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mardi 30 mars 2010

Histoire

Sauver la mémoire de l'Equerre

La sauvegarde des archives du groupe L’Equerre ou la reconnaissance de l’architecture moderne en Wallonie

30 mars 2010 - par Patrick Burniat, Sébastien Charlier, Jean-Patrick Duchesne, Kenneth Frampton, Pierre Frey, Eric Mumford et Pieter Uyttenhove

Patrimoine est identité. La préservation d’un monument ou, plus largement, d’une forme culturelle donne une belle idée de la façon dont un corps social appréhende son passé et son présent. Le succès des expositions et des publications consacrées aux figures majeures de l’architecture moderne belge démontre à l’envi la vitalité de la recherche et l’intérêt croissant du grand public pour l’architecture du XXe siècle. Pourtant, de nombreux acteurs restent à redécouvrir. Ainsi le groupe L’Equerre par sa réflexion sur l’architecture « rationnelle » et son investissement dans les grands débats de l’avant-garde internationale occupe une place de choix sur la scène belge. C’est la mémoire de plus de cinquante années d’architecture qui suscite les pires inquiétudes dans la communauté scientifique.

Fondée à Liège en 1935, l’agence d’architecture et d’urbanisme L’Equerre marque l’histoire de l’architecture et plus particulièrement l’histoire de l’aménagement du territoire en Belgique. Le groupe s’impose rapidement sur la scène nationale et internationale grâce à une vision de l’architecture et de l’urbanisme inspirée par les théories des CIAM (Congrès internationaux d’Architecture moderne), qu’il diffuse et interprète notamment dans une revue éponyme publiée de 1928 à 1939. En 1936, L’Equerre hérite du secrétariat belge des CIAM. À partir de 1937, il conçoit de nombreux plans d’aménagement en région liégeoise. C’est cette expertise qui lui permet, en 1948, de réaliser pour le compte de l’Administration de l’Urbanisme et de l’Aménagement du Territoire, l’Etude préalable au plan d’aménagement de l’agglomération liégeoise. Première étude pluridisciplinaire développée sur un territoire aussi vaste et prenant en compte un panel très complet de paramètres, ce travail pose les jalons d’une structure métropolitaine à Liège. Les méthodes innovantes employées par L’Equerre confèrent à l’étude une reconnaissance nationale et internationale. En 1952, le chef de la section de cartographie des Nations-Unies écrit au groupe L’Equerre : La centaine de cartes spéciales à grande échelle que vous avez préparées ou expliquées [...] sont réellement magnifiques et très impressionnantes : […] vous avez également réussi à soulever l’enthousiasme unanime des participants en faveur des méthodes adoptées dans vos travaux [...]. Je suis d’avance persuadé que le monde entier bénéficiera de vos fructueuses expériences. La même année, L’Equerre présente une exposition intitulée « Liège et sa région de l’an 1000 à l’an 2000. Exposition d’urbanisme ». D’éminents scientifiques de divers pays saluent avec enthousiasme le travail réalisé. Parallèlement à ses travaux urbanistiques, le groupe L’Equerre est sollicité pour de nombreuses commandes, entre autres, la plaine de jeux Reine Astrid (1939), véritable manifeste du fonctionnalisme, le Palais des Congrès (1956-1958) et le siège du journal La Meuse (1960-1962) à Liège.

Au lendemain de la faillite de l’agence en 1982, une importante partie du fonds d’archives (2500 rouleaux à plans, plus de mille boîtes à archives…) est récupérée par l’Institut Lambert Lombard de Liège qui dispose de peu de moyens pour s’occuper du fonds. Les déplacements successifs de l’institution aboutiront à la destruction partielle de l’ensemble documentaire. En 2007, une première mise en garde est relayée dans la presse spécialisée. Pendant près de trois ans, le fonds est laissé à l’abandon dans des locaux désormais sans surveillance suite au déménagement de l’école d’architecture. En 2008, lors du transfert des archives dans les réserves du Musée Curtius, un nouveau tri est effectué. Des centaines de boîtes à archives, dessins, correspondances et revues ont irrémédiablement disparu… Seules quelques centaines de rouleaux à plans ainsi que les panneaux de l’exposition de 1952 ont échappé au désastre.

En réaction à cette situation catastrophique, c’est aujourd’hui au tour de la communauté scientifique internationale de lancer un appel pour la sauvegarde d’un ensemble documentaire essentiel pour la compréhension de l’histoire de l’architecture et de l’aménagement du territoire en Belgique. À l’image du traitement des archives de Paul Fitschy, membre fondateur de L’Equerre, réalisé par le Getty Research Institute, le fonds doit être inventorié et conservé dans une institution ouverte aux chercheurs. La communauté universitaire, les écoles d’architecture et, plus largement, les pouvoirs publics ont un rôle moral à jouer.

Ne peut-on envisager aujourd’hui ce qui a été fait outre-Atlantique il y a trente ans ? La Wallonie est-elle, aujourd’hui, capable d’investir le champ de l’architecture de l’après-guerre ? C’est en garantissant la pérennité du fonds L’Equerre que la Wallonie pourra enfin se lancer sur la voie de la reconnaissance de son architecture moderne. Il y a urgence…

Illustration : Le Palais des Congrès, façade vers le parc de la Boverie, groupe
L’Equerre, 1956-1958, extrait de Le Groupe L’Equerre, 40 ans
d’architecture et d’urbanisme, Liège, 1977, p. 29.

À propos des auteurs

Patrick Burniat est Professeur à l’ISACF - La Cambre, Sébastien Charlier est Doctorant à l’Université de Liège, Jean-Patrick Duchesne est Professeur à l’Université de Liège, Kenneth Frampton est Professeur à Columbia University in New York, Pierre Frey est Professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, Eric Mumford est Professeur à Washington University in St-Louis, Pieter Uyttenhove est Professeur à l’Universiteit Gent.

Les commentaires des internautes

2 messages

Sauver la mémoire de l’Equerre
posté le 13 mars 2013 par Albert Regnier

Qu’elle était l’adresse postale de l’équerre dans les années 1960 ?


Sauver la mémoire de l’Equerre
posté le 26 avril 2010 par Laurent Nisen

Incroyable de lire qu’en 2008, dans le cadre de l’intégration d’un tel fonds dans les réserves d’un musée qui plus est, un tel « tri » ait pu se faire. N’y a-t-il plus de gardiens de la mémoire à Liège ? Pas étonnant que l’architecture et l’urbanisme se résument dès lors à des « coups d’éclats »...


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