Baroud d’honneur des bétonneurs ?

La raison serait-elle en train de prendre le dessus dans le dossier « Cerexhe-Heuseux/Beaufays » ? Les signaux positifs se multiplient en tout cas pour alimenter l’hypothèse — que nous n’évoquons cependant ici qu’avec la plus extrême prudence.

Après les déclarations du ministre Antoine le mois dernier — selon lequel « Liège a nettement plus besoin d’un bon transport en commun que d’un nouveau tronçon autoroutier » |1| —, celles, encore plus nettes, du ministre Lutgen incitent à l’optimisme. Invité sur les ondes radio de la RTBF le 22 mai |2|, il précise d’abord sur le fait que, concernant CHB, « la décision n’est pas définitive », expliquant que « l’étude d’incidence doit être revue en fonction des éléments [donnés par l’Europe] ». Il insiste : « En termes de priorités politiques, entre le tram à Liège et la liaison autoroutière, il faut d’abord faire le tram à Liège » ; déclarations répétées en télévision plus tard dans la journée.

Ces prises de position sont complètement nouvelles. Elles témoignent du début d’une salutaire prise de conscience au sein du monde politique quant à l’urgence sociale et écologique à laquelle nous faisons face aujourd’hui. Elles modifient sérieusement la situation. Les tenants de la politique rétrograde du tout-à-la-voiture et de la bétonisation générale ne semblent pas s’y tromper puisqu’ils sortent (enfin) de leur réserve pour défendre, tant que faire se peut, leur projet.

C’est en particulier le cas du ministre Daerden qui annonce dans Le Soir du 21 mai |3| un calendrier aberrant pour la réalisation de cette autoroute : « Cette demande de permis continue pour le moment à faire des allers-retours entre les services du fonctionnaire délégué de la Région wallonne et le cabinet du ministre Antoine, qui est compétent pour délivrer le permis. J’espère l’avoir dans trois ou quatre semaines, avant les vacances. À ce moment-là, on pourra alors lancer les adjudications publiques et commencer les travaux, d’une durée de quatre ans, au premier semestre 2009. » Bref, rien de changé aux yeux de M. Daerden : alors que l’autoroute est remise en cause de tous côtés, son objectif reste de rendre la décision irréversible. Vous avez dit précipitation ?

À notre argumentaire favorable au développement des alternatives à la voiture, notamment les transports en commun, le ministre rétorque : « Le développement économique doit-il passer par les brouettes ? » Nul doute qu’une telle réplique va convaincre très largement... Quant à l’étalement urbain inévitablement consécutif à l’implantation de la nouvelle autoroute — unanimement pointé du doigt par les scientifiques —, M. Daerden, imperturbable, explique comme on aurait pu le faire voici un demi-siècle : « Tant mieux si la liaison crée de l’activité économique. Tout le monde en profitera. »

Le reste est à l’avenant, le ministre n’hésitant pas à travestir des données factuelles des études pour asseoir sont point de vue : il affirme par exemple que CHB réduira « de 10 à 15 %» le trafic dans le tunnel de Cointe. Ce chiffre est inexact : il s’agit de 10 à 15% du trafic de transit, lequel ne représente que 20 à 30% du trafic total sur la liaison |4|. Erreur ou manipulation ? Dans les deux cas, il y a matière à s’interroger...

Rappelons donc que pendant qu’une éminence ministérielle lévite joyeusement, un « Plan urbain de mobilité » (PUM) est actuellement — et pour quelques mois encore — en cours de réalisation à Liège, que ce « PUM » a très clairement pour rôle d’« évaluer des hypothèses avec et sans CHB » ainsi qu’il a été précisé lors de son dernier comité de pilotage en réponse à une question du représentant du Gracq. Il est à nos yeux absolument inacceptable que le ministre Daerden se permette de court-circuiter cette étude comme il est, d’après ses propres déclarations, en train de le faire.

Ce coup de force serait d’autant plus dommageable qu’avec l’absence désormais actée de financement du FEDER pour le tram, les discours selon lesquels il est possible de faire « à la fois le tram et CHB » viennent de prendre un peu plus encore de plomb dans l’aile — en conséquence de quoi ce que M. Daerden se propose de faire, c’est ni plus ni moins qu’enterrer le tram liégeois.

Enfin, ce 27 mai, toujours dans Le Soir, Jean-Pierre Grafé, expliquant craindre un changement de position au niveau wallon sur CHB, fait quant à lui la déclaration suivante : « Nous avons promis à Elio Di Rupo de respecter l’accord de 2004 sur Mons 2015 en lui demandant de respecter l’accord sur la réalisation de la liaison autoroutière CHB ». On peinera évidemment à trouver une quelconque réflexion sur l’intérêt général dans cet arrangement de marchands de tapis. À Liège, on vend la culture contre du béton...

Dans ces conditions :

— Nous appelons M. Demotte à sortir du silence dans le dossier « CHB » et, en cohérence avec l’« écologie sociale » qui constitue à présent un élément central du programme de son parti, à rappeler M. Daerden à l’ordre, notamment en ce qui concerne le respect des exigences européennes et celui de la procédure lancée avec le PUM.

— Nous appelons à la tenue d’un grand débat télévisé réunissant promoteurs, opposants et experts en vue de sortir enfin du dialogue de sourd qui grève ce dossier. L’ampleur des sommes en jeu (400 millions HTVA pour l’autoroute, plusieurs centaines de millions pour un tram |5|) et le caractère désormais clairement symbolique de ce dossier justifient pleinement la tenue d’un tel débat en télévision.

— Nous demandons au gouvernement de cesser de recourir aux procédures d’extrême-urgence qui ne sont en rien justifiées et contreviennent, par leur usage systématique, à l’esprit sinon à la lettre de nos institutions démocratiques. Nous demandons également une étude socio-économique globale indépendante sur la mobilité en pays de Liège liée notamment à l’affectation des sols, pour débat et prospective, avant toute prise de décision dans les divers projets envisagés ou à l’étude.

— Nous en appelons plus que jamais à l’établissement d’un moratoire sur l’autoroute Cerexhe-Heuseux/Beaufays, seul à même de ramener de la sérénité et du dialogue dans ce débat.