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Le chaînon manquant

Un journal en ligne sur les questions urbaines à Liège
vendredi 29 janvier 2010
Photo : Will Urselmann

En ville

A Soumagne, un centre commercial très discutable

29 janvier 2010 - par Thomas Moor

À Soumagne, le projet de centre commercial « Central Piazza », tiré aux forceps par son promoteur (SA Property & Advice) et le bourgmestre Charles Janssens (PS), prend de plus en plus nettement les airs d’une épreuve critique pour la cohérence de la politique territoriale dans l’agglomération liégeoise, ainsi qu’à l’échelle de la région, dont la politique relative à l’implantation des infrastructures commerciales trouve ici à se confronter à un cas d’école emblématique de l’enjeu que celles-ci constituent dans les zones périphériques des grandes agglomérations.

Ce projet interpelle d’abord parce que l’offre commerciale dans la région liégeoise se trouve d’ores et déjà dans un état de nette saturation. Directement intéressée par la question, l’Union des Classes Moyennes s’oppose logiquement à ce projet |1|.

Rappelons que pour les trois dernières années à elles seules ont vu l’inauguration des Galeries Saint-Lambert (40.000 m²) |2|, la construction de la Médiacité (160.000 m², le plus grand centre commercial par sa superficie dans un centre urbain en Wallonie, ouverture en 2009) |3|, la naissance du projet de « bio-ethical commercial mall » (sic) dans l’ancienne Grand Poste (24.000 m²) |4|, la création d’un centre commercial au côté de l’enseigne d’ameublement suédois à Rocourt (par ailleurs en cours d’agrandissement), faisant suite à d’autres (Îlot St Michel |5| au centre-ville, Belle-île en Liège |6| à Angleur, extensions du centre commercial du Longdoz,...) menées ces quinze dernières années tandis que, dans le cadre de la reconstruction du stade du Standard et de la rénovation urbaine de Seraing, se profilent le projet d’un centre commercial « dédié exclusivement à l’équipement de la maison, la décoration et l’artisanat », intitulé le Cristal Park (65.000 m² contigu aux Cristalleries du Val Saint-Lambert, avec 2.000 places de parking, « un aquaparc, une piste de ski indoor », ainsi qu’un golf 9 trous « avec école de golf et lotissement résidentiel en bordure […], avec une piste VTT, un ball trap indoor », « deux lotissements, l’un de 90 maisons de type "village" 2 ou 3 façades et terrains d’environ 3 ares et l’autre plus classique composé de 60 maisons 4 façades sur des terrains d’environ 15 ares ») |7|. Sans compter le projet contesté du promoteur Foruminvest, « Au fil de l’eau » |8|, au centre de Verviers ! Une liste qui n’attend qu’à être complétée par des investisseurs privés toujours plus soucieux de rentabilité immédiate, au détriment de stratégies de développement portées au départ de noyaux commerciaux existants, qui elles, se font réellement attendre.

Nous nous interrogeons en effet sur les mesures prises pour soutenir le petit commerce de détail et de proximité dans les quartiers, qui est en souffrance. Il suffit de se balader dans les villes — voire même de nombreux villages touchés par le phénomène — pour se rendre à quel point celui-ci est balloté, au regard des nombreuses cellules commerciales vacantes.

Sur le fond, il nous paraît irresponsable de ne pas drastiquement limiter les centres commerciaux, dans un contexte où les salaires ne suivent pas la courbe ascendante de leur construction galopante, et où la promotion sans limite de la consommation (et des crédits à la consommation) qui y est pratiquée conduit à une augmentation significative de l’endettement des ménages à faibles revenus |9|, et à un renforcement de la disparité économique et sociale en Belgique comme sur la planète (avec les désastreux corollaires naturels que la surconsommation génère ailleurs, et dont nous estimons que les pouvoirs publics et les mandataires politiques doivent mesurer l’impact à chaque nouvelle occasion). L’implantation des centres commerciaux en périphérie incite par ailleurs à l’usage exclusif de la voiture. Le cas de Soumagne est particulièrement exemplaire, avec la création annoncée d’un parking de 800 places et la volonté manifeste de s’accrocher à la liaison Cerexhe-Heuseux-Beaufays. Il s’agit d’un projet autoroutier dont les effets secondaires sont connus d’avance et clamés de toutes parts : il dopera l’installation des familles en dehors des centres urbains ; il participera activement à la conquête de sols naturels par la construction de nouveaux lotissements, d’autres pôles commerciaux et d’équipements publics de raccordement à l’eau, l’électricité, le chauffage, le téléphone ; il demandera la création de nouvelles infrastructures routières adaptées à l’augmentation du trafic que cette périurbanisation génèrera (avec par contre une disqualification certaine, en raison de l’étalement de ces nouveaux habitats, des transports en commun) ; un cycle couteux (économiquement, socialement, écologiquement) et peu vertueux pour la collectivité, loin d’une logique de développement « durable » auquel les pouvoirs publics et les mandataires politiques doivent souscrire. Le Central Piazza à Soumagne, sous le couvert de la carotte de la création d’emploi auquel certains mandataires politiques sont prêts à mordre à tout prix, opère comme un nouveau et dangereux rouage dans cette logique mortifère.

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Photo : Will Urselmann

Nous soutenons par contre que la concertation entre des communes voisines dans la périphérie, et entre les communes de la périphérie et la ville de Liège, sur des sujets communs comme l’aménagement du territoire (qui dépasse largement les limites géographiques de chaque commune prise à part), et dans ce-cas précis, pour discuter de l’implantation commerciale à l’échelle de l’agglomération, est une posture durable… que la Commune de Soumagne n’adopte pas, préférant jouer le jeu de la concurrence plutôt que celui de la solidarité. À décharge de la Commune, rappelons que le cadre même de cette concertation métropolitaine fait actuellement défaut à Liège : une communauté urbaine, dont le fonctionnement repose sur le partage des responsabilités (économique, financière, urbanistique, écologique, etc.) entre les communes qui la composent, et donc des pouvoirs, au profit d’une vision commune au service de la collectivité. Les effets pervers de l’absence d’une telle structure, pourtant largement décriée par les mandataires politiques, se font ici largement sentir.

Par ailleurs, on peut émettre les plus vives réserves quant à l’architecture caricaturale proposé par le promoteur du Central Piazza pour les immeubles à appartements qui jouxteront le centre commercial, et si nous ne doutons pas qu’elle est conforme aux règles définies par le CWATUPE, elle n’en est pas moins le reflet du formatage généralisé de l’habitat en Wallonie… qui voit des appartements construits en Province de Liège être presqu’en tous points semblables avec ceux construits en Luxembourg ou en Brabant wallon, du moment que la brique rouge et les toitures à versants sont proposées par le maître d’ouvrage — on caricature à peine. Ce mimétisme aveugle de l’habitat est aussi éloigné dans sa relation avec le patrimoine et l’histoire de l’architecture de la région, que dans sa relation avec une architecture contemporaine dont l’essence est d’interroger l’acte d’habiter, notamment dans ses dimensions programmatiques, écologiques et formelles.

Bref, tant dans ses dimensions économiques, sociales, urbanistiques qu’architecturales, et donc éminemment sociétales, le Central Piazza de Soumagne se révèle être un projet médiocre.

Nous appelons donc les pouvoirs publics régionaux compétents pour les politiques d’aménagement du territoire et d’implantation commerciale, à prendre leurs responsabilités en refusant catégoriquement ce projet, et plus largement, en définissant d’urgence une stratégie commerciale à l’échelle de l’agglomération liégeoise, tenant compte des disparités entres les communes qui la composent pour les équilibrer, mettant en œuvre une politique de mobilité facilitant les déplacements en transports en communs entre les pôles commerciaux qui la composent, et développant des mesures pour soutenir le commerce de détail et de proximité dans les quartiers. Il est vraiment grand temps de réinventer le commerce, qu’il soit rural ou urbain, plutôt que de reproduire à l’infini, comme c’est le cas aujourd’hui, des schémas éculés comme celui-ci — de ce point de vue, le chemin de l’innovation, tant promu par la Région wallonne, est encore long.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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