qui deviendra « le serpent » — au niveau 0 est nécessaire pour assurer les flux entre les deux centres commerciaux, sinon les visiteurs resteront du côté où ils ont parqué leur véhicule, donc majoritairement dans la Médiacité.
La coupure de la rue d’Harscamp est nécessaire pour la réussite économique du projet, parce qu’elle permet de faire bénéficier l’ancien centre de la chalandise extérieure au lieu de le limiter à une clientèle locale, insuffisante.
Au printemps 2005, le conseil communal, majorité contre opposition, accepte les modifications de voiries parmi lesquelles figure la rue d’Harscamp désormais scindée.
Toutefois ce volet « incontournable » du projet a reçu un accueil négatif de diverses instances, comme les riverains, l’Ecole sociale, la CCAT, le TEC et le Comité de quartier, pourtant favorable au projet. Tous y voient de sérieux inconvénients en termes de mobilité, car la rue d’Harscamp est empruntée par la ligne de bus aux cadences les plus fréquentes, celle du 4 dont la boucle y circule dans les deux sens et qui y a installé son terminus.
Une interrogation plus fondamentale porte sur les raisons qui peuvent livrer une voie publique, ouverte librement à tous, sous contrôle des seules autorités publiques, à la propriété privée, sous contrôle de cette entreprise privée.
Des alternatives sont alors envisagées, la principale étant la liaison par le niveau 1, qui laisserait le passage libre pour des véhicules circulant à allure réduite.
Mais l’argument économico-psychologique est réaffirmé : La circulation entre les deux composantes doit se faire prioritairement au niveau 0 où se trouveront la majorité des magasins et la liaison doit en être la plus naturelle possible, sans imposer l’utilisation d’escalator.
Le permis unique est délivré en avril 2007 ; désormais la messe est dite et les combats successifs ne seront que des escarmouches sans effet sur le principe de la coupure de la rue d’Harscamp (qui sera traitée spécifiquement dans le PU modifié d’avril 2008). Le projet ne se ferait pas sans cette coupure ; or le projet doit se faire, donc la coupure se fera, un syllogisme parfait pour un mal nécessaire.
Lorsqu’est posée la première pierre en juin 2007, la Ville, la Région et le promoteur présentent fièrement leur joker, un joker qui participe d’ailleurs à cette cérémonie symbolique. Il s’agit du designer Ron Arad. L’anglo-israëlien a été sollicité, selon ses propres mots, « pour réunir ces éléments disparates par le moyen d’un toit formé d’un jeu complexe de nervures d’acier ondulant à travers le mall, liant ensemble ces parties en une expérience unifiée. Ces nervures d’acier sculptent le volume du mall qui se trouve en-dessous, par des variations tant de profondeur que de hauteur pour former une variété d’expériences différentes — depuis une entrée de vingt mètres de haut, de l’ampleur d’une cathédrale, jusqu’à des zones plus intimes dédiées aux boutiques, où la structure du toit descend presque jusqu’à hauteur d’homme » |1|
Sur les plans que comprend alors le dossier de presse, l’ensemble est effectivement parcouru sur toute sa longueur par une sorte de tunnel sinueux, translucide et coloré, un serpent de verre. La jonction/coupure sur la rue d’Harscamp, en constituera la partie centrale, ses flancs libérés des bâtiments qui l’enserrent côté Médiacité et côté galerie commerciale.
- Photo privée — d’autres illustrations peuvent se trouver
sur le site du designer.
De longues et compliquées négociations menées par le Comité de quartier et les représentants de partenaires concernés dans les réunions du « Comité de suivi des riverains », permettent toutefois qu’un passage ouvert 24h/24 et 7 jours/7 aux usagers lents soit assuré dans les P.U. qui suivront. Il y aura donc, dans le sens Harscamp « nord–sud » un sas qui traversera la jonction, accessible aux piétons et vélos. La crainte demeure toutefois que cette accessibilité promise ne soit remise en question, comme le fut la libre circulation dans les jardins de l’ilôt Saint-Michel, pourtant elle aussi garantie dans le P.U.
Des demandes, au sein des mêmes instances, sont également formulées pour maintenir ouverte en dehors des horaires commerciaux, une liaison « ouest-est » cette fois, d’Harscamp vers la rue Grétry. Les arrêts de bus y étant concentrés, cela permettrait aux usagers de les rejoindre après les séances de cinéma, sans devoir contourner à une heure tardive le vaste ensemble. La demande vise clairement à favoriser l’usage des transports publics pour, notamment, diminuer les risques annoncés de blocage du quartier par le flux automobile à la fin des activités.
La réponse du promoteur est d’abord négative : la sécurité interdit d’envisager une circulation piétonne après la fermeture des magasins, vu les risques de vol et de vandalisme.
On propose alors une liaison souterraine au travers des parkings. Souhait impossible ou formulé trop tardivement, disent ensemble les responsables du chantier : il faudrait non seulement aménager un circuit — qui pourrait n’être qu’une coloration différente du sol, comme le Ravel, disent les associations — mais aussi permettre l’accès au niveau 0 tard le soir, ce qui n’est pas possible sans rendre en même temps accessible les commerces, donc dangereux pour la sécurité |2|.
Finalement, par un revirement bienvenu mais non explicité, les représentants du promoteur, lors du comité de suivi des riverains du 22 avril 2009, annoncent que la liaison sera possible jusqu’à la dernière séance de cinéma. Excellente nouvelle où l’on voudrait voir le résultat des arguments avancés, mais qu’il faudrait voir confirmée dans un texte officiel par ceux qui auront en charge la gestion après l’ouverture.
En parcourant le chantier lors de la journée « Portes Ouvertes » du 10 mai, on découvre que la fameuse coupure jugée indispensable ne l’était pas réellement. En effet, de nombreuses enseignes seront au 1er étage de la partie « Médiacité » — MediaSaturn, par exemple, qui occupe la plus grande superficie — et donc l’utilisation d’escalator sera de toute façon nécessaire lorsqu’on viendra de l’ancienne galerie. Le plateau prolongé enjambant la rue d’Harscamp était dès lors une option tout-à-fait possible...
La Médiacité et le Mall commercial, un ensemble de 40.000 m2, remplaceront donc à l’automne 2009 l’ancien terrain de la SNCB et de Cockerill.
Dès 1856, l’Espérance-Longdoz était reliée à la gare par une voie de chemin de fer qui traversait la rue d’Harscamp. Elle permettait aux wagons, chargés de productions métalliques venant des autres installations du groupe, d’arriver à la finition ou de repartir après traitement, vers les clients en rejoignant le réseau ferroviaire normal.
Au début du XXe siècle, la direction de l’Espérance demande aux autorités communales la permission de couper la circulation pour assurer son trafic. Cela leur est accordé contre une redevance significative et à la seule condition que l’interruption de circulation n’excède jamais cinq minutes.
Il est étonnant de constater que ce qu’une époque de libéralisme pur et dur avait refusé au privé, une commune dirigée par un bourgmestre socialiste l’a accepté.
- Photo : François Bertrand. Source. Copyleft : Creative Commons BY-NC.
|1| « to unit these disparate pieces, using a complex network of steel roof ribs that undulate through the mall tying them together into one unified experience. These steel ribs sculpt the mall volume beneath, variyng both in structural depth and height to form a variety of differing experiences — from the cathedral-like 20m high entrance zone to the intimate boutiques zones, where the roof structure dips to almost head height ».
|2| Cf. supra
À propos de l'auteure
Les commentaires des internautes
10 messages
Nos craintes semblent se confirmer : un ami cycliste au quotidien qui traversait ces derniers soirs le complexe à l’endroit "prévu pour", càd dans l’axe de la rue d’Harscamp, en poussant gentiment son vélo à la main, s’est vu à chaque fois apostrophé par le garde : "interdit, privatisé, changement de règles, les roues font des traces sur le sol.. "
Comme si les premiers gigantesques embouteillages constatés depuis mercredi dernier ne rendaient pas indispensables les mesures favorisant la circulation autre qu’automobile !!!!
d’autre part, si cela se confirmait, il s’agirait d’un "mangeage de parole" totalement scandaleux, qui mériterait recours en justice, vu l’inscription dans le PU.
un petit lien amusant, à mettre en // et en complément instructif avec mon article
http://www.gagner-reussir.be/article/index.phtml?id=1731
La vraie bonne idée serait d’en faire un lieu de vie jusqu’à 22-23h, comme tous les gros centres d’activités dans les grandes villes, dont les magasins ouvrent tard pour les gens qui travaillent et qui veulent utiliser leur soirée à autre chose que regarder des séries américaines à la TV ... (ou boire un verre dans le carré ou regarder un film au Cinéma Sauvenière) !
Je pense que c’est par l’hyper-centre que devrait commencer cette fermeture tardive des magasins, ça serait un plus indéniable qui limiterait un peu l’exode urbain. Qui n’a jamais été embêter d’habiter la ville, sortir de son travail, et être obligé d’attendre son jour de congé ou le week-end pour faire ses courses ? ;-)
D’ailleurs je me suis toujours demandé pourquoi d’autres villes belges avaient l’autorisation de le faire et pas Liège ? Est-ce une histoire de volonté ? une demande spéciale ? ...
oui mais ça pose toute la question du repos du travailleur. Une amie, jeune maman, travaille sur la route du Condroz dans un magasin de déco ouvert tous les jours. 3 WE/4, elle est au boulot ; elle a congé le lundi, ce qui est pratique pour le ménage mais pas pour faire des choses avec les enfants qui ce jour-là sont à l’école, comme le mari au bureau.
Je crois que je trouverais amusant que la future galerie Longdoz soit ouverte comme tu le dis, tard le soir et le WE mais pour le personnel, c’est moins rigolo. Cfr la grève du Carrefour de je ne sais plus où qui a fait une grève dure récemment pour cette raison.
Ce débat est extrêmement intéressant. D’un côté, nous avons l’écueil de la ville "ouvrable" de 9 à 17h30, qui sombre dans les ténèbres et le désert social dès que ferment les volets des magasins et, d’un autre côté, nous avons une nouvelle configuration des rythmes de vie qui rend les consommateurs demandeurs d’ouvertures tardives. Le risque, dans ce cas-là, comme je le constate ici aux États-Unis d’où j’écris, c’est de céder à l’impératif consumériste et d’avoir des enseignes ouvertes 24/7 (24/24h, 7/7j), avec toutes les questions qui se posent en termes de qualité de vie des employés. Ici aux USA, celui qui ne s’adapte pas au modèle est laissé pour compte. La grève n’est tout simplement pas une option. En revanche, certaines personnes sont attachées à un tel rythme de vie et de travail et pensent que cette manière de fonctionner leur permet d’avoir l’embarras du choix quant aux horaires qu’il souhaitent adopter...
Je plaide plutôt pour des ouverture décalées (12-21h) pour certains magasins. Je ne vois pas l’impératif d’achat d’une paire de chaussures à 22h30, comme je vois parfois un impératif à m’acheter de quoi manger le lundi soir parce que le WE a été chargé et que je n’ai pas envie de céder à une malbouffe quelconque (ce qui est pourtant systématiquement le cas lorsque je « rate » les courses le week-end).
Les conditions de vie des employés sont évidemment à prendre en compte, et un horaire plus « light » peut être aménagé pour l’employé qui fait « le soir » (comme les ouvriers finalement). J’ai bien fait 5h30-21h en comptant les déplacements pour mes jobs jusqu’ici, je me dis « qu’en retour » la société pourrait un peu aménager des « facilités » pour ceux qui ont de grosses journées.
Les frustrations des travailleurs sont trop souvent « facilement » exploitées par les partis politiques pour stigmatiser les chômeurs ou les temps partiels comme des « profiteurs » qui en plus de ne « rien foutre de leurs journées » ont tous les avantages des services publics (la poste n’ouvre que jusqu’à 17h en semaine, l’administration, pareil... il faut « prendre congé » ou « être chômeur » pour mettre le téléphone, recevoir un recommandé ou aller chercher un document administratif).
Tout est une question d’horaires, pourtant :)
Pour ma part, je trouve que l’on peut allier rythme de vie agréable, convivialité, et horaires sauvegardés. Cela demande évidemment des efforts, comme pour tout changement d’habitudes. Je prends pour exemple les régions du Sud, qui ferment longuement après le repas de midi, et ouvrent tardivement les soir. ( suivant la saison touristique, le lieu, ou le type de commerce). Ces habitudes sont aujourd’hui visibles dans le Nord de la France et en tous les cas, dans le centre. On pourrait imaginer cela se développer en ville, en hyper centre... Le problème à mon avis doit être analysé par un autre biais : un "grand magasin" a les moyens d’organiser, avec plus de facilités (ou d’imposer ? ) un roulement dans le personnel, un travail en équipes, un système décalé, ou l’assortir à des récupérations/compensations. Un petit commerçant ne saura profiter de tels moyens sans mettre la pression sur la famille, l’entourage, voir même... fonctionner au noir. Le défi est donc de permettre l’élargissement des horaires, sans offrir un atout de plus à ceux qui en ont déjà les moyens...
La future Médiacité se propose d’être un nouvel ensemble de salles de cinémas, ce qui ne semble répondre à aucun besoin.
Ce qui est inoui, c’est que le début on part sur de mauvaises bases....
La suite s’enchaine avec une logique presque implacable... Qui sait si on ne se surprendra pas dans quelques années à dire : ça ne pouvait pas marcher...
En fait, et heureusement, c’est plus compliqué que cela. Il n’est pas toujours logique d’expliquer une réussite d’un projet, pas plus qu’un échec. La galerie aura probablement "de la gueule". Si elle plait à certaines locomotives de la mode, si le Pôle Image attire un certain type de public, si l’une ou l’autre enseigne spéciale "vaut le déplacement", ça peut marcher. On verra à l’usage. Personnellement je trouve que tous ceux qui boulottent valent mieux que les commanditaires. Ils sont courageux, inventifs, durs à l’ouvrage comme on disait autrefois. Pour eux, je souhaite que ça fonctionne.