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mardi 14 mai 2013

Analyse

De la saga à l'asphyxie : le gouvernement du rail en Belgique

14 mai 2013 - par Bernard Swartenbroekx

Tous les dix ans environs, la rue de la Loi et la rue de France se livrent aux joies du jeu de rôle. Le canevas est bien rôdé, avec juste ce qu’il faut de surprises pour alimenter la curiosité du public. Le dernier épisode bat son plein et devrait selon les dernières informations être bouclé pour l’été 2013. Quelques éléments pour décrypter le script.

Une saga bien rodée

Les protagonistes s’écharpent autour du plan pluriannuel d’investissements en matière ferroviaire. Ce document définit ce qui se fera (peut-être) et ne se fera (très probablement) pas sur le rail en Belgique au cours de la décennie à venir. L’objet au centre de l’attention peut sembler rébarbatif. Il a pourtant l’art d’exciter les passions.

La trame de l’intrigue est constituée d’une part d’une lutte d’influences au sein du groupe SNCB et d’autre part du rapport de dépendance réciproque qui se construit entre le groupe ferroviaire et son autorité de tutelle. Le pouvoir politique tire principalement son influence de son contrôle des finances et, de manière subsidiaire, de la possibilité qui lui est laissée de modifier les structures de décisions au sein des chemins de fer. Il est amené à trancher entre différentes options relatives à l’évolution du rail. Les alternatives qui lui sont, ou non, présentées sont pour leur part préparées, souvent de longue date, par les services d’étude et le management du groupe ferroviaire. Les professionnels du rail sont par ailleurs amenés à mettre en œuvre les décisions prises. Leur force provient surtout de leur maîtrise opérationnelle et du temps long dans lequel ils inscrivent leur action. Le jeu inclut également quelques lobbies sectoriels ou sous-régionaux. Certains sont bien introduits au sein de l’entreprise ferroviaire ou possèdent des relais efficaces au niveau fédéral. D’autres devront tenter de faire entendre leur voix depuis la ligne.

L’exercice donne notamment lieu à la reprise de quelques figures obligées, jouées avec toute l’emphase requise. Ainsi en va-t-il de la répartition régionale des investissements. Les Wallons se plaindront amèrement que celle-ci suit une clé, fixée une fois pour toute à 60/40 |1|, qui défavorise le sud du pays. L’entretien du réseau, étendu et serpentant dans des vallées sinueuses parsemées d’ouvrages d’art, y est coûteux. Le budget laisse peu de marges pour des projets de développement. L’essor wallon serait ainsi gravement mis en péril |2|. Les Flamands avanceront, tout aussi convaincus, que la même clé de répartition se fait au détriment du nord du pays. Le réseau y est plus densément utilisé et soumis à de fortes contraintes d’exploitation. Les investissements y seraient dès lors plus utiles. D’ailleurs, le sud du pays ne doit pas être si mal loti puisqu’il s’oppose systématiquement à toute régionalisation du rail et à la fin de son financement par l’État fédéral…

Dans la même veine, les Luxembourgeois |3| et les Limbourgeois |4| ne manqueront pas de crier leur colère face au peu de cas fait des intérêts vitaux de leur province, si mal aimée de Bruxelles. À quoi il sera invariablement répondu que face à la disette budgétaire, il est sain d’investir les moyens disponibles là où les flux de voyageurs et de marchandises le justifient. Ce dernier argument n’empêchera nullement les Bruxellois d’estimer que leur ville est le terrain de jeu favori des ingénieurs du rail tout en étant superbement snobée par le chemin de fer dès qu’il s’agit de prendre en compte les intérêts de ses habitants |5|.

La négociation suit également un scénario parfaitement prévisible. Il se déroule immuablement en quatre temps.

1° Durant toute la période de préparation de la décision, aucune communication substantielle n’a lieu sous prétexte que « rien n’est décidé à ce stade » (mais que tout se prépare). Il n’est pas question d’attendre une quelconque publicité des documents stratégiques ou des données à partir desquelles les différents scénarios sont élaborés, du calendrier menant à la décision ou de la liste des organes et institutions consultées.

2° À l’approche des moments décisifs quelques fuites sont plus ou moins savamment orchestrées. Elles permettent de tâter le terrain ou, au contraire, de ruiner quelque proposition hardie. La pression monte afin d’accélérer la prise de décision ou de faire monter les enchères. A ce stade, le plan précédant est généralement arrivé à échéance depuis plusieurs mois. Il s’agit là d’une source supplémentaire d’incertitudes qui pèse sur la planification concrète des chantiers et la maintenance quotidienne du rail. Cependant, les grandes options sont déjà largement arrêtées, sans qu’il ne soit possible d’identifier quand et par qui.

3° Dans les moments décisifs, le dossier est irrémédiablement lié, voire subordonné, au sort d’autres questions pendantes. Celles-ci sont d’ordinaire liées aux structures de décision au sein du groupe SNCB et au statut de son personnel. Les syndicats montent au créneau. Les questions sensibles liées au partage des zones d’influence et au climat social au sein du groupe ferroviaire viennent inéluctablement prendre l’ascendant sur la définition d’une politique de mobilité et la confection d’un plan de transport appelé à la concrétiser.

4° Une fois l’accord décroché, le résultat final est présenté comme à prendre ou à laisser, quelques soient ses incohérences et ses ambiguïtés. Le simple fait qu’un accord ait été engrangé est présenté comme un succès considérable en des temps budgétaires et institutionnels invariablement difficiles.

La préférence pour l’entre soi

Au cours du jeu, il ne viendrait à l’idée de personne de mettre sur pied un débat public et informé afin de déterminer tant les fonctions que le chemin de fer est appelé à remplir dans la société que les instruments qu’il convient de déployer à cette fin. Les acteurs en présence, au sein de la maison cheminote comme dans les quartiers généraux des partis de gouvernement, partagent implicitement la conviction qu’un processus de décision plus ouvert rendrait inévitablement la conclusion d’un compromis plus ardue et dégraderait nécessairement la qualité de la décision.

Il y a bien sûr des consultations préparatoires, des prises de position et des stratégies de communication dans le chef des différents acteurs en présence. Mais ces éléments sont largement perçus comme des écarts, voire des diversions, par rapport à un jeu se jouant idéalement à huis clos. Il y a plusieurs raisons derrière cette aversion, parfois maladive, des professionnels du rail vis-à-vis de la « société civile », des élus et des médias. L’une d’entre elle tient dans une forme d’esprit de corps et d’éthique professionnelle des ingénieurs et techniciens du rail. Si les solutions ayant emporté la conviction des experts de la maison reflètent les meilleurs choix possibles, une fois prises en considération les contraintes de tous ordres auxquelles ils font face, toute interférence dans le processus de décision devient une menace non seulement pour le bon fonctionnement de l’entreprise mais également pour l’intérêt public en général. Un porte-parole extérieur aux chemins de fer sera presque systématiquement considéré comme mal informé sur le plan technique, défendant une base d’intérêts étroite, et d’autant moins conséquent qu’il devra rarement assumer la mise en œuvre de ses revendications.

Une autre raison de la préférence pour l’entre soi provient sans doute de l’incorporation par tous les acteurs en présence du fonctionnement des institutions belges. La SNCB réplique en son sein bien des équilibres subtils qui font vaille que vaille tenir les institutions du pays. Tout compromis qui se dégage au sein même des chemins de fer aura forcément associé des représentants des différents courants traditionnels de la société belge. Pourquoi dès lors doubler un processus de pondération des demandes des uns et des autres alors qu’il a déjà eu lieu, de surcroît sur fond d’une culture d’entreprise commune qui facilite leur conciliation ? Dans ces conditions, la décision peut prétendre, à côté de l’autorité de l’expertise, à une forme de légitimité politique, étrange alliage entre la paix armée, le marchandage invétéré et le respect tatillon de traditions ancestrales. Les travers de la particratie présentent en outre l’avantage d’immuniser à l’avance la technocratie ferroviaire contre toute remise en question. Si seulement on avait vraiment laissé faire les professionnels désintéressés et compétents plutôt que de laisser entrer en ligne de compte des considérations politiques ou partisanes…

Un climat de défiance généralisée vis-à-vis du reste de la société s’est ainsi installé au sein du groupe SNCB. L’entreprise publique s’est peu à peu identifiée à une citadelle assiégée par des ennemis intérieurs et extérieurs qui ne comprendraient rien à la réalité du rail ni aux défis auxquels il fait face. La communication officielle semble avoir souvent pour but principal d’en dire le moins possible, histoire de ne pas donner prise à la critique. La langue de bois devient une marque de fabrique. Sa gestion des ressources humaines vit dans la peur permanente des fuites vers l’extérieur, en particulier vers la presse. Par là même, la direction ne contribue guère à l’élévation du niveau du débat public ni à une circulation efficace de l’information au sein même de l’entreprise ferroviaire. Il n’est dès lors guère étonnant qu’elle rencontre bien des difficultés pour faire évoluer les grilles de perception et les réflexes qui se sont peu à peu sédimentées au sein de son organisation |6|. Dans ces conditions, forger l’adhésion vis-à-vis des choix effectués relève de la gageure. Paradoxe : un système largement perçu comme hyper-politisé souffre de la faiblesse chronique des orientations politiques qu’il reçoit.

Une planification qui n’en porte que le nom

Revenons au plan d’investissement pluriannuel. Le dénouement de la saga aboutit à une liste hétéroclite de projets liés aux infrastructures, au matériel roulant et à la modernisation de différents outils de production. Ces investissements sont définis avec un degré de précision très variable et sont assortis de montants financiers sensés en assurer la réalisation, si du moins le budget n’est pas rogné entretemps, et pour autant que les projections ne se soient pas révélées trop optimistes. Seront définis précisément des projets depuis longtemps dans les cartons des chemins de fer et effectivement promus par sa hiérarchie. Seront par contre simplement énumérés d’autres projets censés faciliter l’obtention d’un accord politique. Dans ce dernier cas, ils sont sensés donner quelques gages à des acteurs suffisamment puissants pour justifier une ligne dans un compromis politique sans pour autant, à tort ou à raison, être pris au sérieux par la direction des chemins de fer. Ils peuvent en effet être en opposition ouverte avec les options privilégiées dans la maison cheminote ou être simplement trop mal préparés sur le plan technique.

Il est par contre vain de rechercher une stratégie cohérente et explicite ayant trait à la mobilité dans son ensemble. Il n’est nulle part question de définir précisément les fonctions que l’on souhaite voir remplies par le rail. Au mieux, quelques généralités sur l’augmentation continue des déplacements de personnes et de marchandises, l’insertion de la Belgique dans les grands réseaux européens de transport, les impératifs de gestion, le développement durable et l’intermodalité servent de toile de fond à des projets centrés sur l’infrastructure et le matériel roulant. La conjonction des considérations relatives à la maintenance du réseau, aux incertitudes financières et aux projets sensibles ayant fait l’objet d’un accord politique indépendamment de leur pertinence ne laissent aucune place à une stratégie explicite centrée sur le développement et la qualité de l’offre de transport. Il sera encore moins question de répartir les responsabilités et de planifier les investissements de sorte à atteindre des objectifs clairement ciblés dans les meilleures conditions.

À plus fortes raisons, il ne sera nullement question d’utilisation rationnelle de l’espace. Que ce soit en général pour limiter l’émiettement anarchique des activités humaines sur l’ensemble du territoire ou plus spécifiquement pour améliorer la qualité du tissu urbain autour des gares. Le jeu risquerait de faire naître l’attente d’un service public performant jouant un rôle moteur au sein d’une vision cohérente de la mobilité et de l’aménagement du territoire.

Les discussions se focalisent ainsi sur les projets d’infrastructure (lignes nouvelles, rénovations de gare, électrification d’itinéraires,…) mais rarement sur les trains qui doivent les emprunter (nombres, fréquence, amplitude et type de dessertes) et encore moins sur les conditions d’accompagnement à mettre en œuvre afin que les services prestés connaissent un réel succès |7|. Formellement du ressort du contrat de gestion, ces aspects sont dans les faits largement laissés à la discrétion de l’opérateur ferroviaire. L’offre de transport résulte dès lors de compromis subtils entre les différentes composantes du groupe. Trop floue et ne disposant pas d’un soutien efficace de l’autorité de tutelle, la stratégie de la SNCB se trouve très largement contrainte d’une part par l’état de l’infrastructure en ces points les plus faibles et d’autre part par l’étau financier se refermant progressivement sur elle.

La force du temps long

En dépit de la focalisation périodique sur l’arrêt d’une liste de projets d’infrastructures, le jeu n’est jamais entièrement clos. Ajouter des projets à financer est toujours possible. Mais cela requiert le déploiement de beaucoup d’influence ou la survenance de graves accidents imposant une remise à plat des habitudes. Cela fut malheureusement le cas lors de la mise en évidence de carences en matière de sécurité après la collision frontale entre deux trains de voyageurs à Buizingen en 2010.

Supprimer ou postposer la réalisation de projets est beaucoup plus courant. Quelques restrictions budgétaires par ci, des surcoûts ou retards sur des projets en cours par là,… Et puis, pour ceux qui ont de la suite dans les idées, la préparation du futur a lieu … lors de la confection des plans précédents. Cette maîtrise du temps long vaut autant pour placer un projet d’infrastructures dans le pipeline de la décision que pour affaiblir des éléments de l’activité dont on voudrait se défaire |8|. Les projets dont la réalisation est prévue à la fin de la période de validité de chaque plan d’investissements n’ont en effet qu’une faible chance de voir effectivement le jour, du moins dans les temps impartis. Le temps du rail est long, très long.

Une fois arrêtées, bien des orientations sont cependant difficilement réversibles. Une ligne de chemin de fer est bien plus facilement fermée qu’elle n’est rouverte au trafic. A l’inverse, des projets promus et étudiés en détail par les ingénieurs du rail ont l’art d’être dotés de justifications changeantes en fonction des modes et de l’évolution du débat public. Le même projet sera tour à tour paré des atours du désenclavement d’une zone stratégique, du renforcement d’un axe à portée nationale ou internationale, de la réduction des temps de parcours, du développement durable ou du renforcement de la sécurité. Il n’est pas inutile dès lors de revenir sur les épisodes précédents. Si une vision prospective des enjeux de mobilité manque cruellement en Belgique, il est néanmoins possible de dégager, à travers les investissements arrêtés et réalisés, des inflexions de stratégie dans le chef des chemins de fer. Il apparaît alors que le poids du passé pèse lourdement sur les choix d’aujourd’hui.

Petit retour sur les épisodes précédents

Chaque round de négociation a sa tonalité propre, avec ses réalisations spectaculaires mais aussi ses ambiguïtés et ses occasions manquées.

Dans les années 80, ce fut la mise en place du cadencement (presque) généralisé des services aux voyageurs : les trains sont appelés à suivre le même canevas horaire tout au long de la journée. Ils démarrent à la même minute de chaque heure des mêmes gares vers les mêmes destinations. Le concept, à l’époque innovant |9|, devait rendre son attractivité au rail tout en permettant une rationalisation opérationnelle devenue indispensable. Un triple objectif était poursuivi. Premièrement, des fréquences régulières et l’amélioration des vitesses commerciales devaient augmenter et diversifier la clientèle sur les relations préservées. Deuxièmement, l’augmentation des rotations du matériel roulant et du personnel devaient augmenter considérablement la productivité du rail. Troisièmement, la suppression massive de lignes, gares et points d’arrêts devaient diminuer drastiquement les coûts fixes. La mise en œuvre du plan IC/IR n’a cependant pas pu enrayer le déclin du rail. Il s’est en effet accompagné d’un désinvestissement massif dans le réseau, tant dans son extension que dans la qualité des infrastructures maintenues en exploitation. Le plan était surtout dicté, déjà, par l’assainissement des finances publiques. Et il n’a pas pu stopper l’hémorragie dont souffraient les chemins de fer, tant financière qu’en termes de voyageurs |10|.

Dans les années 90, ce fut l’arrivée du TGV en Belgique. Le train incarnait de nouveau la modernité, le voyage et la vitesse. La Belgique a placé Bruxelles, puis Anvers et Liège, sur la carte de la grande vitesse ferroviaire. La SNCB, devenue entretemps entreprise publique autonome, n’est par contre pas parvenue à mettre en place un concept d’exploitation capable de faire rejaillir les gains de la grande vitesse sur ses autres services. Les gares nouvelles sont trop souvent conçues comme des terminaux hors sol largement indifférents à leur environnement urbain et suburbain. La réservation obligatoire se généralise afin d’appliquer les recettes du « yield management » venu du transport aérien au prix d’une réduction de la souplesse d’utilisation du rail pour l’usager. L’arrivée du TGV, sur fond de libéralisation annoncée des chemins de fer, a renforcé la segmentation du rail entre un service de niche destiné à une clientèle d’affaire et de loisirs très solvable circulant entre les grandes villes européennes et un service intérieur dont la principale fonction était, déjà, d’absorber vaille que vaille les flux croissants de navetteurs se rendant à Bruxelles |11|. Malheur à ceux qui voudraient utiliser le train régulièrement s’ils ne tombent pas dans l’une de ces deux catégories. Ils sont largement invisibles pour les décideurs du rail.

La débâcle récente du Fyra, service conçu sur le modèle aérien pour relier Bruxelles à Amsterdam à grande vitesse, a démontré les limites d’un schéma isolant volontairement un service ferroviaire, pour en accroître la rentabilité financière, de l’environnement dans lequel il s’insère |12|. La rigidité d’utilisation couplée à la dégradation concertée des alternatives pour traverser en train la frontière belgo-néerlandaise, pourtant désuète sur le plan sociologique, a conduit à un exode de la clientèle avant même l’accumulation des problèmes techniques rencontrés par le matériel roulant. L’ensemble des villes desservies, d’habitude si promptes à louer l’arrivée du TGV dans leurs murs, se sont d’ailleurs toutes élevées pour réclamer une desserte régulière, fréquente, souple et intégrée au reste du réseau. Tout ce que ce « TGV light » développé par les chemins de fer belges et néerlandais n’était pas…

Dans les années 2000, ce fut la promesse de la fluidification de l’accès à Bruxelles qui fut à l’honneur. Pour ce faire, les principaux accès ferroviaires à Bruxelles seraient portés à quatre voies et de nouvelles lignes desserviraient l’aéroport de Zaventem. Ce recentrage sur les missions de service intérieur n’était cependant pas dénué d’ambiguïtés. Comme trop souvent, l’accord portait sur des projets d’infrastructure, mais pas sur une offre de transport et encore moins sur les objectifs qu’elle devait rencontrer. Ces questions ne sont aujourd’hui toujours pas tranchées. Or les lignes sont construites, les aiguillages placés. Les contraintes techniques ainsi créées préemptent largement les choix d’exploitation futurs. Et la SNCB peut désormais s’appuyer sur ces limitations matérielles pour opposer une fin de non-recevoir aux demandes qui ne cadrent pas avec ses propres options. Dans le même temps, les politiques ont fait naître d’énormes attentes, très probablement excessives, dans le RER. Il a été présenté comme une formule d’autant plus magique face à l’engorgement de la capitale que sa mise en œuvre était reportée d’année en année. Cela permettait sans doute de ne pas devoir s’attaquer à la place de la voiture en ville et aux conséquences de l’étalement urbain généralisé. En promettant de renforcer l’accessibilité de Bruxelles grâce au RER, bien des questions difficiles pouvaient être éludées.

La SNCB y trouvait également son compte. Depuis longtemps rétive aux dessertes à caractère local, en particulier en contexte urbain, elle voyait surtout dans le projet RER l’opportunité d’améliorer les conditions d’exploitation dans et autour de la capitale tout en renforçant son offre là où les taux d’occupation des trains sont les plus élevés. La dissociation des trafics lents et rapides offrait en effet la perspective de développer le réseau de dessertes IC/IR vers Bruxelles. Sur le plan financier, le projet constituait un levier pour garantir des financements publics. Il permettait également de valoriser ses terrains, que ce soit à travers des opérations de spéculation immobilière aux abords des gares ou via la mise en place de filiales ayant en charge la valorisation commerciale des flux de voyageurs (parkings, régies publicitaire, concessions de commerces,…). Les retards successifs dans la réalisation des travaux, ajoutés à la dilution des responsabilités entre les trois entités indépendantes nouvellement créées à partir de la SNCB historique (SNCB, Infrabel, et Holding), ont permis de reporter à plus tard le soin de trancher les désaccords. Cela a laissé une fois de plus beaucoup de latitude |13| aux gestionnaires du rail mais peu d’autorité pour projeter le rail dans l’avenir.

Tout au long de cette période, un sujet tabou hantait par ailleurs toute décision ayant trait au rail : la descente aux enfers du fret ferroviaire. Le trafic de marchandises est en effet en chute libre tant en termes de part de marché qu’en termes absolus depuis des décennies, particulièrement en Wallonie |14|. Face à cette hémorragie, la réaction du groupe SNCB n’a pourtant jamais varié. Elle a toujours poursuivi la même stratégie : concentrer ses activités fret sur des trafics massifiés, principalement à partir des terminaux portuaires. La prémisse consistait à réduire les coûts par tonne transportée pour restaurer la rentabilité de l’activité. Des flux importants de marchandises devaient permettre de tirer profit de rendements d’échelle. Bien qu’absorbant une part considérable des moyens d’investissements, cette stratégie n’a pourtant jusqu’à présent jamais empêché la SNCB de perdre clients, trafic et argent. Elle a par contre concentré l’activité fret du groupe sur les créneaux les plus exposés à la concurrence et les plus vulnérables aux aléas de la conjoncture (commerce international, industrie sidérurgique et automobile,…) tout en réduisant drastiquement la desserte fine des entreprises et du territoire. Dans ces conditions, les moindres variations conjoncturelles ou l’accentuation de la pression concurrentielle entrainent paradoxalement l’inutilisation de capacités importantes, plombant ainsi tout espoir de restaurer des marges bénéficiaires. Personne ne se hasarde pour autant à remettre en cause cette ligne de conduite ni, à plus forte raison, à exiger des pouvoirs publics qu’ils explicitent une stratégie globale pour le fret en Belgique.

Un modèle économique à bout de souffle

Paradoxe de la quête éperdue de rentabilité, des pans entiers du réseau, lignes à grande vitesse nouvellement construites comprises, sont largement sous-utilisés |15| tandis que la congestion menace à quelques endroits névralgiques. La jonction Nord-Midi |16|, dans le schéma d’exploitation de plus en plus centré sur la capitale, ainsi que les accès à Anvers, montrent en effet les premiers signes de saturation dès la fin des années 90. Cette utilisation très inégale des infrastructures dans l’espace et dans le temps est problématique. La gestion des flux existants tend en effet à l’emporter sur l’exploitation des avantages d’un réseau de transports publics bien maillé répondant à une multiplicité de besoins de déplacements. Une telle dynamique risque fort de se révéler impuissante à enrayer la paralysie programmée des réseaux de transport. Elle condamne aussi le rail à l’asphyxie financière.

D’un côté, la SNCB et, à sa suite, Infrabel, désormais en charge de l’infrastructure, tendent à concentrer ressources et attention sur les points du réseau les plus proches de la saturation en heure de pointe afin de gérer les flux de trafic qui s’y concentrent, pour partie en raison de la stratégie poursuivie de longue date par les chemins de fer eux-mêmes. A l’inverse, le groupe ferroviaire néglige systématiquement de tirer parti des potentialités inexploitées du réseau là où il pourrait accueillir voyageurs et marchandises sans beaucoup de problèmes et moyennant des investissements relativement limités |17|, à condition toutefois d’offrir une meilleure qualité de service. C’est le cas de la plupart des lignes transversales ne transitant pas par la jonction Nord-Midi |18| mais également de nombreuses lignes radiales pour peu qu’on s’éloigne suffisamment de la capitale |19|. C’est aussi le cas de l’ensemble du réseau en dehors des heures de pointes.

Le modèle économique des chemins de fer est ainsi devenu très fragile, sans parler des difficultés opérationnelles croissantes rencontrées pour faire rouler les trains au quotidien sans trop d’accrocs. Freiner la dégradation des performances aux points du réseau menacés de congestion nécessite en effet des moyens considérables. Il faut (re)dimensionner non seulement les voies, les gares et les systèmes de signalisation en fonction du trafic de pointe mais également la capacité du matériel roulant, la puissance de traction, la taille des ateliers,… En dépit des progrès techniques continus, cette évolution tend à augmenter les coûts fixes supportés par le rail. Or ces installations et ce matériel ne sont utilisés à plein que pendant un court laps de temps sur une partie restreinte du réseau. Ils ne contribuent que de manière limitée à l’augmentation globale de l’offre de transport et à l’attractivité du rail dans son ensemble tout en absorbant une part considérable des moyens disponibles.

Dans le même temps, les investissements sur les lignes jugées non, ou moins, prioritaires sont postposés, voire supprimés en raison des contraintes budgétaires et financières. Le report de nombreux travaux de renouvellement des composants de l’infrastructure conduit à son tour à une détérioration des performances et à un renchérissement des coûts d’exploitation. Les temps de parcours et la qualité des correspondances en souffrent. Du côté de l’exploitation, de nombreuses lignes, y compris lorsqu’elles offrent des itinéraires alternatifs aux itinéraires encombrés, sont sous-exploitées quand elles n’ont pas été purement et simplement fermées au trafic |20|. De manière générale, les fréquences et l’amplitude de service ne sont très souvent pas en mesure d’attirer une clientèle en dehors des publics captifs, scolaires et de navetteurs vers le centre de Bruxelles. Les services offerts, tant à l’indicateur que réellement prestés, laissent nombre d’usagers et de chargeurs insatisfaits. L’absence de régularité et de fiabilité sur la majeure partie du réseau fait fuir à la longue bien des usagers du rail, même lorsqu’ils sont bien disposés à son égard. Les préjugés de la direction du rail sur la présence ou l’absence de potentiel des différentes relations s’en trouvent renforcés. Un cercle vicieux est enclenché, dont il est bien difficile de sortir.

L’étranglement financier a en effet tendance à s’auto-entretenir. Il alimente d’une part la propension du management à chercher des revenus dans les services considérés comme potentiellement rentables |21| (exploitation du TGV, concessions commerciales dans et autour des gares, trains de navetteurs en période de pointe, …), au prix d’un cloisonnement accru des responsabilités et d’une diversion des actifs. Il justifie d’autre part les tentatives désespérées de restaurer l’équilibre des comptes en désinvestissant, puis en abandonnant les services jugés les moins rentables (dessertes dites « rurales », suburbaines, de début et de fin de journée, d’heure creuse, trafic de marchandises diffus, embranchements industriels, « petites » gares et « petites » lignes,…). Les deux effets se combinent pour reporter les coûts fixes élevés du rail sur une base toujours plus étroite. En désossant petit à petit les chemins de fer de ses morceaux à la fois les plus et les moins rentables, il devient difficile de générer des effets de réseaux par lesquels chaque service rendu en un point renforce l’attrait des prestations offertes en tout autre point du réseau qui lui est connecté. Le rail ne peut tabler pour son salut que sur la dégradation parallèle plus forte encore des conditions d’utilisation de la route. Ce n’est pas gagné.

A cela s’ajoute la difficulté grandissante pour les opérateurs historiques de reporter les pertes d’exploitation sur les pouvoirs publics, soit implicitement via des artifices comptables, soit explicitement via des opérations de reprise de la dette. La SNCB n’a jamais réussi à obtenir en contrepartie de la discipline financière accrue imposée par la législation européenne la pérennisation des financements publics de ses activités. Elle n’a pas davantage obtenu un rééquilibrage en faveur du rail des désavantages structurels qui l’handicapent face à la route. Le rail supporte en effet une part nettement plus importante des coûts sociaux qu’il génère, pourtant en bien moins grande quantité par tonne ou passager transporté. Le chemin de fer doit par exemple financer sur les fonds qui lui sont alloués un niveau bien plus élevé de sécurité que ses concurrents, en particulier routiers. Si la prévention d’accidents justifie désormais, certes après une longue période de négligence et d’atermoiements, une refonte complète, et particulièrement onéreuse, des systèmes de signalisation et de sécurisation du rail en Belgique, pourquoi ne pas exiger le même degré de sûreté sur la route ? Celle-ci est chaque année plus meurtrière que quarante catastrophes de Buizingen |22|. A contrario, combien de vies seraient épargnées chaque année pour chaque point de pourcentage de part modale passant de la route au rail ? Cela seul justifie de déployer une alternative crédible au tout à la route.

Sortir de la précarité structurelle

Tous ces facteurs placent le chemin de fer, et ceux qui en dépendent à un titre ou à un autre, en situation de précarité structurelle. Que ce soit par choix ou à défaut d’alternative, il est bien hasardeux de se fier au chemin de fer pour se rendre à un examen ou à un entretien d’embauche. A plus forte raison, revenir d’une formation en cours du soir, d’un travail à horaire irrégulier ou d’une activité culturelle ou sociale se révèle de plus en plus souvent tout bonnement impossible. En l’absence d’une garantie de la pérennité des services et d’une perspective crédible d’amélioration de leur qualité, il est bien téméraire de planifier une vie personnelle ou une stratégie d’entreprise qui ne reposerait pas, ou moins, sur la reine automobile. Dans ces conditions, la justification du financement public du rail finit également par s’étioler.

La navigation à vue ne permet pas davantage aux professionnels du rail, coincés entre l’attentisme politique et les limites de la stratégie poursuivie par le groupe ferroviaire, de restaurer une confiance, largement ébranlée, dans le rail. La direction n’est guère en mesure de prendre, et de tenir, des engagements opérationnels suffisamment ambitieux pour renverser la vapeur. Et cela en dépit de la densité d’occupation du territoire belge, du passé prestigieux du rail dans nos contrées et du savoir-faire accumulé dans le domaine. On se contente dès lors tantôt de minimiser les problèmes, tantôt de promettre une amélioration aussi substantielle qu’imprécise, tantôt encore d’avancer des contraintes techniques insurmontables, et, en dernier ressort, de promettre quelque application pour smartphone indiquant en temps réel les perturbations sur le réseau. Dans ces conditions, la civilisation de la voiture individuelle et du semi-remorque a encore de beaux jours devant elle. L’asphyxie croissante des villes et des campagnes également…

Le plan d’investissement actuellement en négociation devrait se donner les moyens conceptuels, financiers et organisationnels de sortir de cette spirale de fragilisation du rail. Malheureusement, les premiers échos des discussions en cours ne sont pas encourageants. Les informations qui ont filtré jusqu’à présent laissent présager que la stratégie du groupe ne sera pas remise à plat. Tant le management du groupe SNCB que la tutelle politique semblent s’accommoder d’avoir pour seul horizon le fait de parer indéfiniment au plus pressé |23|. La marche qu’il faudrait franchir pour passer à un niveau de qualité de service susceptible de sortir le rail de sa léthargie semble trop haute. A défaut, on se contente d’absorber l’augmentation du nombre de voyageurs à politique inchangée au moyen d’une offre constante, voire légèrement comprimée pour cause de restriction budgétaire |24|. On est loin de chercher un report modal substantiel de la route vers le rail. Il n’est nulle part question de se donner les moyens de réaliser un maillage plus dense de l’offre de transport public sur l’ensemble du territoire afin d’augmenter significativement l’attrait du rail et de répondre à des besoins très largement négligés aujourd’hui, mais également de manière telle à réduire drastiquement les coûts moyens d’exploitation en mettant en place une utilisation à la fois plus intensive et plus équilibrée de l’infrastructure.

Réfléchir autrement

Malgré l’importance des montants et des enjeux concernés par l’avenir du rail, c’est l’impression d’un pouvoir fédéral désinvolte et de pouvoirs régionaux velléitaires qui prédomine. Le pouvoir fédéral sert d’autant plus d’arène à une négociation à plusieurs bandes qu’il s’accommode fort bien du flou des objectifs et de l’absence de stratégie lisible. Cela permet sans doute aux partis de gouvernement de ne pas assumer des responsabilités qu’ils ne souhaitent sans doute pas prendre. Les pouvoirs régionaux peuvent d’autant plus aisément tenter de tirer la couverture à eux à grand renfort de déclarations musclées qu’ils se dispensent de toute cohérence dans leurs propres choix. La Wallonie ne serait-elle pas plus forte, pourtant, pour réclamer sa "part" des investissements, si elle menait une politique concertée de valorisation de son réseau ferré tant pour le fret que pour les voyageurs ? Elle pourrait par exemple favoriser l’émergence d’opérateurs fret de proximité (OFP) pour encourager la renaissance du trafic diffus de marchandises. Elle pourrait également imposer enfin aux TEC l’intégration efficace de ses lignes, horaires et tarifs avec le rail afin de tirer le meilleur parti des dessertes ferrées existantes et d’accroître ainsi leur taux d’utilisation. Elle pourrait encore concentrer la localisation des zones économiques et résidentielles nouvelles autour des gares et points d’arrêts existants ou susceptibles d’être rouverts au trafic. Elle pourrait enfin s’abstenir de subsidier le développement du transport aérien sur son sol ou d’étendre encore un réseau routier déjà si long qu’il devient à peu près impossible à entretenir |25|.

Si l’on se prenait à rêver, il serait pourtant possible de transformer la politique ferroviaire en un levier privilégié d’aménagement du territoire, de cohésion sociale et de requalification urbaine. Du fait de ses performances |26|, le rail a en effet vocation à devenir l’épine dorsale d’un système intégré de mobilité capable de contrer les tendances fortes à l’atomisation spatiale et sociale générée par le développement routier et les formes de vie qui l’accompagnent. L’objectif devrait être d’inverser, partout où cela est possible, la tendance à l’émiettement urbain, à la multiplication tous azimuts des distances parcourues et à l’isolement social qui tend à en résulter |27|. Le recentrage progressif des activités humaines autour des pôles bien desservis par les transports en commun permet en effet de concevoir des services performants tout en maintenant sous contrôle les coûts d’exploitation. Dans le même temps, l’existence d’alternatives crédibles au tout à la voiture, ou au camion, couplée à des politiques volontaristes favorisant la qualité de vie en ville contribue à ramener habitants et activités économiques dans des environnements davantage urbains.

Pour ce faire, l’offre de transport devrait être définie non d’abord en fonction des contraintes d’exploitation ou en fonction de la séparation administrative entre les différentes entreprises de transport mais bien en fonction de l’expérience quotidienne des usagers, actuels mais également potentiels. À quels critères cette offre doit-elle satisfaire pour répondre aux besoins jugés les plus essentiels ? Cela nécessite un travail de pilotage politique sur la nature des services attendus et sur la hiérarchie des priorités. Cela demande également une participation plus large de la population à la définition de ces priorités. Ce n’est que dans un second temps qu’entrent en ligne de compte les contraintes d’exploitation que la planification dans le temps des investissements doit contribuer à lever progressivement, une fois défini les objectifs à atteindre.

Pour un réseau décentralisé

La remise à plat de la stratégie de la SNCB pourrait être l’occasion de mettre l’accent sur les transports locaux et le maillage des zones urbaines plutôt que sur les services interurbains. Mal aimés par le « grand » chemin de fer, considérés comme contraignants, coûteux et peu porteurs en termes d’image, largement invisibles pour les autorités de tutelle, les services locaux ont été systématiquement délaissés depuis des décennies. Passant après tout le reste à la fois dans les plans d’investissements et lors de la confection des horaires, ne venant à l’attention des responsables que lorsqu’il s’agit de supprimer des services, les trains et points d’arrêt. Ils sont de fait devenus très peu attractifs, conduisant ainsi à l’auto-réalisation des prophéties selon lesquelles ils n’avaient pas d’avenir.

Renverser la hiérarchie se justifie d’abord par la nécessité d’une opération de rattrapage |28|. De nombreuses expériences à l’étranger ont démontré que les services locaux et régionaux pouvaient trouver une nouvelle jeunesse et participer à l’attractivité et la cohésion des territoires desservis pour autant que des standards de qualité élevés soient respectés. Renverser la hiérarchie facilite ensuite le passage à une conception selon laquelle les transports en commun tirent leur force de leur organisation en réseau. Du point de vue de l’usager mais également de l’autorité publique qui les subventionne, c’est en effet la densité, la lisibilité et l’intégration de l’offre de transport qui rendent les modes de déplacement collectifs performants. Un maillage dense et une exploitation facilitant les correspondances, notamment à travers la mise en place des principes du cadencement en réseau, permettent de répondre à un plus grand nombre de besoins de déplacements pour une plus grande part de la population, sans nécessairement impliquer une hausse des coûts d’exploitation proportionnelle à l’accroissement des services rendus.

Il est alors possible de ne plus enfermer les transports publics dans la facilitation des seuls déplacements domicile - travail/école depuis quelques gares principales. Un réseau bien maillé permet d’aller chercher et de conduire les usagers au plus près de leurs lieux de vie et de répondre à une multiplicité de besoins. Incidemment, c’est aussi le meilleur moyen pour qu’une population plus large profite des services les plus performants offerts par le rail sur de plus longues distances. Il devient alors possible de parvenir à une utilisation plus continue et mieux équilibrée des infrastructures existantes.

Il s’agit également d’une stratégie cohérente de lutte contre les problèmes de congestion des infrastructures de transport. En diffusant les flux de voyageurs sur les gares secondaires bénéficiant elles aussi d’une desserte de qualité, un maillage fin permet d’éviter l’engorgement des environs des gares principales et l’utilisation des terrains les mieux connectés aux chemins de fer pour le remisage des voitures des navetteurs. Il limite aussi les entrées en ville dans le seul but d’aller prendre le train. En répondant à des besoins actuellement non, ou mal, rencontrés, un maillage fin permet d’accroître significativement la part modale des transports en commun, sans nécessairement surcharger les quelques tronçons du réseau déjà à la limite de la saturation, en particulier au centre de Bruxelles. Il rend le train pertinent pour des déplacements à l’intérieur des différentes zones urbaines du pays ainsi que pour des trajets n’ayant pas Bruxelles pour origine ou pour destination.

Enfin, un réseau bien maillé permet de limiter la pression foncière et les effets de dualisation territoriale et de précarisation des populations les plus excentrées. Il permet de soutenir des formes de vie qui évitent les travers engendrés par un trop grand éparpillement des activités humaines mais limite également les problèmes générés par une trop forte concentration des pôles d’attraction. Il s’agit en un sens de revenir, avec des moyens et des concepts renouvelés, à une trame qui a longtemps caractérisé les chemins de fer en Belgique.

|1| La clé prévoit une répartition stricte des investissements « localisables » entre la région flamande et wallonne. Echappent à la clé les investissements non localisables (le matériel roulant par exemple), les investissements sur le sol de la région bruxelloise ainsi que certains chantiers tirés de la clé après négociation (réseau TGV en ce compris ses prolongements sur le réseau intérieur, partie située en Flandre des lignes du RER vers Ottignies et Nivelles,…).

|2| Voir par exemple les déclarations récentes de Philippe Henry, ministre wallon de la mobilité, sur le plan d’investissements en cours de négociation : http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_ph-henry-le-plan-d-investissement-sncb-est-insuffisant-pour-la-wallonie?id=7908478

|5| Voir par exemple la déclaration de Charles Picqué, ministre-président de la Région bruxelloise : http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/665540/sncb-charles-picque-craint-pour-bruxelles.html

|6| La SNCB s’est ainsi montrée remarquablement indifférente aux solutions expérimentées à l’étranger dès lors qu’elles remettaient en question les préceptes de la maison : le cadencement en réseau développé en Suisse et au Danemark depuis les années 80 ou l’exploitation réussie de lignes régionales autrefois considérées comme moribondes en Allemagne et aux Pays-Bas notamment.

|7| À cet égard, l’utilisation anecdotique des lignes à grande vitesse entre Liège et l’Allemagne d’une part et entre Anvers et les Pays-Bas d’autre part est proprement hallucinante. Dans le premier cas, seule une dizaine de trains à grande vitesse l’emprunte chaque jour dans chaque sens. A côté des sept trains Thalys qui rallient Amsterdam, quelques navettes épisodiques, mises en place de mauvaise grâce par la SNCB, empruntent la ligne vers les Pays-Bas pour rallier Anvers depuis une gare nouvelle établie au nord est de la métropole le long de l’E 19. Vu le prix de la construction des lignes à grande vitesse, il s’agit là d’un gaspillage éhonté d’argent public.

|8| À titre d’exemple, on peut citer le remplacement des freins de voie de la gare de triage de Monceau, programmé, puis postposé, puis annulé, signant vraisemblablement ainsi l’arrêt de mort de la dernière gare de triage importante de Wallonie. A l’inverse, des travaux d’infrastructures ne garantissent aucunement la pérennité d’une activité : le renouvellement des infrastructures dans le faisceau de triage de Ronet, près de Namur, a eu lieu juste avant son abandon par la filiale fret de la SNCB. Source : « Le transport ferroviaire : un atout structurant pour la Wallonie », rapport du bureau d’études Tritel réalisé à la demande du Gouvernement wallon

|9| La SNCB pouvait à l’époque se prévaloir d’un rôle pionnier en la matière. La toute jeune SNCB avait en effet mis en œuvre la première desserte cadencée entre Bruxelles et Anvers lors de l’électrification de la ligne reliant les deux villes en 1935, puis entre Bruxelles et quelques autres grandes villes du pays dès la fin des années 30.

|10| La promesse d’un nouveau plan de transport par la SNCB pour 2014, si elle devait au départ être l’occasion d’une amélioration et d’un développement de l’offre, fait craindre la répétition du scénario de 1984 suivant lequel l’entreprise publique, à défaut d’avoir les moyens de tenir ses promesses, effectuerait sans le dire une nouvelle vague d’économies linéaires.

|11| Le nombre de voyageurs transportés s’est remis à augmenter significativement à partir de 1998. La combinaison de l’engorgement croissant de la capitale et de quelques autres villes du pays couplée à la prise en charge par de nombreux employeurs, dont l’Etat fédéral, du coût de l’abonnement entre le domicile et le lieu de travail a probablement joué un rôle significatif dans cette augmentation. Pour spectaculaire que fut ce renversement de tendance après des décennies d’effritement de la clientèle du rail, il n’ pas encore conduit à une augmentation significative de la part modale du train dans l’ensemble des déplacements mais uniquement à sa stabilisation. Celle-ci se situe autour de 7 %. Source : DG statistiques du SPF économie.

|12| Le modèle TGV développé par la SNCF fait l’objet d’une remise en cause grandissante, même en France : le financement et l’entretien des lignes nouvelles pèse lourdement sur les comptes du gestionnaire d’infrastructures et potentiellement sur la rentabilité de l’opérateur dès lors que le prix des sillons est amené à augmenter pour couvrir (une partie de) ces coûts, il a conduit à un manque récurrent d’entretien et d’attention dans le réseau conventionnel sauf obtention de financements régionaux complémentaires, il a entrainé une dégradation des dessertes interurbaines conventionnelles afin de doper la fréquentation des TGV.

|13| Le principal contrepouvoir opposé à la SNCB n’est pas venu dans le dossier RER des impulsions et du contrôle de la tutelle mais bien des autorités en charge de la délivrance des permis d’urbanisme et d’environnement.

|14| On est ainsi passé de 4, 342 à 2,435 millions de tonnes/kilomètres transportées par rail en Wallonie entre 1991 et 2009. Source : IWEPS.

|15| L’idée que le réseau ferroviaire belge est le plus densément utilisé au monde est une légende, certes répandue au sein même du groupe SNCB. Pourtant le nombre moyen de trains (voyageurs et marchandises) produits par km de réseau est de loin inférieur en Belgique (75) à ce qu’il est en Suisse (148), aux Pays-Bas (137) mais n’atteint pas non plus les niveaux de la Grande-Bretagne (87), de l’Allemagne(84) et du Danemark (84), sans parler du Japon ou de la Chine. Il est difficile de prétendre que tous ces pays ne connaissent pas également des difficultés d’exploitation et des points d’engorgements. Il n’est pas davantage possible de prétendre que ces pays n’ont conservé que les lignes interurbaines les plus rentables. A l’exception des Pays-Bas, c’est plutôt le contraire qui est vrai… Source : http://www.treintrambus.be/images/stories/2012.03.08_prsentation_ttb.pdf

|16| De même que, et c’en est même largement une conséquence, les tronçons centraux du métro bruxellois. Dans la ligne de ce qui s’est fait jusqu’ici, on risque d’être amené à dépenser des milliards d’euros pour élargir (ou approfondir) la jonction Nord-Midi afin d’amener des voyageurs envers et contre tout dans un goulot central dont il faudra les extirper à coup d’extension de la capacité du métro bruxellois, pour un paquet d’autres milliards d’euros. Ni la SNCB ni la STIB ne parviennent semble-t-il à appréhender les effets pervers d’un réseau trop centralisé sans parler des avantages de la coopération.

|17| Un exemple frappant de cette attitude est le total désintérêt de la SNCB pour la desserte urbaine et suburbaine d’Anvers, Liège, Gand et Charleroi sur les lignes existantes alors même que le contrat de gestion de la SNCB lui prescrit de l’étudier et de proposer des modalités d’exploitation en son article 10.

|18| Il faut pour cela évaluer le potentiel d’une desserte non seulement en fonction des gares directement desservies mais surtout en fonction de sa place au sein d’un réseau. Par exemple, la dorsale wallonne reliant Tournai à Liège via Mons, Charleroi et Namur devrait être empruntée non seulement par des voyageurs se déplaçant entre ces villes mais également, dans une bien plus grande mesure qu’aujourd’hui, par des voyageurs ne l’empruntant que sur une partie de leurs parcours mais complétant leur trajet sur des lignes qui lui sont connectées. Ainsi, des voyageurs se rendant de Ath à Namur, de Mons à Wavre, de Charleroi à Dinant ou de Namur à Verviers l’emprunteraient en bien plus grand nombre s’ils disposaient de correspondances efficaces, fréquentes et sûres à Mons depuis Ath, à Charleroi pour Wavre, à Namur pour Dinant et à Liège pour Verviers et de temps de parcours totaux raisonnablement attractifs. Un schéma d’exploitation qui rendrait ces trajets attractifs doperait la fréquentation de lignes existantes très loin d’être saturées. Cela justifierait en retour les investissements nécessaires à la mise en place d’un cadencement en réseau et à une amélioration des performances sur des lignes aujourd’hui cantonnées à un rôle de desserte locale. Les exemples de liaisons pour lesquelles le rail pourrait offrir des alternatives crédibles alors que ce n’est pas le cas aujourd’hui peuvent être multipliés.

|19| La fréquentation et la qualité des infrastructures tend à diminuer au fur et à mesure que l’on s’éloigne de Bruxelles, et ce d’autant plus que la ligne se termine en cul de sac et offrent peu de correspondances. Un maillage plus fin du territoire et des nœuds de correspondance efficaces permettent par contre d’utiliser plus massivement la ligne pour des trajets dont Bruxelles n’est pas un point de départ ou d’arrivée. C’est la philosophie derrière la proposition de la réactivation graduelle d’une transbrabançonne ferroviaire. Voir http://transbrabanconne.be

|20| En ce compris les lignes de rocade traversant la région bruxelloise, les gares susceptibles de servir de nœuds de correspondance en amont de la jonction nord-midi et les lignes, encore existantes ou trop vite déferrées, située en grande ceinture. L’exploitation efficace de ces différentes options permettrait pourtant de répondre à la fois à des besoins mal rencontrés aujourd’hui et à la fois d’éviter des correspondances dans les gares de la jonction Nord-Midi pour des voyageurs en transit, en offrant des trajets alternatifs plus courts.

|21| Surtout si les coûts d’investissements dans les infrastructures (lignes nouvelles pour le TGV, gares nouvelles pour les filiales en charge de leur valorisation commerciale,…) ne sont pas, ou seulement partiellement, à la charge des opérateurs.

|22| Autour de 800 morts par an. Source : IBSR.

|23| Voir la présentation synthétique du plan d’investissement à la Commission d’infrastructures de la Chambre des représentants, désormais disponible sur le site web de la SNCB holding : http://www.sncb-holding.be/groupe-sncb/plan-d-investissement

|24| La principale politique de la SNCB consiste à remplacer progressivement son matériel à simple étage par du matériel à double étage afin d’absorber la clientèle d’heure de pointe sans devoir faire rouler davantage de trains.

|25| La région wallonne détient des records en la matière avec près de 24 000 km de route par million d’habitants, soit plus de 60 % de plus que la moyenne belge et près de 250 % de plus que la moyenne européenne… Source : IWEPS.

|26| Une voie double électrifiée dotée d’une signalisation moderne possède aisément la capacité de transport d’une autoroute de deux fois trois bandes, tout en étant nettement plus parcimonieuse en termes de consommation d’espace, de vies humaines et d’énergie et tout en générant moins de pollution (bruit, particules fines,…).

|27| Il faut tenir compte de l’isolement des publics précarisés qui n’ont pas accès à la voiture en raison de son coût mais également en raison de leur âge ou d’autres fragilités. De manière plus sournoise, il faudrait également tenir compte de l’isolement, notamment des femmes, naissant dans bien des lotissements et cités dortoirs. Il faudrait encore envisager le peu de contacts de voisinage qui se tissent entre les habitants le long des voiries fort fréquentées (en raison du bruit et du danger).

|28| La commande récente de rames automotrices de type Desiro destinées à remplacer le matériel aujourd’hui utilisé sur les services omnibus est un signe encourageant à cet égard. Pour la première fois depuis des décennies, la SNCB a investi des sommes considérables dans du matériel spécifiquement dédié à des dessertes locales. Encore faudra-t-il veiller à ce qu’elles soient effectivement affectées à cet usage. Les positions prises par la direction de la SNCB quant aux économies à réaliser, visant une nouvelle fois les trains, les gares et les lignes locales « non rentables » sont par contre beaucoup plus inquiétantes.

Cette publication a reçu le soutien
du ministère de la culture,
secteur de l'Education permanente

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