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Le chaînon manquant

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dimanche 17 mai 2009

Lecture

Capitalisme et urbanisme

Géographie de la domination

Recension : David Harvey, Géographie de la domination, Les Prairies Ordinaires, 2008, 118 p.

17 mai 2009 - par Olivier Starquit

Sous ce titre accrocheur, cet ouvrage englobe en fait deux essais de David Harvey, un géographe d’origine britannique qui a effectué l’essentiel de sa carrière aux États-Unis, où il enseigne encore à l’université de New York.

Dans le premier intitulé L’art de la rente, il s’intéresse tout d’abord à l’espace urbain comme révélateur du champ d’exercice du capitalisme, tentant d’en comprendre les ressorts. En effet, pour David Harvey, « la ville a toujours été le lieu naturel de réinvestissement du surproduit et, par conséquent, le premier terrain des luttes politiques entre le capital et les classes laborieuses avec pour enjeu le droit à la ville et ses ressources » |1|.

Harvey choisit de développer la notion économique de rente de monopole appliquée à la ville. Ainsi, « les villes doivent élever leur degré de capital symbolique et accroître leur marque de distinction afin de mieux accroître leur prétention à l’unicité, source de rentes de monopole » |2|. Ce capital symbolique des villes est ainsi exploité par les différents acteurs locaux, et il part du cas connu du musée Guggenheim de Bilbao : comment comprendre l’engouement qu’il a suscité et comment comprendre que ce projet ait attiré des financements internationaux ? Ensuite, à travers l’exemple de Barcelone, Harvey montre que chaque ville tente de mettre en avant ses biens culturels, ses atouts propres tant sur le plan de l’histoire locale, de l’architecture que des traditions. Mais, ce faisant, cette politique portée par des acteurs locaux (élus, entrepreneurs, artistes, etc.) conduit paradoxalement à provoquer une uniformisation des villes dans le monde, chacune tentant d’imiter l’autre et perdant du même coup ses signes de distinction. Ce qui induit ce qu’il appelle par ailleurs la disneyification, soit cette marchandisation multinationale homogénéisante. Ainsi, chaque ville portuaire promeut désormais un développement artistique de ses docks et c’est ainsi que Barcelone ressemble désormais à Londres ou à Liverpool. Harvey dénonce par là la capacité du capitalisme à s’approprier jusqu’aux « différences culturelles locales » pour asseoir sa dynamique.

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David Harvey

L’espace urbain comme l’espace régional sont le lieu d’une compétition acharnée ; En somme, si le capitalisme parvient à dépasser ou à retarder ses crises, c’est notamment, nous dit Harvey, grâce à ses ruses géographiques, à son incroyable capacité à se déplacer et à réorganiser ses espaces. On pense bien sûr aux délocalisations d’entreprises, mais l’histoire du capitalisme apparaît aussi comme une incessante diminution des temps de déplacement grâce aux moyens de communication, ce que Marx décrivait comme l’« annihilation de l’espace par le temps ».

Et la question qui se pose est celle de savoir quelle région, quelle aire géographique devra en subir les effets dévastateurs. Il y a aujourd’hui, outre la lutte des classes, une lutte des espaces ou des territoires, une compétition entre espaces régionaux, dont l’enjeu est l’exportation du chômage ou de l’inflation.

Dans cette logique, le marché opère une valorisation paradoxale de l’unique, de l’authentique, du particulier — autant de dimensions de la vie sociale qui sont tendanciellement incompatibles avec l’homogénéité que présuppose la production marchande. Et le dilemme qui se pose est le suivant : soit « approcher de la commercialisation pure au point de perdre les marques de distinction qui sous-tendent les rentes de monopoles ou construire des marques de distinction si singulières qu’elles sont difficiles à exploiter » |3|.

Au sein de ces espaces — et notamment au sein des lieux culturels et artistiques instrumentalisés par les nouvelles instances de « l’entrepreneurialisme urbain » — peuvent donc aussi naître de nouvelles formes de résistance, prometteuses à condition qu’elles refusent de s’enfermer dans le particularisme étroit et mercantile qui leur est assigné : « Le problème des mouvements oppositionnels est de savoir utiliser la validation du particulier, de l’unique, de l’authentique, des significations culturelles et esthétiques de façon à ouvrir des alternatives et des possibilités nouvelles. » Car, en cherchant à exploiter les valeurs que sont l’authenticité, le local, l’histoire, la culture, la mémoire collective et la tradition, les capitalistes ouvrent un espace propice à la pensée politique et à l’action : un espace ouvert « à la construction d’une mondialisation alternative, une mondialisation où ce seraient les forces progressistes de la culture qui s’approprieraient celles du capital et non l’inverse » |4|.

|1| David Harvey, « Le droit à la ville », in Revue internationale des Livres et des Idées, n° 9, janvier-février 2009, p. 35.

|2| David Harvey, Géographie de la domination, Les Prairies Ordinaires, 2008, p. 45.

|3| David Harvey, op. cit, p. 51.

|4| David Harvey, op. cit, p. 55.

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