Roulons pour le « pouvoir d’achat »,... mais à vélo !
Carte blanche parue dans le journal Le Soir, 5 juillet 2008, par François Schreuer, Jean-Baptiste Godinot, Réginald de Potesta de Waleffe, Bernard Dehaye, Véronique de Potter, Claire Scohier, Tom Grimonprez, Michèle Gilkinet, Pierre Eyben
La baisse du « pouvoir d’achat », qui est pour le moment au centre des préoccupations médiatiques et politiques, est un problème réel pour un nombre croissant de ménages : beaucoup d’entre nous ont de plus en plus de difficultés à payer facture énergétique ou déplacements... sans parler du loyer ou de la nourriture qui sont aussi de plus en plus chers.
Pourtant, nous pensons que plusieurs des « solutions » qui sont avancées aujourd’hui dans le débat public n’en sont pas : réduire la fiscalité sur l’énergie ou subventionner la consommation des énergies fossiles ne constituent en rien des réponses structurelles à la crise. On peut comprendre la volonté des syndicats de trouver d’urgence une solution. Mais dans un contexte où la demande de pétrole dépasse l’offre, ces mesures constituent une fuite en avant et mènent à une pression inflationniste. En réduisant les moyens de l’Etat et en incitant à la poursuite des comportements énergivores — et en différant de la sorte l’adaptation de nos comportements et de nos modes de production —, ces prétendues « solutions » annoncent des lendemains terriblement difficiles. Sans compter que soutenir l’achat d’énergie fossile par les ménages, favoriser l’achat de voitures « propres » ou défiscaliser les carburants professionnels, entre autres choses, revient in fine à verser une subvention aux majors du pétrole, pourtant déjà enrichis au-delà de toute mesure |1|.
Nous pensons au contraire que la solution au problème du « pouvoir d’achat » se trouve d’une part dans la modification de notre mode de vie et d’autre part dans la redistribution des richesses. Il n’y a pas à tergiverser, nous allons devoir apprendre à consommer moins et à valoriser plutôt la sphère immatérielle que la consommation matérielle : « moins de biens, plus de liens », pourrait être le slogan d’un avenir possible. Dans ces conditions, pour garantir à chacun l’accès aux ressources de base, il faudra que les plus nantis réduisent fortement leur train de vie.
La baisse du « pouvoir d’achat » pose en effet de façon aigüe la question des besoins. On peut ainsi s’interroger : le pouvoir d’acheter quoi ? Pour certains, il s’agit d’acheter des biens de première nécessité alors que pour d’autres, il s’agit de garantir un niveau de confort qui, en regard de la situation des plus défavorisés en Belgique et dans le monde, n’est pas autre chose que l’expression d’un privilège.
Ce que nous réclamons des pouvoirs publics, c’est que, bien plus qu’aujourd’hui, ils jouent, par l’impôt et les services publics, leur rôle de redistribution des richesses — soit exactement l’inverse de ce qu’a fait, par ses réformes fiscales successives, le ministre des finances, M. Reynders — mais aussi qu’ils rendent possibles, facilitent et encouragent les choix de vie qui réduisent notre consommation d’énergie et nous permettront de ne plus dépendre, d’ici quelques années, des énergies fossiles.
Les transports représentent ici un enjeu crucial (ils dépendent à 98 % du pétrole). Nous voulons notamment que les pouvoirs publics favorisent de manière volontariste l’usage du vélo, notamment en limitant la vitesse des voitures en ville à 30 km/h et en exigeant la construction d’espaces de rangement adéquats dans toutes les nouvelles constructions. Remplacer la voiture par le vélo, c’est, pour un ménage, faire jusqu’à plusieurs centaines d’euros d’économie par mois. Bien sûr, ce n’est pas toujours facile ni même possible. C’est pour cela qu’un changement de priorités dans la politique de mobilité est nécessaire : pour faire en sorte que chacun d’entre nous ait réellement le choix de son mode de transport.
Au-delà des mesures d’urgences et afin de ne pas laisser dans le froid l’hiver prochain un nombre grandissant de Belges modestes, nous demandons que soit mis en oeuvre, dès cet automne, un plan d’urgence d’isolation des habitations. Nous voulons que le kérosène soit enfin taxé, de façon à ce que le prix du billet d’avion reflète effectivement la nuisance environnementale que représente ce mode de déplacement. Nous exigeons une amélioration nette de l’offre de transports en commun, tant en qualité qu’en quantité — ce qui suppose d’investir massivement dans les chemins de fer pour augmenter la capacité du réseau local et national —, la limitation de l’usage de la voiture en milieu urbain et la restriction de la voiture de société à un usage strictement professionnel. Nous demandons enfin l’arrêt définitif de la construction de nouvelles infrastructures routières.
Bien sûr, la mutation que nous devons opérer ne se fera pas sans redistribuer largement les cartes : certaines activités, comme le transport routier ou l’aviation, sont destinées à réduire significativement leur volume d’activité. Le rôle des pouvoirs publics est de faciliter la transition sociale et économique et notamment la reconversion des personnes qui travaillent dans ces secteurs. Pourquoi pas, par exemple, par un vaste plan d’embauche de chauffeurs de camions par la SNCB dans le cadre de la réouverture de lignes de chemins de fer ?
Pour faire valoir notre point de vue, nous roulerons à vélo dans les rues de Bruxelles et de Liège ce samedi 5 juillet |2| : un jour symbolique, puisque c’est le premier samedi des soldes. Et les soldes symbolisent la contradiction à laquelle nous sommes confrontés. Pour les ménages les moins favorisés financièrement, elles sont l’occasion d’acheter à petit prix des biens autrement inaccessibles. Pour les autres, la majorité, elles sont le climax de la compulsion d’achats vite obsolètes, entretenus par une logique consumériste qui nous pousse à acheter toujours plus, sans fin.
Il est possible, collectivement, de surmonter le défi énergétique et la crise sociale d’une façon respectueuse de l’environnement et socialement juste ; mais il est plus que temps de s’y mettre. À vélo !
|1| Au point de constituer une menace économique et démocratique, par exemple par la constitution de fonds « souverains » et la par la financiarisation de l’économie que ceux-ci encouragent.
|2| Rendez-vous à 14h sur l’esplanade St Léonard à Liège et sur la place de la Monnaie à Bruxelles.
Au nom de leurs associations respectives : Pierre Eyben - À Contre Courant, Véronique de Potter - Bruxelles Air Libre, Tom Grimonprez – Cyclonudista, Reginald de Potesta de Waleffe - Futur ? Présent !, Bernard Dehaye - Gracq, Michèle Gilkinet – Grappe, Claire Scohier - Inter-Environnement Bruxelles, Jean-Baptiste Godinot – Respire, François Schreuer – StopCHB.be.
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7 commentaires reçus
"De nombreuses villes françaises ont fait un progrès « fulgurant » de modernisation au service du citoyen et de l’économie en investissant dans un projet concret de mobilité, structurant dans l’aménagement du territoire. Le (vrai) tramway moderne apporte un plus indéniable, et même bien davantage : une chance de revitalisation de la ville. Il ne concerne pas seulement de grandes métropoles, à titre exemplatif, Le Mans (200000 habitants), Valenciennes se tournent aussi résolument vers l’avenir."
la suite :
http://www.gtf.be/gtf_lettre_ouverte_liege.html
Cette « carte blanche » représente une illustration intéressante de la confusion idéologique et programmatique qui s’empare peu à peu d’hommes et de femmes « de gauche », confrontés à la crise écologique et aux conséquences sociales de la hausse du coût de la vie (générée, notamment, par l’explosion des prix des matières énergétiques).
Laissons de côté la discussion sur l’utilisation du vocable « pouvoir d’achat », qui est un concept puisé dans le bric-à-brac de l’idéologie dominante, et qui est destiné à camoufler le véritable débat : celui concernant la question des salaires (revenus) et de la répartition des richesses.
Les auteurs de cette tribune libre utilisent d’ailleurs les guillemets de circonstance. A dessein, sans doute…
Ce qui suit, par contre, est nettement plus curieux.
Cette contribution, comme d’autres, procède à un télescopage entre ce que l’on dénomme des « mesures d’urgence » et ce qu’ils appellent de leurs vœux : des « mesures structurelles ».
Les premières n’ont pas pour but de résoudre la crise « climatologique » ; elles visent, plus modestement, à tenter d’apporter une bouffée d’oxygène financière à la population laborieuse qui connaît des difficultés matérielles croissantes. Ni plus, ni moins !
On ne peut donc que s’interroger au sujet de la charge menée contre la revendication syndicale de réduire le taux de TVA sur les produits pétroliers de 21 à 6 %. Une mesure accusée, pêle-mêle, de favoriser le recours aux énergies fossiles, d’affaiblir le financement de l’Etat et d’alimenter l’inflation !
Il faut redire ici que la fiscalité indirecte est la fiscalité la plus socialement injuste, car elle frappe de la même manière tous les citoyens, aisés et moins aisés, riches ou pauvres.
Une exigence qui devrait être portée par une gauche digne de ce nom est, par conséquent, la suppression pure et simple de la TVA et autres accises. Combinée, évidemment, avec le redéploiement d’une fiscalité directe réellement progressive, ainsi que des mesures fortes telles une réelle chasse à la fraude fiscale et l’instauration d’un impôt sur la fortune. Et complétée aussi par l’arrêt des cadeaux de toute nature aux puissants de cette société, patronat en tête (intérêts notionnels, réductions à répétition des prétendues « charges », etc.)
L’impôt « juste » est le meilleur garant d’un financement correct de l’Etat, et c’est le plus équitable car il fait contribuer chacun/chacune selon ses moyens.
Pour le reste, ce n’est évidemment pas le niveau d’une « taxe sur la valeur ajoutée » qui est responsable de la pression inflationniste et encore moins des choix du mode de production capitaliste en matière de recours massif au pétrole !
Malheureusement, ces propos expéditifs traduisent également une vision politique et/ou philosophique plus inquiétante.
Derrière ce type de dénigrement apparaît implicitement une conception inquiétante : ce sont « les gens » qui sont responsables de la dégradation environnementale actuelle ; ils doivent dès lors changer leurs comportements et pour les aider dans cette voie rien ne vaut des contraintes financières (comme payer des taux de TVA élevés sur les énergies honnies pour dissuader ces vilains d’en consommer autant) !
Il est évidemment plus facile de culpabiliser le citoyen lambda en exigeant qu’il change de mode de vie plutôt que de lutter pour changer… le système !
Mais personne ne sera dupe. L’austérité « verte » n’est pas différente de l’austérité « rose » (de la social-démocratie) ou de l’austérité « bleue » (de la droite libérale) : ce sont toujours les travailleurs et les allocataires sociaux qui passent à la caisse tandis que le « capital » continue à ramasser la mise !
Pour revenir à notre « revendication syndicale », est-il si difficile de comprendre ce qu’elle représente concrètement pour un grand nombre de personnes ? Imagine-t-on ce que cela signifie aujourd’hui de remplir sa cuve à mazout, par exemple pour les 15 % de la population qui doivent vivre avec un revenu inférieur à 900 € ? Le calcul n’est pourtant pas difficile à effectuer. Pour l’achat de 1000 € de l’onéreux combustible, le fait de payer 210 € (si 21 % de TVA), 60 € (Si 6 % de TVA) ou zéro € (si suppression de la TVA) n’est naturellement pas une question secondaire ou sans impact pour le portefeuille de la majorité.
Cette décision est susceptible de redonner rapidement quelques moyens financiers supplémentaires à des hommes et des femmes dans la détresse, parfois obligés de restreindre leur budget nourriture ou leur budget loisirs !
Encore une fois, elle n’a d’autre ambition que celle-là, et certainement pas celle de « solutionner » la crise écologique…
Car pour celle-ci, il faut effectivement des mesures structurelles durables d’une tout autre nature.
Néanmoins, certaines ambiguïtés doivent également être levées ici.
Car la lecture de cette « carte blanche » laisse à penser que ces mesures radicales sont praticables dans le cadre du « mode de production et de consommation » actuel, et qu’il existerait donc une possibilité d’assister à l’avènement d’un « capitalisme vert » !
Comme le rappelait récemment l’économiste Michel Husson, il s’agit là d’une illusion : « le capitalisme est un système économique où les choix de société sont tranchés par des intérêts privés, à travers des mécanismes de marché : ce qui est bon pour la rentabilité du capital est bon pour la société. (…) En laissant faire le tout-marché, nous allons à la catastrophe ».
Inutile de tourner autour du baril de pétrole : si l’on veut que l’humanité survive, il faudra dépasser le capitalisme.
Désormais, le combat social (contre l’exploitation des êtres humains) et le combat écologique (contre l’exploitation de la nature) doivent aller de pair ; ils ne doivent pas être opposés l’un à l’un contre l’autre.
Al@in Van Praet
Délégué syndical CSC
PS1 : les signataires de cette tribune entonnent joyeusement le refrain du « consommer différemment », de la « modification du mode de vie », de la « valorisation de la sphère immatérielle au détriment de la consommation matérielle ». Pour résumer leur point de vue à ce sujet, ils ont recours à une formule non dénuée de poésie : « moins de biens, plus de liens ». On les suivrait aisément sur ce terrain s’ils se montraient un peu plus précis sur la signification profonde de ces envolées. On est d’autant plus méfiant qu’un peu plus loin ils ajoutent un couplet négatif sur la protection de notre « niveau de confort » et sur notre pouvoir de satisfaire des besoins illusoires, « expression d’un privilège ». On ne peut se contenter de formules générales et sympathiques dans ce débat. Il faut être concret et dire de manière explicite ce que cela veut dire une modification du mode vie ou de consommation. Faut-il renoncer à disposer d’un toit ou à s’habiller pour se protéger des intempéries ? Faut-il se nourrir moins ? Faut-il abandonner la possibilité de mettre ses enfants aux études ? Faut-il faire une croix sur l’accès à la culture ? Faut-il renoncer à la possibilité de partir en vacances à l’étranger ? L’électricité ou l’accès à l’eau potable sont-ils devenus un luxe impayable ? On suppose qu’ils nous répondront par la négative parce qu’ils ne veulent pas (encore ?) remettre en cause les acquis des luttes des générations qui nous ont précédées ! Mais alors, quoi ? Supprimer les appareils électroménagers ? Se passer de machine à laver, de frigo et de congélateur ? Jeter les postes de télévision, les radios et les ordinateurs (avec internet) dans des containers de recyclage ? Reléguer le téléphone au musée des souvenirs ? Détruire les véhicules privés (à moteur) ? Pour la clarté et la crédibilité du débat , des précisions seraient les bienvenues, histoire de ne pas acheter un chat (ou plutôt un projet politique) dans un sac…
PS2 : l’hostilité envers la revendication d’une baisse des taux de TVA aura au moins un supporter dans le gouvernement. Didier Reynders, le champion de la lutte contre la « rage taxatoire », ne veut en effet pas entendre parler de cette mesure. Et pour cause : elle serait favorable aux plus faibles, les millionnaires n’ayant que faire de pécadilles comme les taux de TVA.
PS3 : du côté d’Ecolo, certains poussent même la coquetterie plus loin. On pourrait utiliser les recettes de cette TVA pour investir dans les travaux de rénovation et d’isolation des maisons, par exemple. Ainsi, ce serait la collectivité, et en premier lieu les travailleurs, les chômeurs et les allocataires sociaux, qui financeraient ces nécessaires mesures structurelles. Et pas le capital. Diable, il ne faudrait surtout pas lui imposer des « charges » supplémentaires qui nuiraient à la « compétitivité » de « notre » économie (lisez : qui nuiraient au taux de profit !).
PS4 : des mesures structurelles sont incontournables. La divergence ne porte pas sur le principe. Mais il est indispensable d’expliquer que la mise en œuvre de telles mesures (pour autant que cela soit possible dans le cadre d’une économie tournée vers la recherche du profit maximum à court terme, voir plus haut) va prendre du temps. Car il faudra construire ou reconstruire ce qui a été détruit pat le capitalisme pendant des décennies. L’exemple des transports en commun est éclairant à ce sujet. Oui, il faut une offre attractive et vaste en la matière pour pouvoir disposer d’une alternative crédible à la voiture. Mais ouvrir et retaper toutes les gares fermées, restaurer les lignes qui ont été abandonnées, augmenter le parc de trains, etc. ne va pas se faire en 6 mois (une fois que la volonté et la décision politiques seront au rendez-vous, ce qui est loin d’être le cas maintenant) ! Il en va évidemment de même pour le développement d’infrastructures pou les cyclistes, l’isolation de millions de maisons, l’abandon total des énergies fossiles (et du nucléaire) et leur remplacement pas des énergies alternatives (solaire, …). Et, en attendant, désolé, ce n’est pas à « ceux d’en bas » de payer une fois de plus la note, alors qu’ils subissent déjà depuis 30 ans des cures d’austérité sans fin…
PS5 : attention à d’autres dérives. Si baisser un taux de TVA favorise l’inflation et conforte chacun dans ses « mauvais » choix de consommation, que dire alors de la revendication d’augmentations salariales ? Ceux qui revendiquent le salaire minimum à 1500€/net et une augmentation généralisée de 300 € pour les travailleurs, seront-ils accusés de pousser les gens à consommer toujours plus et plus mal ? Seront-ils pointés du doigt parce qu’ils veulent stimuler l’inflation ? Quand on met la main dans l’engrenage de l’austérité financière, on a beaucoup de difficultés à la retirer ensuite…
Je lis avec intérêt votre réaction à notre texte, réaction dont
cependant les termes — dois-je le dire ? — ne me surprennent pas. Je
serais intéressé d’en discuter avec vous ou avec d’autres dans un cadre
qui le permette (je ne sais pas à qui vous avez transmis ce texte). Je
vous fais néanmoins la brève réponse suivante.
Je trouve d’abord que vous faites une lecture à charge assez discutable
de notre texte. Vous nous accusez par exemple de favoriser une fiscalité
inéquitable tout en oubliant par exemple que nous nous prononçons
clairement pour un système fiscal qui permette à chacun de disposer des
biens de base et qui réduise nettement le train de vie des plus riches.
Il est clair que nous ne réfléchissons pas dans le même cadre de pensée,
vous et nous ; notre ambition égalitaire n’en est pas pour autant
contestable en soi. Mais soit.
L’essentiel tient dans le débat sur la fiscalité indirecte, laquelle est
effectivement injuste puisqu’elle s’apparente à un impôt forfaitaire,
non proportionnel aux revenus dès lors que les quantités consommées sont
similaires - et a fortiori non progressif. Il faut cependant nuancer :
la fiscalité indirecte n’est, selon mon point de vue, injuste que
lorsqu’elle porte sur les biens de base, dont toute la population a un
usage courant et nécessaire. Il est à mon avis légitime que la
collectivité dissuade, par une fiscalité indirecte élevé, l’achat de
certains biens qui ne relèvent pas de cette catégorie — notamment pour
des raison écologiques. J’avoue qu’un certain amalgame est fait dans ce
débat entre TVA et taxe carbone. Je préférerais pour ma part remplacer a
TVA par une taxe explicitement dédiée à la sortie de la civilisation du
carbone et modulée en fonction de cet objectif. Comme vous le savez, on
ne peut cependant pas tout dire dans les quelques milliers de signe
d’une « carte blanche ».
Toute la question est donc de savoir si les énergies fossiles relèvent
ou non de cette catégorie des biens de base. Et à cette question, il
semble que la réponse ne nous appartient pas ou plus mais est à présent
déterminée par la rareté de la ressource, un fait de nature sur lequel
nous n’avons guère de prise : 1° le pétrole n’étant plus abondant, 2°
les moyens pour en consommer moins étant disponibles, il va falloir
d’une façon ou d’une autre en dissuader l’achat et le remplacer par
autre chose si l’on veut éviter le mur. À cet égard, d’ailleurs, je me
demande sérieusement quelles réponses vous préconisez à la question
écologique (au-delà de la dénonciation un brin millénariste du
« système ») — et si d’ailleurs vous en prenez bien la mesure... (en
matière de boussole, j’aurais moi aussi pas mal de jugement tranchés à
proférer ici).
Mais cela ne vous convainc sans doute pas. Prenons donc plutôt votre
exemple chiffré : un ménage modeste paye aujourd’hui 1000 + 210 EUR pour
remplir sa cuve. En réduisant la TVA, on réduit sa facture de 150 EUR.
Ce qui n’est, nous sommes d’accord, pas négligeable. Dans trois ans, le
prix du baril a, mettons, doublé et (considérons pour la facilité des
chiffres, que la répercutons est totale sur le prix final) le ménage
dont nous parlons doit maintenant payer 2000 + 120 EUR, soit 910 de plus
qu’auparavant, malgré la mesure que vous préconisez. Si à l’inverse, on
peut, par des mesures d’isolation, réduire la consommation de ce ménage
de moitié et plus (ce qui est techniquement tout à fait faisable), on
offre une réponse bien plus pérenne à la crise tout en dégageant en sus,
à court terme, des marges susceptibles de financer cet investissement
(si cette année, sa facture est de 500 au lieu de 1000 euros, on peut
imaginer lui demander 250 de contribution au prix de l’isolation). Les
moyens étant en effet limités (réduire la TVA sur l’énergie représentera
une réduction annuelle de l’ordre du milliard d’euros des recettes de
l’Etat), on est bien obligé de choisir.
Car, vous m’excuserez, mais je n’entends pas dans le débat public les
défenseurs de la réduction de la TVA coupler leur revendication à la
ré-instauration des tranches supérieurs de l’impôt sur les personnes
physiques, démantelées par le gouvernement sortant, ou à l’instauration
d’un impôt sur les revenus du capital, seules mesures susceptibles de
compenser de manière juste la baisse des recettes de l’Etat. Tout juste
est-il question d’un très fumeux plafonnement de la consommation de
mazout au-delà duquel la réduction de TVA ne s’appliquerait plus,
plafond dont je me demande encore comment il est techniquement
réalisable sans que Big Brother ne s’en mêle. Conséquence : cette
réduction de la TVA, si elle a lieu, coûtera extrêmement cher tout en
ayant très peu d’effets. En matière de fiscalité indirecte, réduisons
donc plutôt la TVA sur les biens alimentaires de base ou sur le
logement.
Je clos provisoirement ce courriel en étayant un brin l’idée — qui
paraît dérisoire à vos yeux — que nous avançons selon laquelle les
mesures de soutien à la consommation de pétrole sont inflationnistes :
dès lors que 1° l’élasticité de la demande de pétrole est très faible
(sa consommation baisse à peine alors que le prix a triplé en quelques
années), que 2° l’offre ne semble pas pouvoir beaucoup varier (que ce
soit par la politique des pays de l’OPEP ou surtout par le pic de
Hubbert qui est peut-être — probablement — déjà franchi) et que 3° le
pétrole est incorporé dans chaque production à un niveau hallucinant
(par le transport, par les intrants phyto-sanitaires dans l’agriculture,
par les plastiques...), il est bien évident qu’une réponse au choc
pétrolier soutenant la demande ne peut qu’alimenter l’inflation et donc
ruiner ses propres efforts. Et bien entendu, l’augmentation du prix du
pétrole à laquelle nous assistons et contribuons profite principalement
aux majors du pétrole et à quelques pays producteurs ultra-enrichis,
dont l’essentiel des bénéfices vient directement alimenter la
financiarisation la plus outrancière de l’économie — notamment via les
fonds souverains — et donc la régression sociale. Le « système », pour le
coup.
Amicalement,
François Schreuer
PS : Il est bien évident que le fond du débat porte sur la nature du
capitalisme et celle de la réponse qu’il convient de lui apporter. Car
je crois que nous sommes d’accord, in fine : il n’y aura pas d’écologie
sans contestation frontale du capitalisme. N’empêche : en disant cela,
on n’a encore rien dit. En particulier, je ne suis pas d’accord avec la
dissociation totale que vous faites entre « le système » et « les gens »,
comme si le capitalisme était exogène à notre mode de vie. Non, le
capitalisme, c’est aussi « nous » (cf. Arnsperger) au sens où le « citoyen
lambda », comme vous dites, est à certain égards, lui aussi, un dominant,
par la consommation qu’il a des ressources de la planète, à un niveau
beaucoup plus élevé que ce qu’une distribution égalitaire de ces
ressources permettrait. Autrement dit, si « les gens » veulent habiter un
quatre-façade énergivore et avoir deux ou trois bagnoles par ménage,
oui, ils sont aussi responsables de la crise écologique.
Bonsoir, Cher François Schreuer,
Effectivement, il s’agit d’un débat d’ampleur qui ne peut être limité dans un échange de mails.
Quelques réflexions, cependant.
1. A partir du moment où l’on ne se situe pas dans une perspective de rupture avec le capitalisme (et vous êtes évidemment libre de considérer que cette perspective est un "brin millénariste"), on se condamne à faire payer -d’une manière ou d’une autre- les "crises" par la population (crise économique, crise sociale, crise écologique, etc.).
Ainsi, il y a longtemps que la social-démocratie a intégré l’idée que le système capitaliste était la fin de l’histoire. Il y a longtemps qu’elle a abandonné tout projet "socialiste" digne de ce nom et toute volonté transformatrice de la société. Et il y a longtemps qu’elle gère, avec la droite, l’Etat (capitaliste) et qu’elle met en œuvre des politiques d’inspiration libérale et de franche austérité pour le plus grand nombre. Le syndicaliste que je suis n’a pas oublié le "plan global" ou le "pacte des générations", pour ne prendre que deux tristes exemples parmi tant d’autres ! Les "écologistes" ou les "décroissants" (je ne sais quel terme utiliser pour ne froisser personne) vont-ils suivre la même logique concernant la problématique de la crise environnementale ?
2. Vous admettez que la TVA est la plus injuste des taxes (difficile de dire le contraire à moins de s’appeler Didier Reynders !) mais vous introduisez aussitôt des "nuances" qui brouillent votre message. Je considère pour ma part que cette fiscalité indirecte doit être supprimée, parce que profondément inégalitaire. Et je considère que ce n’est pas la TVA qui constitue l’instrument adéquat pour redistribuer la richesse, ou si vous préférez pour "aller chercher l’argent là où il se trouve" ou pour faire "payer la crise aux riches". Pour cela il existe -entre autre- la fiscalité directe, qui doit être redéployée de manière différente comme je l’indique clairement dans mon texte.
3. Etablir une distinction entre "biens de base" et les autres n’épuise en rien la question. Qui va définir et qui va décider ce qu’est un "bien de base" ? Le gouvernement de Monsieur Leterme ? La FEB ? Les organisations syndicales ? Le gouverneur de la Banque Nationale (celui qui gagne 500000 €/an) ? Les citoyens, par référendum ? Les signataires de la carte blanche ? Permettez-moi quand même de vous dire que considérer que le combustible pour pouvoir se chauffer ne serait pas un de ces "biens de base" (un "produit de luxe", alors ?) est un tantinet osée. Bien sûr, on peut regretter que les énergies fossiles occupent une place prépondérante dans le mode de production actuel. Mais c’est le produit d’un processus historique et du développement d’un système sur une longue période, et présenter aujourd’hui la facture à des hommes et des femmes qui sont, sous de multiples aspects, les victimes de ce système, n’est pas défendable pour tout qui se réclame de la "gauche" !
4. Il est par ailleurs piquant de constater que le seul moyen efficace prôné pour "dissuader" les gens d’acheter du pétrole ou pour les pousser à changer de comportement est la contrainte financière. Une réponse monétaire qui cadre bien avec l’acceptation (résignée ou non) du capitalisme...
5. Les chiffres. Une quantité donnée de mazout coûte aujourd’hui 1000 €. Si vous payez 21 % de TVA, vous payez 210 €. Par contre, si vous payez 6 ´%, vous payez 60 €. Différence = 150 €, soit une somme importante pour beaucoup. Demain, selon votre hypothèse, ce prix double (ce qui sera sans doute le cas vu, notamment, l’explosion de la demande de la part de pays comme la Chine, l’Inde, etc.) : pour la même quantité, le coût passe à 2000 €. 21 % sur 2000 € = 420 €. 6 % sur 2000 € = 120 €. Différence = 300 € ! Vous pouvez prendre la question comme vous le voulez, mais payer 6 % de TVA sera toujours moins élevé que payer 21 % de TVA. Et ne rien payer comme fiscalité indirecte serait encore plus intéressant !
6. Cette mesure, mise en avant par le mouvement syndical, c’est-à-dire par le plus grand mouvement social de ce pays, n’a pas la prétention d’être la panacée universelle ou la solution avec un grand S à la crise écologique. Il s’agit d’une mesure (parmi d’autres, comme naturellement des augmentations de salaire que nous essaierons d’arracher lors de la négociation du prochain accord interprofessionnel !) destinée à répondre de toute urgence à des situations de détresse. Car c’est maintenant (le 8 juillet 2008, pas le 8 juillet 2025) que les travailleurs, avec ou sans emploi, les allocataires sociaux ou les plus pauvres (1500000 personnes doivent vivre avec moins de 900 €/mois) ont besoin d’un coup de pouce pour tenir le coup. Nous vivons, en effet, une situation où des gens se privent de nourriture pour pouvoir se chauffer (la question se posera de nouveau avec beaucoup d’acuité une fois l’été passé !) !
7. Les mesures structurelles, pour réduire la consommation ou s’orienter vers d’autres énergies ? Incontestablement ! Mais il faut dire la vérité à ce sujet : en admettant même qu’il est possible de mettre en œuvre des mesures qui vont heurter de plein fouet la logique capitaliste de la recherche du profit maximal à court terme, ces mesures vont demander du temps et de l’argent pour être mises en œuvre. On ne vas pas isoler 1000000 de maisons en 6 mois, et surtout se pose la question du financement de ce vaste chantier. Qui va passer à la caisse ? Les ménages ? Ou les possédants ? Car contrairement à ce que vous affirmez, les moyens ne sont pas "réduits" et l’on est pas obligé de choisir entre deux solutions misérables ! Mais bien sûr, j’en reviens à mon premier point, vous savez celui qui est un "brin millénariste" : il faut alors avoir la volonté politique d’affronter le capital et de redistribuer différemment la richesse produite collectivement ! Les profits des entreprises n’ont jamais été aussi élevés (je travaille dans une entreprise du Bel 20 qui a elle seule réalise 950 millions € de bénéfice net sur une année, soit plus de 37,5 milliards d’anciens francs belges !), les revenus financiers prospèrent, les salaires des top managers explosent et les actionnaires se frottent les mains quand ils examinent la courbe de leurs dividendes. Ajoutons à cela une grande fraude fiscale de plusieurs dizaines de milliards € et les cadeaux à répétition offerts aux entreprises, et nous aurons un panorama de la société extraordinairement riche et extraordinairement inégalitaire dans laquelle nous vivons.
Il est alors désolant de constater que certains, à gauche, se limitent à monter des échafaudages financiers alambiqués parce qu’il faut bien composer avec la volonté du capital et que l’on ne peut faire autrement. Mais je vous pose la question : qui est vraiment "réaliste" : ceux qui pensent que l’on résoudra la crise écologique en "respectant" le capitalisme ou ceux qui estiment que cette "solution" ne pourra faire l’économie d’une rupture avec ledit capitalisme ?
8. Les gens sont bien "responsables" de la crise écologique, dites-vous, puisqu’ils ne sont pas extérieurs au capitalisme, qu’ils vivent dans des maisons 4 façades et qu’ils roulent à voiture (mais quel luxe indécent !). Vous auriez pu ajouter qu’ils prennent aussi l’avion pour voyager dans le monde et visiter ses merveilles, ce qui est intolérable (d’où l’idée d’un "coût-vérité", exprimée dans la "carte blanche", qui aurait pour conséquence pratique de réserver l’utilisation de cet engin volant aux businessmen, aux stars du sport et du cinéma, aux riches ! Dorénavant, les autres admireront sans doute les chutes du Niagara, l’Acropole, ou le Teide sur des cartes postales ou dans les documentaires de la télévision, s’ils ont encore le droit d’avoir ce bien de consommation... ). De la même manière, on pourrait dire que les gens sont responsables de l’existence du...capitalisme puisqu’ils ne le "renversent" pas, qu’ils sont responsables des guerres puisqu’ils ne les empêchent pas, ou qu’ils sont responsables de la misère du monde puisqu’ils s’en accommodent ! C’est évidemment faire fi du poids de l’idéologie dominante et des représentations idéologiques, des mécanismes d’aliénation et du "fétichisme de la marchandise" à l’œuvre, etc. Mais combattre ceux-ci revient aussi à combattre le capitalisme et nous revoilà plongé dans le millénarisme...
9. Votre boucle est ainsi bouclée : à partir du moment où "les gens sont responsables", il n’est pas illégitime qu’ils en subissent des conséquences et qu’ils en paient le prix. Ce qui n’empêchera pas la bourgeoisie (je sais, c’est un concept ringard) de dormir sur ses deux oreilles et ce qui ne m’empêchera pas de penser, pour ma part, que "la Commune n’est pas morte".
10. Ma conclusion, provisoire, est qu’il y a un orientation à trancher, dans ce débat comme dans d’autres débats politiques : être 100 % à gauche ou être 100 %... "ailleurs".
Amicalement,
Alain Van Praet
Bonsoir,
Quelques réponses à votre courriel :
1. Concernant la distinction que je préconise entre bien de base et bien
de luxe, elle est évidemment sujette à discussion. Mais peu importe où
elle se fixera (le parlement votera là-dessus comme sur d’autres
choses). Sur le principe, il me semble légitime de ne pas appliquer le
même raisonnement fiscal à un sac de pommes de terre et à une voiture de
course (je suis favorable à l’abolition de toute fiscalité indirecte sur
le sac de pomme de terre, pas sur la voiture de course). Bien sûr que le
chauffage est un bien de base, mais le pétrole n’est pas le seul moyen
d’avoir chaud l’hiver. Et dans la mesure où le pétrole est de moins en
moins disponible, il faut le remplacer par autre chose (et les solutions
sont nombreuses pour y arriver, en particulier l’isolation des
logements).
2. La contrainte financière est-elle la seule manière de dissuader à la
consommation d’énergie fossile ? Non, sans doute pas. Mais c’est une
d’entre elles et sans doute la principale et peut-être même
potentiellement la plus juste en ce qu’elle s’applique à tout le monde
de la même façon tout en laissant le choix du bien à substituer. Je ne
la trouve donc pas illégitime. Surtout, je n’assimile argent et
capitalisme : contrairement à ce que vous prétendez, toute logique
monétaire ne vaut pas acceptation du capitalisme (cf. G. Simmel,
Philosophie de l’argent). Le monde auquel vous aspirez est-il dépourvu
de monnaie ? Pas le mien. La monnaie est un facteur de liberté, qui
permet d’autonomiser les individus, de leur permettre l’affectation de
leur revenu sans avoir à en référer à une quelconque autorité. L’enjeu
politique me semble tenir dans sa répartition (car la valeur de l’argent
est intrinsèquement relative) et le contrôle des phénomènes
macroéconomiques nuisibles qu’elle engendre (l’inflation notamment, la
spéculation, la thésaurisation capitalistique) plutôt que son
annihilation.
3. Vous affirmez, si je cous comprends bien, que la baisse de la TVA est
préférable à l’isolation des logements, même dans l’hypothèse d’un
doublement du prix de pétrole à court terme - alors que le résultat net
pour le consommateur final est probablement nettement préférable dans
l’hypothèse de l’isolation. Alors là, je ne vous comprends plus...
Sincèrement, je ne parviens pas à lire dans cet argument autre chose que
du déni.
4. Oui, la situation est très difficile pour beaucoup de monde ; je sais
bien. Mais j’ajoute que la situation sera encore bien pire d’ici un,
deux ou cinq ans si le pétrole continue à grimper (j’ai l’impression que
vous ne vous en rendez pas compte, mais l’alimentation de tous, je veux
dire la disponibilité de l’alimentation pour tous, est compromise à
moyen terme si on continue sur le même régime qu’actuellement - je ne
parle même pas de la possibilité de se déplacer dans un territoire qu’on
a façonné pour que la voiture soit indispensable). Il faut intégrer cela
aussi dans le raisonnement : ne pas uniquement se préoccuper de
l’immédiat, mais aussi de la durée. Les raisonnements d’urgence sont
souvent dangereux, ils affectent la clarté de la vue. On a mieux à faire
d’un milliard d’euros dans le budget de l’Etat que de l’affecter à une
baisse de la TVA, qui sera avalée en quelques mois d’augmentation des
prix et profitera essentiellement à Total, Shell, BP et cie...
5. Certes, on n’isolera pas un million de maisons en quelques mois. Par
contre, on peut déjà faire un sacré pas en avant, en ciblant les moyens
sur les personnes qui en ont le plus besoin. Quel financement ? Je pense
que le tiers-payant est la solution la plus crédible pour dégager
massivement des moyens très vite - couplé à un soutien aux ménages les
plus précarisés (avec le milliard d’euros que vous voulez injecter dans
la TVA).
6. Concernant les voyages en avion, dont vous préconisez la
démocratisation, ce que vous ne voyez pas, manifestement, c’est que ce
sont _déjà_ les riches qui ont le privilège d’aller voir l’Acropole ou
les chutes du Niagara : à l’échelle de la planète, ils représentent un
pourcentage très minoritaire de la population.
Deux précisions à ce sujet :
- Les voyages en avion sont profondément nuisibles à
l’environnement et les bénéficiaires de ce mode de transport
n’assument aujourd’hui qu’un pourcentage infime du coût de cette
nuisance. Demander que le carburant aérien soit taxé au même
titre que, par exemple, le mazout de chauffage (et on est encore
loin du "coût vérité"), me semble relever de la plus élémentaire
décence. Mais même cela vous contrarie.
- Si on devait donner à chaque humain l’occasion de voir
l’Acropole et les chutes du Niagara (ce qui serait
matériellement impossible), si on devait, disons, donner à tous
les humains le droit de faire du tourisme intercontinental, la
planète ne s’en relèverait tout simplement pas.
7. Notre divergence me semble provenir essentiellement des définitions
que nous donnons respectivement du capitalisme. À mes yeux, le
capitalisme "nous" est endogène, il trouve ses racines dans nos
représentations, nos désirs, notre façon de penser (lire l’excellent
"Rêves de droite" de Mona Chollet). Il est à bien des égards
l’expression de notre moi social névrosé. Sa contestation est donc
surtout un travail sur nous-même. Bien sûr, certains sont plus en pointe
que d’autre, mais vous pourrez exproprier tous les millionnaires, toute
la bourgeoisie, le capitalisme n’en rejaillira pas moins, et plus fort
qu’avant. Certes, nous sommes les victimes de ce système, mais à ne nous
penser que comme victimes, nous passons à côté de l’essentiel.
Pour conclure, j’aimerais souligner que même si elle est difficile, je
trouve cette discussion particulièrement importante : je perçois une
très claire contradiction entre deux parties de la gauche, dont nos
positions respectives sont schématiquement représentatives. Je suis
convaincu que la création d’une nouvelle force politique à gauche
passera par le dépassement de cette contradiction. Vous vous estimez
"100% à gauche" estimant que je serais "100% ailleurs". J’ai quant à moi
l’impression inverse - que c’est en réfléchissant à long terme et en
interrogeant nos propres contradictions que nous pourrons réellement
construire une politique de gauche - mais il est bien évident qu’il est
préférable que nous ne nous dévalorisions pas mutuellement si nous
voulons tenir une discussion sereine.
Amicalement,
François
Bonsoir,
Eh bien continuons la discussion (après j’irai dormir car je travaille demain !)
1. Le pétrole n’est pas le seul moyen de se chauffer et il faudra le remplacer ? Oui, mais cela ne pourra pas se faire sur un claquement de doigt. Et dans l’immédiat, que font les gens qui ont un chauffage à mazout, par exemple, et qui ne peuvent plus remplir leur cuve faute de moyens financiers ?
2. La contrainte financière est la plus juste parce qu’elle "s’applique à tout le monde de la même façon" ??? Vous oubliez un petit "détail" : tout le monde n’a pas les mêmes revenus ! La "liberté de choix", que vous brandissez, existe peut-être pour celui qui gagne 15000 €/mois, pas pour celui qui en gagne 1500 (ou moins !) ! Qu’un tel "argument" puisse être avancé par quelqu’un qui se réclame peu ou prou de la "gauche" en dit long sur la "confusion idéologique et programmatique" que je soulignais dans ma première réaction ! Contrairement à vous, je trouve donc cette approche totalement illégitime !!!
Pour ce qui concerne la monnaie, je milite effectivement pour un monde où l’Etat, les classes sociales et la monnaie auront dépéri. Mais je laisse de côté ce débat "millénariste"...
3. Je n’affirme absolument pas ce que vous dites. Depuis ma première intervention, j’insiste au contraire sur la distinction à opérer entre des mesures financières d’urgence visant à aider les gens qui sont dans la m... et des mesures structurelles destinées à combattre la crise découlant du réchauffement climatique. Baisser la TVA ne vise donc pas à se substituer à l’isolation des bâtiments (quelle absurdité !), mais à donner tout de suite un coup de pouce à tous ceux qui ont du mal à "nouer les deux bouts" et qui n’ont pas le temps d’attendre des "lendemains écologiques meilleurs" !
4. Apporter des réponses dans l’urgence n’est pas incompatible avec la réflexion sur le plus long terme. Mais le problème que vous esquivez est le financement des mesures structurelles durables. Vous persistez en fait à défendre l’idée que l’essentiel de ces coûts doit être supporté par "ceux d’en bas" et non par "ceux d’en haut", sous prétexte que l’Etat n’aurait que de faibles moyens (vous en restez au milliard € de la TVA). Alors que l’argent existe en surabondance, mais que cela implique d’aller le prendre là où il se trouve. On revient ici à la question des choix politiques !
5. L’isolation des maisons doit être financé par la puissance publique, via des prélèvements fiscaux sur les compagnies pétrolières, le capital et les nantis. Sans quoi, pour beaucoup, cela ne sera pas réalisable. En outre, l’isolation réduit la consommation mais ne la supprime pas. J’habite une maison qui a été isolée, avec double vitrage : cela ne m’a pas empêché de devoir dépenser quelque 4000 € de chauffage au cours des douze derniers mois (TVA de... 21 % comprise) ! Certes, c’est moins qu’auparavant, mais cela reste lourd pour un budget de salarié moyen...
6. Pour le moment, il n’y a pas que les riches qui voyagent en avion, même si ceux-ci l’utilisent plus, plus souvent et pour des destinations plus lointaines. Ce qui est édifiant, on en revient au point 3, c’est la réponse purement financière à la question. Les utilisateurs de l’avion devront dorénavant payer beaucoup plus, ce qui dans la pratique réservera ce moyen de transport à une minorité de nantis ! Je note d’ailleurs cet aveu intéressant : de la même manière que certains affirment que "nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde" (dans la "problématique de l’immigration"), vous affirmez tranquillement que l’on ne peut permettre à chaque être humain de voyager librement dans le monde. Restent donc les seuls privilégiés. Nous revoilà en quelque sorte de retour au moyen-âge, où seules la noblesse et les chevaliers (nobles en armes) pouvaient se déplacer à cheval, tandis que tous les autres, manants et vaste piétaille, devait se contenter de leur pieds...
7. Nous n’avons effectivement pas la même définition du capitalisme et des réalités qu’il recouvre. Votre interprétation est de l’ordre de la métaphysique et repose sur des concepts "psy" curieux (notre "moi social névrosé" ; diantre !), alors que je défends une analyse "matérialiste" de l’histoire et du devenir de ce mode de production. Mais cette discussion théorique n’a pas lieu d’être ici, surtout à cette heure avancée de la nuit ! Disons simplement que dans la pratique la lutte contre le capitalisme doit aller bien au-delà d’un travail "d’introspection personnel". Mais j’imagine que vous n’avez que faire de la "lutte des classes" et du combat pour changer de fond en comble les "rapports sociaux" ?
8. Ce débat est utile. Mais j’ajoute, sereinement, qu’il ne faut pas entretenir l’illusion que l’on peut rassembler tout le monde sous une même bannière. Il existe selon moi des "lignes de démarcation" à gauche, comme la "rupture avec le capitalisme" et l’indépendance totale par rapport à toutes les forces qui se situent dans le cadre de ce "système". Comme le disait avec beaucoup de pertinence Raoul Marc Jennar (dans le débat lancé en France par Olivier Besancenot et ses amis autour de la construction d’un "nouveau parti anticapitaliste") : "ce projet implique une cohérence qui est la seule garantie contre les dérives et les déceptions inévitables lorsque l’on met ensemble des contraires. (...) On ne rassemble pas ceux qui veulent adoucir le capitalisme et ceux qui veulent le dépasser".
Bref, la discussion, certainement ! Mais dans la clarté, sans langue de bois et en toute franchise. Comme notre échange de mails, je crois...
Alain
Bonsoir,
Quelques réponses :
1. Ce qui se passe, pour le moment, alors que la situation est loin d’être critique (malgré la crise, l’humanité continue à disposer d’une richesse jamais vue à aucun autre moment de son histoire), c’est qu’on ne prend pas le quart du dixième des mesures qui seraient nécessaires à préparer la suite (le récent printemps de l’environnement du gouvernement fédéral et les mesures ridicules qui en sont sorties en est l’illustration la plus récente autant que pathétique). C’est surtout ça qui est effrayant. Le désastre social qu’on prépare pour dans quelques années n’a absolument aucune commune mesure avec ce qui se passe pour le moment.
2. Ce qui est injuste, ce n’est pas que la contrainte s’exprime notamment sous forme monétaire, mais que la richesse monétaire soit tellement mal répartie. Et, je vous en prie, arrêtez de sous-entendre toutes les deux phrases que vous représentez la vraie gauche tandis que nous ne sommes que des égarés en pleine "confusion idéologique et programmatique". Ca finit par devenir vraiment fatiguant et ce n’est absolument pas favorable à la discussion. Une question au passage : considérez-vous qu’André Gorz était lui aussi en pleine "confusion idéologique et programmatique" ?
Je ne pense pas que le débat sur la monnaie ou le futur souhaitable doive être laissé de côté, bien au contraire. C’est justement là que se trouve l’essentiel du débat. Je ne pense résolument pas qu’un monde sans monnaie soit souhaitable (de même que je pense que les classes sociales existeront toujours, peut-être sous d’autres formes, et que l’Etat sera toujours nécessaire pour jouer un rôle de régulation). Même si c’est long et que les échanges électroniques ne se prêtent peut-être pas très bien à cela, je serais heureux que vous m’expliquiez en quoi vous n’êtes pas d’accord avec moi.
Concernant le débat sur la monnaie, encore un mot. Quelle alternative, concrètement, est disponible pour l’allocation des biens au niveau de la société ? Comment fait-on, pragmatiquement, pour répartir des biens aux personnes (qui désirent plus de biens qu’il n’y en a, par construction) ? Au niveau local, micro, volontaire, il existe des réponses solidaires et intelligentes (je participe à un SEL ainsi qu’à un GAC, c’est quelque chose qui m’intéresse) et je suis très favorable à leur développement mais à mon sens aucune n’est adaptable au niveau de la société sans que cela devienne insupportablement liberticide. Au passage, comment faites-vous pour organiser l’allocation planifiée des biens sans Etat ?
3. Nous n’avons pas contesté le principe d’une intervention d’urgence (relisez le texte de la carte blanche). Simplement, réduire le montant de la TVA, ce n’est pas une mesure d’urgence ; c’est une mesure linéaire (qui bénéficie à tous, y compris à ceux qui n’en ont pas besoin), difficile à obtenir (il faut une décision européenne) et qui, une fois obtenue, durera dans le temps, même quand une politique plus structurelle aura pu être mise en place. C’est donc une mauvaise mesure. À tout prendre, je préfère nettement un chèque énergie à destination des bas revenus : c’est facile à faire, ciblé sur les gens qui en ont besoin, et facilement adaptable par la suite en fonction des autres politiques qui seront menées.
4. Je trouve que vous tombez (encore) dans le procès d’intention. Vous semblez quasiment convaincu que nous sommes les alliés des détenteurs du capital mondial. Curieux... Avez-vous lu d’autres textes émanant des signataires de ce texte allant dans ce sens ? Bien évidemment qu’il faut redistribuer les richesses, bien évidemment qu’il faut taxer le capital, bien évidemment qu’il faut lutter contre les inégalités effarantes que nous connaissons aujourd’hui. Pour ma part, je pense que, pour l’essentiel, cela ne se fera pas au niveau belge, ni même au niveau des vieux états-nations. Le seul endroit où il est possible de mener une politique fiscale réellement égalitaire, c’est l’Union européenne. Il n’y a pas besoin de faire un dessin sur l’impasse dans laquelle nous sommes enfoncés avec les traités européens qui rendent littéralement illégale une politique de gauche digne de ce nom. C’est là que nous devons porter le fer.
6. Concernant l’accès de tous aux voyages en avion ou à d’autres biens et services extrêmement énergivores, je n’affirme pas que cela sera impossible parce que je le souhaite mais parce que c’est une donnée de fait. Vous confondez complètement le registre normatif et le registre descriptif (ce qui assez caractéristique, soit dit en passant, de certains courants gauchistes pour lesquels "tout étant politique", la description de la réalité l’est aussi, systématiquement et par principe, en conséquence de quoi tout constat empirique qui ne satisferait pas aux exigences théoriques ou politiques sera taxé de différents qualificatifs peu amènes). Je répète, donc : compte-tenu des ressources disponibles, il n’est matériellement pas possible de faire circuler 10 milliards d’individus en avion. Si même cela était possible, dans l’état actuel de la technique, cela reviendrait ni plus ni moins qu’à un suicide. Je dois dire que je suis terrorisé de voir à quel point vous ne semblez pas prendre conscience de ce que signifient les phénomènes climatiques et écologiques actuellement en cours sur notre planète. Vous rendez-vous compte que c’est rien moins que la survie de l’humanité qui est en jeu ? Vous rendez-vous compte que si le système climatique résiste encore, il n’est pas très loin d’un emballement, sous l’effet des boucles de rétroaction qui vont s’enclencher (libération du méthane du pergélisol, diminution sérieuse du rôle de régulation thermique des océans, perturbation de la circulation thermohaline,...) ? Vous rendez-vous compte que la réponse humaine à ce défi est parfaitement dérisoire ? Que la conséquence de cette désinvolture sera sans doute des centaines de millions de morts (principalement dans le Tiers-Monde), d’innombrables réfugiés climatiques... ? Dans ce contexte, défendre le droit pour chacun à aller voir l’Acropole ou les chutes du Niagara est inconcevable à mes yeux, irresponsable à un degré indicible, génocidaire par ignorance.
Ah oui, une précision encore : si, trois fois si, à l’échelle mondiale, il n’y a que les riches qui voyagent en avion (la question des rapports Nord-Sud a l’air de ne pas beaucoup vous préoccuper ou je me trompe ?). Quand on a une empreinte écologique trois fois supérieure à ce qu’on devrait avoir, on est un dominant, qu’on le veuille ou non.
7. Non, mon interprétation de la nature du capitalisme n’est pas de l’ordre de la métaphysique. Bien au contraire. Le capitalisme a colonisé jusqu’à nos façons de lire le monde, de nous organiser, de penser, de rêver. Je dis simplement qu’il n’y a pas d’antiapitalisme sans remise en question de notre sphère "intérieure". En particulier, un anticapitalisme productiviste est un contre-sens parfait, un cul-de-sac, un fourvoiement. Pour le reste, bien sûr qu’il y a une lutte des classes, dominants et dominés, exploiteurs et exploités,... ça n’a rien d’incompatible avec ce qui précède (simplement, ces catégories ne sont plus suffisantes, elles n’épuisent pas la réalité de la situation). Où lisez-vous donc que je n’en ai "que faire" ? Dites-moi...
8. Non, vous ne pouvez pas élever des murs si facilement, surtout en fantasmant largement les opinions de vos interlocuteurs. L’union de la gauche n’est pas une option, c’est un devoir. Elle est difficile, incroyablement difficile, mais elle est indispensable.
Je ne me reconnais pas dans les théories dites "révolutionnaires" parce que je pense que la "révolution" prônée par ces théories est la plupart du temps un concept vide, qui dispense de penser, qui repousse la question politique à plus tard, à "après" ; quand elles n’alimentent pas carrément une politique du pire qui est la chose la plus abjecte qu’on puisse faire en politique. Et pourtant, je pense que les idées gorziennes d’assèchement progressif de la sphère capitaliste, de reconstruction progressive de la sphère autonome sont bien plus transformatrices que tout ce que les marxistes rigoristes ont jamais pu imaginer.
Bonne nuit,
François
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Le collectif est composé des représentants des réclamants de Fléron, Soumagne, Trooz et Chaudfontaine, du Comité de
Quartier de La Brouck, du Collectif Quel Pont Pour Tilff (QPPT), des initiateurs de la Pétition « Oui au Tram ! Non à l’autoroute ! » (devenue urbAgora), de Vesdre Pêche et Nature, du Gracq Liège, du Groupement CHB asbl, de Natagora. Il est soutenu par Inter-Environnement
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