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Liaison autoroutière « CHB » : la Wallonie s’empêtre dans des choix dépassés

Carte blanche parue dans le journal Le Soir, 6 décembre 2007, par Jean-Pascal van Ypersele, Jacques Teller, Caroline Lamarche, Pierre Ozer, André Ruwet, Pierre Leprince, Jean-Luc Outers, Jean-Pierre Pécasse

Magnétique, l’affiche mobilisatrice pour la marche « Ensemble pour le climat et la solidarité » de ce 8 décembre à Bruxelles, ces humains nus convergeant vers notre planète à protéger. Superbe symbole qui ne doit pas nous faire oublier l’avertissement placé en tête d’affiche : « Ça commence ici ». « Ici », on nous le répète, c’est ma maison où je peux fermer le robinet, visser des ampoules économiques, baisser le chauffage, placer du double vitrage.

Mais il y a un autre « ici » : notre beau coin d’Europe, nos villes et nos campagnes. Et là, pour Noël, le gouvernement wallon s’apprête à déposer un énorme cadeau dans nos petits souliers. Un truc neuf ? Non, vieux de presque un demi-siècle. Pas trop crade ? De luxe au contraire : 400 millions d’euros. Au moment de la conférence de Bali sur le changement climatique, ça a à voir avec le climat ? Mais oui ! Et c’est… ? Un permis de construire. Des canaux, des voies ferrées, des trams ? Non. Une nouvelle autoroute.

Cela se passe à l’est de Liège, au cœur d’un poumon vert. Dans la foulée, on prévoit des zonings et des centres commerciaux, au grand dam de la ville de Liège qui a assorti son soutien au projet de vœux pieux : qu’on ne disperse pas les pôles d’activité, qu’on cesse de déplacer les gens vers la périphérie, qu’on ne construise rien le long de ce nouvel axe, ceci afin d’éviter l’aggravation de la péri-urbanisation si préjudiciable à la prospérité de la cité.

Ce qu’on nomme « liaison CHB » (Cerexhe-Heuseux-Beaufays) serait, selon le ministre Daerden, un « chaînon manquant européen ». Or, l’Europe, qui a décidé de ne consacrer à la route que 2,7 % de son budget Transports 2007-2013 — priorité au rail — ne reprend pas ce tronçon autoroutier dans sa liste. Oui mais, souligne-t-on, on en parle depuis trente ans ! Justement : jusqu’à quand s’obstinera-t-on à réaliser des projets conçus au temps de la voiture reine et du pétrole bon marché ? Oui mais, assène-t-on encore, CHB désengorgera la ville de Liège. Franchement, qu’a-t-on fait jusqu’à présent pour dissuader les voitures de pénétrer en ville ? Où reste la piste cyclable sur le boulevard d’Avroy remis à neuf il y a trois ans pour le départ du Tour de France ? Où restent les mesures dissuasives sans lesquelles, selon les spécialistes, même une nouvelle autoroute ne résoudra rien du tout ? Et surtout, où est l’étude globale qui permettrait de chiffrer les déplacements et les besoins sur l’ensemble de l’agglomération ? Enfin, comment passer sous silence l’avis défavorable rendu par le Conseil wallon de l’environnement pour le développement durable (CWEDD). Et ce que nous révèle l’Etude d’incidence réalisée en vue de l’octroi du permis, à savoir :

— « 7 sites de grand et de très grand intérêt biologique seront partiellement ou totalement détruits » (p. 278). « Le réseau Natura 2000 sera affecté par la liaison (p. 312) qui bouleversera le paysage. »

— « CHB touchera gravement les agriculteurs » (p. 440) et « altérera la qualité de la vie des habitants » (p. 548). « Aucun plan de relogement n’est encore prévu pour les riverains expropriés » (p.548).

— « À l’encontre des principes de développement durable (p. 553), si CHB se fait, il faut craindre une accentuation de la péri-urbanisation (p. 898). »

— « CHB ne va pas entraîner d’amélioration de la mobilité au niveau de la liaison sous Cointe et de la traversée de la ville de Liège » (p. 599). « CHB ne résoudra pas non plus le problème de l’accès à l’Est de la région liégeoise ni celle de la traversée de Fléron » (p. 620). « Il semble plus juste de parler de statu quo : sans mesures dissuasives, le trafic de transit perdurera » (p. 898).

Bref, pour un projet pharaonique, beaucoup de risques et de graves incertitudes. La commune de Fléron l’a compris, qui demande un moratoire sur le projet. Pour ne pas se lancer tête baissée dans une réalisation que l’on risque de regretter. Pour consacrer les millions d’euros à une mobilité durable. Pour dégonfler quelques vieilles outres du genre : la construction d’une nouvelle autoroute serait source de prospérité économique.

Il serait plus honnête de dire que cela creusera encore la dette wallonne. Que CHB coûtera très cher en entretien et en nuisances sociales et environnementales. Qu’en favorisant le recours à la voiture individuelle, l’ouvrage aggravera les inégalités dans un monde où la flambée du coût de la vie précarise une grande partie de la population.

Les transports en commun, eux, en particulier le tram demandé par les Liégeois, vont générer de l’emploi, aider les ménages appauvris par le prix de l’énergie, répondre aux défis posés par le réchauffement planétaire, promouvoir la solidarité et… exiger des investissements. Faire le choix du tram, renoncer au tout-à-la-route, c’est se diriger vers des villes plus agréables, une mobilité plus équitable et la préservation de l’environnement. C’est aussi contribuer à lutter contre le réchauffement planétaire, répondre à la menace du pire que nous prédit le GIEC, bref, c’est se montrer adulte.

CHB : le genre de décision qui contribue à empêtrer la Wallonie dans des choix dépassés. Alors, MM. Rudy Demotte, Michel Daerden, André Antoine et Benoît Lutgen, Mesdames et Messieurs en charge du dossier, épargnez-nous ce vieux cadeau de luxe. Tournez-vous vers l’avenir. Pensez à nos/vos enfants et petits-enfants.

Caroline Lamarche, écrivain, Pierre Leprince, chargé de cours en sciences biomédicales à l’ULg et vice-président de Natagora, Pierre Ozer, docteur en géographie à l’ULg, Jean-Luc Outers, écrivain, Jean-Pierre Pécasse, responsable culturel et enseignant, André Ruwet, rédacteur en chef d’Imagine, Jacques Teller, Chargé de cours en urbanisme et aménagement du territoire à l’ULg, Jean-Pascal van Ypersele, professeur de climatologie et de sciences de l’environnement à l’UCL.